Les bottes sombres du gladiateur déplaçaient le sable de l’arène. Il tâtait le terrain, testait ses appuis et exécutait de petits moulinets avec son espadon. La paume de ses mains embrassait sa fusée tressée, tandis que ses phalanges s’y agrippaient comme à une échappatoire à cet enfer. Une sérénité absolue peignait les traits du Tulorien, il semblait totalement absorbé par ses mouvements minutieux. Un peu à l’instar d’une parade militaire, il effectuait différentes positions de garde, d’abord lentement puis, plus rapidement.
(Qu’importe l’animal me combattant, je suis prêt.) Pensa-t-il, sûr de lui.
La grille s’élevait, dévoilant la petitesse de la zone de combat. Un guerrier maniant l’une des plus grandes épées de l’époque ne pouvait se sentir à l’aise dans cet enclos de mort. Face à sa destinée, le Wiehlenois progressait au milieu des parieurs fous. Ils hurlaient comme des bêtes à l’annonce du prochain combat. Une foule. Une horde. Une cohue prête à huer le perdant.
(Ce genre de personne me dégoûte, mais bon, il faut bien que je me sorte de la merde dans laquelle je me suis foutu.) Se dit-il, en ne quittant pas l’autre grille du regard.
Une certaine appréhension demeurait en Fromritt, un suspense gênant s’installait, alors que l’animateur déchirait les passions chez les spectateurs. Enfin, l’obscurité devant le Verlorgot se mut, trois nuances de gris s’approchèrent de l’arène. Seul point positif, le public se tut, troublé par la forme anthropomorphe de la créature que les hommes de main ramenaient. Le brun planta sa lame dans les grains jaunâtres, puis, transperça la bête du regard.
La lumière de la salle illumina progressivement la chose. Elle devenait de plus en plus hideuse à mesure que les lueurs dévoilaient son faciès effrayant. Sa peau se résumait à une surface lisse et rosâtre, un peu comme une bestiole dépecée, une erreur de la nature si elle en était responsable. Une expression de dégoût investit la figure de Fromritt et lorsque l’abomination hurla, son teint devint blême.
(Bordel ! Qu’est-ce que c’est que ça ?!) S’exclama-t-il, intimement.
La surprise laissa place à la frayeur de l’inconnu. Dans toute une vie, le Tulorien n’avait jamais vu telle représentation de la putrescence de ce monde. S’il n’avait guère fait face à la mort, nul doute qu’il aurait déjà des hauts-de-cœur… Les gardes avaient déjà enlevé les gants en cuir de la créature, qui avait posé le revers de ses mains sur ses paupières. Ainsi, elle dévoila à la vue de tous, deux globes oculaires fixés sur son adversaire. Quelle horreur.
Gling ! Gling ! Gling ! Fit énergiquement la cloche de combat.
Ça débutait. L’atrocité sur pattes gémissait étrangement tout en se déplaçant de manière maladroite. Premiers éléments qu’avait analysé Fromritt : elle était lente et ses gestes étaient imprécis. Néanmoins, le Verlorgot ressentait quelque chose de bizarre, un truc surnaturel vis-à-vis de cette créature. Il n’aimait pas du tout ça…
Un air stoïque trônait sur le visage de l’épéiste, véritable royaume de concentration, qui tendait sa lame droit devant son ennemi. Celui-ci, plus méfiant qu’effrayé, paraissait être en train de le jauger, voire de pénétrer son esprit. Les pas de côté du gladiateur se faisaient tout doucement, même contre cette horreur, il fallait prendre le temps d’observer, d’étudier, de comprendre l’adversaire. Le redoutard lui-même semblait l’avoir compris, il se mouvait juste pour ne pas être statique, ne pas être une proie facile. Plus le temps avançait, plus les yeux de son ennemi tordaient les boyaux du brave Wiehlenois, pourtant peu prompt à être désemparé.
(Pourquoi m’effraient-t-ils ? Peut-être le fait qu’ils soient dans ses putains de mains ! Ou encore parce qu’il est impossible de lire ses émotions… Merde, ça me gave !) Rumina-t-il, contrarié.
Son espadon tremblait à cause de sa prise incertaine, ça ne tournait pas rond. Il n’avait pas assez peur pour avoir une telle réaction. L’idée qu’une autre force était à l’œuvre dans ce combat germa dans ses pensées. Mais qui la manipulait ?
« Non ! Serait-ce ?! » Se surprit-il à dire à haute voix.
