<< AuparavantLa requête d'un voleur
Je marchai d’un pas assuré dans la rue, connaissant maintenant le chemin, et je pus enfin admirer un peu la ville. C’était très différent de Tulorim, tout ou presque était en bois, les rues étaient propres et les gens semblaient moins stressés, plus sereins. Je passai devant le château qui attira mon regard. Outre les hautes tours et les remparts, le plus impressionnant était la tour centrale qui dépassait tout le reste, comme une sorte de vigie au sein de la ville. La vue devait être incroyable de là-haut mais la présence de nombreux gardes à l'allure menaçante et aux regards inquisiteurs me dissuada immédiatement de tenter d’aller vérifier cela par moi-même. Je me dirigeai donc vers la rive et passai devant ce qui ressemblait à des entrepôts. L’activité près de la rive était beaucoup plus importante et pour cause, j’aperçus de grands navires à quai, attendant probablement un chargement pour partir vers d’autres villes et continents. Je m’arrêtai un instant pour les contempler. J’avais été fascinée par celui qui nous avait emmenés, Père et moi, de Gwadh à Tulorim et ceux-là, quoique plus petits, étaient tout aussi beaux. A force de rester devant le quai à admirer les navires, je finis par attirer l’attention. Un vieux marin à l’air bourru et portant une longue cape noire m’interpella, l’air de mauvaise humeur.
- Hey là, gamine ! Pourquoi que tu restes plantée là comme un mât, tu cherches quelque chose ?Sa voix était très grave et caverneuse, comme celle de quelqu’un qui hurle beaucoup. Je ne voulais pas d'ennui moi !
- Non monsieur, j’admire juste les bateaux.Il s’approcha de moi et sa mauvaise humeur laissa place à un grand sourire après m’avoir examiné, probablement parce que je n’avais pas l’air très dangereuse. Il lui manquait visiblement des dents et son élocution n’était pas toujours compréhensible.
- Je vois je vois, excuse-moi gamine, on a quelques voleurs dans le coin alors on est un peu sur les nerfs. Tu vois ce rafiot ?Il me désigna un des deux bateaux que j’admirais.
- C’est le mien, L’Onde des Brumes, ma fierté, ma vie. Ça m’a pris des années pour me le payer... ‘Fin bref reste pas là sans rien faire, certains marins pourraient avoir de drôles d’idées ou te confondre avec un voleur. J’te conseille d’admirer depuis le pont, tu seras plus tranquille.- C’est très gentil de m’avoir prévenu monsieur …- Cap’taine Ivark gamine, pas monsieur, j’ai horreur de ça. ‘Fin bon, faut qu’je file j’ai du boulot mais suis mon conseil et si un marin te gêne, hésite pas à dire mon nom, la plupart pleureront leurs mères juste en l’entendant et ceux qui restent devraient te laisser tranquille. Ils savent que j’ai horreur des débauchés dans leur genre et que mes hommes et moi ne sommes pas tendres avec eux.Je remerciai donc l’étrange Cap’taine Ivark qui retourna à ses affaires et je repris ma route. Si j’attirais autant l’attention je devais être prudente. Je traversai donc le pont lorsqu’un type me bouscula en courant. Je vis clairement son sourire et la bourse qu’il avait dans la main : MA bourse !
- Hey reviens ici !Je courus après lui, traversant le pont à toute vitesse. Il prit en direction du port de pêche et je le suivis. Il slaloma entre les pêcheurs et les caisses de poisson, mais j’arrivai à le suivre relativement bien. Je me promis de remercier Bolir pour les entraînements d’esquive, j’étais devenue beaucoup plus endurante et rapide qu’avant notre départ de Tulorim. Ce sale voleur s’engagea dans une ruelle où je m’engouffrai à sa suite. Il ne cessa de tenter de me semer en tournant au hasard dans les ruelles mais j’arrivai toujours à apercevoir un morceau de ses bottes ou de sa cape lorsqu’il tournait, me permettant de le suivre à la trace. Les ruelles d’ici étaient sombres et étroites, me donnant un léger avantage compte tenu de ma taille et de mes yeux et je finis par réduire la distance entre nous deux. Voyant qu’il allait se faire rattraper, il glissa sur le sol et se retourna en dégainant un couteau. Je ralentis et générai une boule de feu sans pour autant m’arrêter. J’espérai lui faire peur pour qu’il abandonne. Si en effet il eut l’air d’avoir peur, cela ne fit que le faire détaler plus vite. Je jurai intérieurement et repris la poursuite. J’allais bientôt être à bout de souffle, je devais l’arrêter à tout prix. J’avais déjà une boule de feu de prête et, veillant à ne pas viser directement le voleur, je lançai l’orbe qui alla s’écraser à ses pieds, le faisant trébucher. Il s’écrasa au sol et lâcha ma bourse. Je dépassai le voleur à terre et ramassai ma bourse, vérifiant bien son contenu avant de me retourner vers lui. Il était à bout de souffle, encore plus que moi, et j’entendais sa respiration sifflante alors même qu’il était la tête contre le sol. Je rangeai ma bourse dans un endroit moins accessible et me plantai devant lui, les mains sur les hanches.
