Un homme était entré, un de ces anciens soldats à la stature imposante et à la marche penaude, vaincu par autant de défaites que de victoires ingrates. Vêtu d'une armure usée de cuir exotique et armé d'une hallebarde comme les gardes de palais, il avait sondé la pièce, dos contre le mur. Il semblait avoir beaucoup voyagé, et vu des jours meilleurs. Sa mine déçue était malmenée par la nécessité qui l'avait guidé ici : celle d'un travail fructueux.

- Z’êtes là pour l’travail, pas vrai ? T’nez. fit un second milicien en lui tendant un autre bout de paperasse rabougrie.

L'homme s'approcha et posa son arme d'hast contre le comptoir. Le milicien continuait de le fixer avec suffisance.

- V'savez écrire ?

L'homme leva la main et s'empara d'une plume. Pressé, il griffonna négligemment sa condition sur le bout de parchemin jauni qui fut ensuite emporté dans l'arrière-salle. Alors qu'il s'affairait à reprendre sa place dans un coin sombre, son regard croisa celui de Triam. Le jeune voyageur n'avait jamais vu un homme semblable. Sa peau était rugueuse et sombre, ses cheveux noirs et frisés, ses yeux d'une couleur inhabituelle, mais il était d'une carrure bien plus robuste que n'importe quel habitant du désert. Il lui rappelait la description d'un peuple légendaire, originaire d'un continent lointain.

Hors de son élément, et manifestement mis mal à l'aise par le silence ambiant, le guerrier siffla :

- Ah ! Yarthiss, tu ne fais pas rêver grand monde, on dirait…

À son grand dam, il n'avait fait qu'engendrer un silence encore plus cocasse. Si bien qu'après quelques secondes, il n'obtint qu'un souffle amusé de la part de Triam.

Après quelques minutes d'attente, un solide gaillard blond au visage couturé de cicatrices, équipé d'une pesante armure de plate et d'une massive épée à deux mains entra dans la salle.



Il la parcourut d'un regard sévère puis, avisant les deux compères, se dirigea d'un pas martial vers eux, les scrutant tout à tour avec attention avant de lâcher d'une voix grave et rauque:

"Je suppose que c'est vous les deux nouveaux, hmm? Pas la peine de répondre, ça se voit sur vos museaux. Je suis l'instructeur Jerenn et c'est moi qui suis chargé de déniaiser les bleus dans votre genre. Je ne sais pas d'où vous venez, ce que vous avez vécu, et j'en ai rien à faire, tant que vous marchez droit et que vous faites correctement votre boulot. Alors ouvrez grand vos esgourdes et gravez bien ce que je vais vous dire dans vos petites têtes."

Il laissa filer un silence en fixant chacun des deux hommes droit dans les yeux pendant quelques secondes puis il poursuivit:

"Notre boulot c'est de maintenir l'ordre, pas de semer le bordel, on a pas besoin de tarés qui sèment des cadavres à la moindre occasion. Les imbéciles qui pensent pouvoir s'enrichir en profitant de leur statut de milicien pour racketter les honnêtes gens, ou qui se laissent corrompre, je m'en occupe personnellement et c'est pas beau à voir. J'espère être assez clair."

Nouveau regard sévère sur Elroth et Triam, puis il continua:

"Pour commencer, on va voir ce que vous avez dans le ventre et dans le plot. Alors voilà votre première mission: hier soir, deux femmes ont été retrouvées mortes dans les eaux du port. C'est pas rare et d'habitude on mène pas l'enquête pour si peu, mais il se trouve que ces deux femmes étaient l'épouse et la fille d'un riche armateur nommé Sigur Henken et qu'il est prêt à payer une petite fortune pour qu'on coince leurs meurtriers. Ce qui est étonnant, c'est qu'on les a retrouvées avec tous leurs bijoux, autant dire qu'elles n'ont pas été assassinées par une bande de tire-laines, d'autant plus qu'elles ont été salement torturées avant d'être jetées à l'eau. Trouvez-moi qui a fait ça et pourquoi, mais pas de vagues, compris? "

Il désigna ensuite le milicien s'occupant de l'accueil et acheva:

"Si vous avez besoin qu'on vous prête un peu de matériel du genre casque, plastron ou jambières, voyez ça avec lui. Ce sera tout. Allez, à vous de jouer, tâchez de ne pas me décevoir."

- Un travail...