Un instant de confusion, une seconde de trop à cogiter. L’abomination avait gagné du terrain et s’était glissée dans un angle mort. Réflexe de survie, l’espadonneur bondit en arrière, relevant son arme, alors que les griffes de son opposant raclaient l’acier noir de sa cuirasse. Les mâchoires pressées, le Verlorgot jura contre son inattention avant de reprendre ses esprits. L’autre mocheté relançait une offensive. Pas cette fois ! La grande lame s’abaissa à la vitesse de l’éclair, à quelques millimètres du crâne immonde du redoutard, plus que surpris.
« Dégage, monstre ! » Vociféra-t-il avec rage.
Adoptant la garde intérieure droite, l’épée devant soi prête à partir en estoc, il avait réussi à intimider la créature sournoise. Elle recula puis, se déporta sur son flanc gauche. Le grincement métallique résonnait toujours dans sa tête, tandis que la foule de parieurs était survoltée. Enfin de l’action, devait-elle penser, elle, confortablement assise ou tout du moins à l’abri de Phaitos. Plutôt sur la défensive, Fromritt plaça son arme en diagonal face à lui, sans quitter son adversaire des yeux. Ainsi, discrètement, il bougea vers le milieu de l’arène, là où il sera plus à l’aise pour exécuter ses larges mouvements et techniques plus laborieuses à placer.
La deuxième phase s’entamait avec moult idées belliqueuses et un placement stratégique de la part du guerrier. Sans laisser le temps à la créature de réfléchir, le Verlorgot avança d’un pas ferme sur le point de frapper en taille. Et une fois ! Et deux fois ! Et trois fois puissamment. Les deux premiers coups balayèrent le sol sableux afin d’y envoyer ses grains dans la gueule du monstre. Le dernier, quant à lui, trancha dans le vif du sujet. Un geste vertical d’une grande amplitude. L'immense lame réussit à érafler le bras droit de l’épouvantable bestiole.
« Maintenant, J’en finis avec toi, peau-rose ! » S’époumona-t-il, l’espadon de nouveau en avant.
Appuyant avec force sur ses jambes musclées, propulsant avec puissance ses bras épais, l’épéiste puisa dans son énergie pour enchaîner plusieurs coups d’estoc d’affilées. Sa lame semblait fendre l’air à l’image d'ailes d’un aigle. Elle fondait sur l’erreur de la nature, assoiffée de son sang impure. Chaque frappe amenait un cri terrible de la part du grand brun et les parieurs devenaient fous, scandant en chœur : « Lame-puissante ! Lame-puissante ! ».
À travers la poussière dorée, des gouttes d’hémoglobine jaillissaient, repeignant le sol en rouge sang ! Le Tulorien haletait tant les efforts qu’il avait fait étaient intenses. L’éclat de sa lame devint cruel, comme si celle-ci possédait une conscience propre. Elle pointa le firmament malgré le plafond rocailleux de la cave, prête à envoyer le redoutard en enfer. Elle tomba, puis, se stoppa net.
« Whoooooouaaaaah !!! » Hurla l’immonde bipède.
Un effet de masse, tout le monde se tétanisa, y compris le gladiateur. Une peur qu’il ne pouvait expliquer paralysa son organisme et frissons sur frissons apparurent sur son enveloppe charnelle. Les pattes griffues de la créature amochée se levèrent, de rage, puis s’abaissèrent, encore, encore et encore ! Un cri haineux dégageait de ses cordes vocales à chaque frappe, un son d’outre-tombe, épouvantable.
Le bruit de la chair déchirée se mêlait aux rugissements de douleur du Verlorgot. À son tour de subir. La bête était acculée, enragée, folle à lier. N’écoutant que son instinct bestial, elle continuait de le ruer de coups, alors que ses gestes maladroits manquaient de la faire tomber. Une attaque toucha le guerrier à sa main dominante. Il lâcha son espadon sous la souffrance…
« Maudite merde, ferme ta gueule ! » Beugla-t-il, hors de lui.
Fidèle à sa réputation de téméraire, il chargea le redoutard tel un taureau, soulevant les pattes arrières de l’atrocité, la plaquant contre son corps musculeux. Relâchant un cri de guerre venant de ses tripes, il l’emmena à l’autre bout de l’arène puis, la claqua de toutes ses forces contre sa grille métallique, acclamé par ceux ayant pariés sur lui, sans doute, tandis que les autres se taisaient.
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