- Bien, maintenant que je t’ai arrêté, tu vas gentiment te lever et faire ce que je te dis sinon une boule de feu pourrait ne pas te rater cette fois.En vérité je n’avais aucune intention de le blesser, mais ça il ne pouvait pas le savoir. Il se leva donc et me fit face. C’était un jeune homme avec un visage rond aux cheveux blonds coupés courts, les yeux d’un beau vert et une petite cicatrice au-dessus de l’œil droit. Il me lança un regard de défi que je relevai d’un haussement de sourcil avec un sourire moqueur que je ravalai rapidement. Encore une sale habitude que je devais perdre ! Il répondit d'un ton borné et insolent.
- Qu’est-ce que tu me veux ? Tu m’as eu et tu as récupéré ta bourse alors laisse-moi tranquille. Et ne joue pas tes grands airs, t’es juste une gamine.Houlà, il commençait à m’énerver celui-là. Je fus très clair.
- Redescends d’un ton, gamin ! Tu vas déjà t’excuser pour avoir essayé de me piquer ma bourse et tu vas mettre au sol tout ce que tu as sur toi hormis tes vêtements…- Quoi ? Il n’en est pas question !Je lui montrais mon orbe rouge et son visage vira au blanc. Il s’exécuta et posa au sol son poignard, un petit sac qui contenait quelques biscuits et un bijou qui avait l’air en argent. Je pris le bijou et l’examinait rapidement. C’était une broche qui représentait une Douce Féérie, une fleur que je connaissais bien, et elle était finement ouvragée. Alors que j’allais lui confisquer sa dague, j’aperçu trois autres personnes s’approcher. Les trois venaient clairement pour nous et je reculai légèrement, cachant mon orbe et la broche. Les trois étaient des jeunes hommes, plus vieux que le voleur et étaient taillés sur le même modèle : grand, fin, le visage dur avec un regard malveillant qui ne me plut pas du tout. Le plus grand, probablement leur chef, s’adressa au voleur.
- Alors Vyrl ? Tu as enfin trouvé de quoi nous montrer ta valeur ? Je te préviens que si tu n’as pas réussi à voler quoi que ce soit, tu peux faire une croix sur ton entrée dans le groupe.Le voleur, dénommé Vyrl donc, me pointa du doigt.
- J’avais un bijou que j’ai volé mais cette garce me l’a repris.Les trois se regardèrent et éclatèrent de rire. Les deux plus petits s’approchèrent de Vyrl et le saisirent pas les bras tandis que le troisième lui asséna un direct dans le ventre qui le fit se plier.
- Une simple gamine t’a repris un objet volé ? Et tu veux faire partie des Noirs Desseins ? Laisse-moi rire !Il enchaîna ainsi les coups sur le pauvre voleur qui avait du mal à tenir debout. Je n’avais pas envie de les laisser le passer à tabac mais je ne voyais pas trop comment lui venir en aide et m’en sortir après ça. Mais le chef du trio cessa de bastonner Vyrl et se tourna vers moi, m’épargnant la peine de devoir intervenir.
- Toi là ! Que tu ais battu cette mauviette n’est pas impressionnant, mais sache que jouer avec un possible membre des Noir Desseins est passible de la peine capitale ! J’espère que tu sais te défendre parce que nous ne sommes pas aussi faibles que lui.Allons bon … Il s’y croyait en plus ce truand mais sa logique n’avait aucun sens, il ne voulait pas de Vyrl dans leur groupe mais il voulait le venger, ridicule. Les deux autres lâchèrent Vyrl qui se recroquevilla sur le sol et se tinrent derrière leur chef, prêts à répondre à ses ordres comme de bons chiens bien dressés. Ils sortirent en même temps un poignard du même genre que Vyrl avant que le chef ne m’interpelle de nouveau.
- On va la jouer simple. Tu nous donne tes yus, tes armes, tes fringues et … après ça on verra.Je ne vis qu’une seule issue à ce problème à part la fuite, le bluff. Je générai une nouvelle boule de feu en imitant le sourire cruel que ma mère prenait parfois. Cela me coûtait de devoir faire ça et j'eus envie de leur faire payer mais je devais rester calme, très calme. Ma tentative d’intimidation eut l’air de fonctionner, les deux acolytes lancèrent des regards inquiets vers leur chef qui n’avançait plus, le regard fixé sur ma boule de feu.
