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Acte I, scène 3 : Un nouveau voleur en ville
Le jeune homme revint sur ses pas. Il n'avait pas d'itinéraire précis en tête mais l'image du grand bâtiment de la guilde lui revint en tête. La journée était déjà bien avancée mais il n'avait pas grand chose à faire d'autre pour le moment.
D'un pas déterminé, Muha'Omyri longeait le côté ombragé de chaque rue. La plupart de celles-ci se ressemblaient alors il fallait regarder le sol. Plus les pavés tenaient en place, plus on s'approchaient du centre-ville et des rues les plus fréquentées. L'office de la guilde n'était pas la porte à côté mais il pouvait y arriver dans la moitié d'une heure s'il pressait le pas.
C'était un peu idiot de sa part de n'y avoir pas pensé plus tôt. Cela faisait un mois qu'il était complètement fauché et le jeune homme était passé par plusieurs phases, de déprime et de mal-être avant de redresser lentement la tête. Son estime de soi en avait prit un coup, de s'être fait pigeonner aussi facilement par cette bande de truands. Il se souviendrait toujours des yeux bicolores de celui qui semblait être leur chef... Un brun et un bleu. S'il recroisait cet énergumène un jour...
Muha'Omyri redressa soudain la tête : il n'avait pas vu les miliciens qui s'approchaient mais son oreille alerte faisait son travail. Impossible d'être discret quand on porte des plates et des casques aussi encombrant. Ceux-ci n'avaient aucune raison apparente de l'arrêter mais le chapardeur préféra éviter de les croiser... Un simple réflexe de précaution.
Nonchalamment, il fit mine de s'appuyer contre un mur pour enlever une pierre imaginaire de sa chaussure. Personne ne prêterait attention à un type qui a mal aux pieds. Le jeune homme avait besoin d'évaluer les échappatoires potentiels dans la rue mais rester planté là à chercher, ne l'aurait rendu que plus suspect.
En réalité, les gardes n'avaient même pas remarqué sa présence, tant ils étaient occupés à bavarder mais Muha'Omyri était des plus méfiants depuis son dépouillement, le mois précédent. Pas question de se faire à nouveau bastonner par qui que ce soit. Il finirait bien par passer au delà de ce traumatisme. Le jeune homme aperçut une ruelle de l'autre côté de la rue et... Un Thorkin qui lui faisait signe.
Muha'Omyri tourna la tête de tous côtés mais c'était bien à lui qu'il s'adressait. Il observa le nabot de plus près mais ses traits proéminents et son gros tarin rouge, pas plus que sa tignasse rousse ne lui rappelait quelque chose. Le jeune homme fit mine de l'ignore mais le petit être insista de plus belle, l’appelant de vive-voix :
«
Eh toi, avec le turban ! Je te cherchais partout ! »
Le chapardeur décida de s'approcher, au moins pour le faire taire. Moins il était connu dans cette ville, mieux c'était. Le bonhomme portait une tenue de marin standard qui le boudinait un peu, comme si on avait essayé d'enrouler un jambon avec trop peu de tissus :
«
T'inquiète pas, je vais pas te manger l'enturbanné. Approche !-
On se connaît toi et moi ? Lança Muha'Omyri, incrédule.
-
Toi non mais moi oui, je te connais. Je t'ai vu plusieurs fois traîner dans la ville, tu viens d'où ? »
Muha'Omyri était maintenant un mètre du Thorkin. Il ne comprenait absolument pourquoi il lui parlait et ce qu'il lui voulait. Le jeune homme avait rencontré peu de Nains dans sa vie et encore moins un qui daigna lui adresser la parole sans raison apparente :
«
Ça ne te regarde pas, le nabot. Abrège. Qu'est que tu me veux ? -
T'emballe vieux. C'est juste que j'ai jamais vu un mec aussi discret dans cette ville. T'es un voleur, c'est ça ? Écoute, t'as pas l'air d'avoir beaucoup de thunes, ce que je te propose...-
Ne m'appelle pas « vieux ». Nous n'avons pas gardé les moutons ensemble. Je comprends rien de ce que tu me baragouines, là-
C'est simple, je te propose un boulot. Dit brusquement le Nain. Un boulot de voleur. -
Ne te fiche pas de moi, comment un petit bonhomme comme toi pourrait me trouver un boulot ?-
Ce n'est moi qui te le propose directement, c'est mon patron. Il apprécie beaucoup ta dextérité d'ailleurs. Il t'a vu à l’œuvre. »
Muha'Omyri ne savait s'il pouvait se fier à cette petite peste apparue de nul part. Un boulot... Ce n'est pas comme s'il avait la possibilité de cracher dessus... Autant essayer. Le jeune voleur finit pas céder aux imprécations du nabot. Il ne perdait pas grand chose à le suivre, en espérant que cela ne soit pas un traquenard. Le petit bonhomme l’entraîna dans la ruelle. Ils traversèrent un bon nombre de carcasses de tonneaux, de caisses éventrées, les herbes folles, la boue...