Triam savait pertinemment que la milice de Yarthiss n'allait pas se presser pour le dédommager. Aussi, il profita des quelques minutes de silence qui suivirent pour s'inscrire en bonne et due forme dans le registre de la milice. Un service rendu lui rendrait sans doute bien plus de richesses qu'il n'en perdrait à attendre que justice fût faite.

Quelques instants plus tard, un homme massif armé de maille et de plates questionna les deux recrues d'un ton martial et autoritaire :

- Je suppose que c'est vous les deux nouveaux, hmm ? Pas la peine de répondre, ça se voit sur vos museaux.

Ils restèrent tous deux impassibles, Triam par fierté, et l'autre, sans doute par habitude.

- Je suis l'instructeur Jerenn et c'est moi qui suis chargé de déniaiser les bleus dans votre genre. Je ne sais pas d'où vous venez, ce que vous avez vécu, et j'en ai rien à faire, tant que vous marchez droit et que vous faites correctement votre boulot. Alors ouvrez grand vos esgourdes et gravez bien ce que je vais vous dire dans vos petites têtes.

L'instructeur maintenait avec insistance le contact visuel, à tel degré que cela devenait irritant pour Triam. Cette conduite de militaire n'était pas sans rappeler celle d'un chien sauvage gardant jalousement son territoire.

- Notre boulot c'est de maintenir l'ordre, pas de semer le bordel, on a pas besoin de tarés qui sèment des cadavres à la moindre occasion. Les imbéciles qui pensent pouvoir s'enrichir en profitant de leur statut de milicien pour racketter les honnêtes gens, ou qui se laissent corrompre, je m'en occupe personnellement et c'est pas beau à voir. J'espère être assez clair.

Triam ne put s'empêcher de sourire. Après une telle déclaration, il imaginait bien le raisonnement derrière cette attitude détestable. Apparemment, la milice de Yarthiss avait du mal à inculquer le respect des lois à ses propres membres. Sentant le regard inquisiteur se poser de nouveau sur lui, le jeune homme aligna ses lèvres comme l'aurait fait un écolier. Jerenn commença enfin à parler du travail convoité.

- Pour commencer, on va voir ce que vous avez dans le ventre et dans le plot. Alors voilà votre première mission: hier soir, deux femmes ont été retrouvées mortes dans les eaux du port. C'est pas rare et d'habitude on mène pas l'enquête pour si peu, mais il se trouve que ces deux femmes étaient l'épouse et la fille d'un riche armateur nommé Sigur Henken et qu'il est prêt à payer une petite fortune pour qu'on coince leurs meurtriers. Ce qui est étonnant, c'est qu'on les a retrouvées avec tous leurs bijoux, autant dire qu'elles n'ont pas été assassinées par une bande de tire-laines, d'autant plus qu'elles ont été salement torturées avant d'être jetées à l'eau. Trouvez-moi qui a fait ça et pourquoi, mais pas de vagues, compris ?

L'homme à la peau sombre baissa la tête. Un homme de sa nature aurait sans doute préféré garder un convoi ou chasser des bandits, mais il acquiesça presque machinalement.

- Trouver les coupables. Pas de vagues. D'accord.

L'instructeur désigna un des collègues.

- Si vous avez besoin qu'on vous prête un peu de matériel du genre casque, plastron ou jambières, voyez ça avec lui. Ce sera tout. Allez, à vous de jouer, tâchez de ne pas me décevoir.

Triam attendit qu'il se retourne pour soupirer doucement. Ces quelques minutes l'avaient grandement importuné, il ne supportait pas les discours de ceux qui se donnaient trop d'importance, et celui-ci avait bien duré. Les deux apprentis miliciens firent savoir d'un geste de la main qu'ils n'avaient pas besoin d'équipement. Un tel travail nécessiterait sans doute de la discrétion, et le garçon était bien heureux de ne pas devoir arborer l'emblème de ces troufions.

Son compagnon d'infortune se leva et se rapprocha de lui. Sa grande taille était d'autant plus impressionnante que Triam était assis, et dût lever les yeux fort bien hauts pour aller chercher les siens.

- On se met en chasse, jeune bretteur ? Gardons les présentations pour le chemin. Ça nous occupera.

Il avait désigné la sortie avec le manche de son arme. En un seul regard, le voyageur avait deviné que la compagnie de cet inconnu lui serait bien plus agréable que celle du milicien lambda. Triam se joignit à lui, lui adressant au passage un sourire cordial.

- Bien, ne perdons pas de temps.

Les deux hommes marchèrent vers la sortie. Triam n'avait guère envie de demander de plus amples détails à l'instructeur, et s'était déjà résolu à se renseigner auprès des habitants de Yarthiss.