- Ordis, c’est une mage, et elle utilise le feu en plus, qu’est-ce qu’on fait ?Je devais profiter de leur confusion.
- Voilà le programme... Ordis c'est ça ? Toi et tes sbires vous repartez et vous me laissez m’occuper de ce petit voleur, je tiens à le punir moi-même. En échange tout ceci restera entre nous, je ne vous transformerai pas en petits tas de cendres fumants et mes compagnons ne traqueront pas votre petit groupe jusqu’au dernier.Les trois eurent un mouvement de recul. J’y avais été un peu fort mais si je n’exagérais pas, je réduisais mes chances de leur faire peur. Ils se concertèrent du regard puis rangèrent lentement leurs armes sans me quitter des yeux avant de repartir d’où ils venaient, leur chef profitant de passer près de Vyrl pour lui donner un coup de pied dans le ventre. J’attendis qu’ils soient totalement hors de vue pour m’approcher doucement du voleur au sol, en ramassant son arme et son sac au passage. Je n’avais pas aimé jouer à ce petit jeu et j’avais hâte de déguerpir, mais je ne voulais pas le laisser derrière, Père m’avait appris à aider ceux qui souffraient. Il eut l’air surpris lorsque je l’aidai à se relever et encore plus lorsque je lui rendis son arme et son sac.
- Euh je… je suis désolé.J’eus un léger sourire, il s’excusait finalement. Il dût prendre ça pour un pardon car il me demanda aussitôt de l’aide.
- J’ai besoin de ton aide ! S’il te plaît !J’eus du mal à y croire sur le moment, il avait un de ces culots ce type ! Mais je n’allais pas partir comme ça, si ? Je soupirai.
- Bon, là j’avais prévu autre chose mais je suppose que je peux au moins écouter ce que tu as à dire… mais sortons de ces ruelles, les autres pourraient revenir.Il acquiesça frénétiquement, visiblement d’accord avec moi. Nous avons donc regagné une rue plus fréquentée et nous sommes postés à un endroit où nous ne serions pas dérangés puis j’écoutais ce qu’il avait à dire.
- Je t’écoute, mais je te préviens que je ne suis pas une criminelle, je ne vole pas et je ne blesse et ne tue personne c’est clair ?- Je n'allais pas demander ça ! Et si j’ai volé c’est pour retrouver ma sœur !Je ne masquai pas ma surprise, le rapport entre les deux ne me venant pas à l’esprit, mais il s’expliqua.
- Ma petite sœur de huit ans a été enlevée et le groupe des Noirs Desseins sait où elle est, je voulais juste faire partie de la bande pour avoir une chance de la retrouver, c’est tout. Je ne suis pas un voleur !Je le regardai sans savoir s’il était sérieux ou non. Il ne pouvait pas être aussi stupide… je m’énervai à mesure que je parlais.
- Si je comprends bien, tu espérais que le groupe probablement responsable de l’enlèvement de ta sœur te recruterait et qu'un de leur membre te dirait où elle est … Ton plan n’avait absolument aucune chance de marcher ! Tu crois vraiment qu’ils allaient gentiment te conduire à elle parce que tu es un de leurs membres ? D’autant plus que tu es son frère !- Mais ils ne savent pas que je suis son frère !- Comment peux-tu en être sûr ? Ils se sont sans doute renseignés sur toi ! Bon sang je n’ai jamais eu affaire à un groupe de voleur et je suis plus lucide que toi !- J’ai fait ce que je pouvais !Il cria presque la dernière phrase, les yeux embués de larmes, ce qui me calma. Je m’étais énervée sans vraiment savoir pourquoi. Je respirai un grand coup.
- Excuse-moi, je n’aurai pas dû m’énerver … Bon tu veux retrouver ta sœur, je suis d’accord pour t’aider.- Merci, mais …pourquoi ?- … Parce qu’une famille ne devrait pas être séparée.C’est pas vrai, maintenant c’est moi qui sentait les larmes arriver ! Je détournai le regard un moment, espérant qu’il n’ait rien vu. Il ne fit aucune remarque, ce qui était bon signe, se contentant de me fixer. Je réussis à me contenir et lui proposai une solution.
- J’ai des amis qui peuvent nous aider, suis-moi, avec un peu de chance ils sauront quoi faire.Je pris la direction de l’auberge avec Vyrl sur mes talons, espérant que les autres seraient là et qu’ils pourraient m’aider.