«
Alors tu viens d'où ? Insista le Thorkin.
Vu ta tête, pas d'ici. Ne t'en fais pas, je ne viens pas d'ici non plus... Enfin, tu dois t'en douter.-
D'un pays que tu ne dois même pas connaître, à mon avis.-
C'est vrai que j'y connais pas grand chose en pays mais je ne suis pas né de la dernière pluie pour autant.Le voleur avait peine à croire qu'il tenait conversation avec un inconnu qu'il venait de croiser, de surcroît un nain. Les autres nains paraissaient austères et réservés mais pas ce petit bonhomme. Comme de nombreuses ruelles de cette, on finissait par aboutir à une cour intérieure. Muha'Omyri vit que la ruelle de laquelle venait en était la seule issue directe... Ça ne sentait pas très bon. Ça refluait même la bouse. Le première étage de la cour était cerclé d'une mezzanine où l'on aurait pu facilement trouer la peau des visiteurs à coup de flèches. Mais point d'archer, seulement un vieil homme avec une pipe :
«
D'accord. Lui lança Muha'Omyri.
Je n'aurais peut-être pas dû vous détrousser tout à l'heure. Mais je vous assure que j'ai vraiment besoin de cet argent.
-
Il est trop tard ! Vous m'avez détrousser en me prenant pour un vieil impotent, ce qui est encore plus grave ! Où est passé la morale dans cette ville ? Eh bien, je vais vous répondre : Elle a été piétinée depuis bien trop longtemps. Je m'en vais la rétablir. -
Je suis juste fauché et je comptais trouver du travail aujourd'hui. Continua calmement Muha'Omyri.
Je vous rembourserez dès que je pourrais. Je n'ai pris aucun plaisir à vous voler. »
Mais le vieux loup de mer n'écoutait pas ce qu'il disait. Imperturbable, il continua son discours :
-
Depuis des années, la milice assure nous protéger mais ils ne descendent jamais dans les « bas-quartiers » de notre ville. Quelle serait leur surprise s'ils savaient tous les voleurs et les assassins qui y rodent. Moi, Hanck Welksson et mes fils sommes là pour rétablir cet équilibre. -
Je ne veux pas vous vexer, Hanck mais ce que vous faites ici est du ressort d'autorités compétentes. Articula lentement Muha'Omyri, lui-même peu convaincu de son discours. »
Le jeune homme commençait à stresser. Mais comment aurait-il pu prévoir qu'en détroussant un vieux retraité, il se serait attiré les foudres d'une bande de tarés qui se font justice eux-même ? Malgré sa fébrilité et son état d'énervement, Muha'Omyri réussit à percevoir que le nabot bougeait derrière lui. Il approchait en faisant traîner un objet au sol... Et vu, le bruit, c'était extrêmement lourd.
«
Je vais vous laisser le choix, jeune homme. Reprit le marin, sûr de la peur qu'inspirait sa menace.
-
Écoutez, je vais vous rembourser tout de suite et on en parle plus, hein ? Je vous dois combien ? Le chapardeur s'aperçut qu'il n'avait même pas regardé ce que comptait le bourse du vieux, bloqué par ses remords.
-
Vous pouvez partir, vous et vos sales manies de profiter des honnêtes citoyens ou... Muha'Omyri resta suspendu à ses lèvres.
Ou mon fils vous fera passer un sale quart-d'heure, si ce n'est moins.
-
A... Attendez, quoi ? Mais vous êtes un humain et c'est un... Enfin euh... Il est trop petit. Il sentait presque le regard du nabot lui transpercer la peau.
Ce n'est pas possi...Un bruit sourd coupa Muha'Omyri : Le nain venait de frapper le sol avec un énorme marteau de guerre, l'air menaçant. Bien que d'aspect antique, le voleur ne doutait pas de l'efficacité de l'objet. Le choix imposé par le marin ne fit qu'un tour dans la tête du Duniate : Il avait le choix entre quitter la ville ou se faire broyer la tête par un jeune Thorkin fou... "Jeune".
Les pensées défilaient à toute vitesse dans la tête du chapardeur mais son attention se fixa sur le mot «
jeune ». Il ne l'avait pas vu au premier abord mais le nabot était très jeune, presque un enfant. N'ayant pas vu beaucoup de Thorkins dans sa vie, le Duniate avait souvent du mal à évaluer leur âge. Malgré le fait qu'il soit aussi bien charpenté que ceux de son peuple, il peinait à soulever cette antiquité qui avait dû appartenir à un guerrier dans la force de l'âge, peut-être son père. Enfin son père biologique car le gamin semblait convaincu que son vrai père se trouvait devant eux, sur le balcon.
Encore secoué par le stress, le jeune fixa son attention sur le regard de l’adolescent nain. Bien qu'âgé d'à peine 21 ans, Muha'Omyri savait jauger le mental d'un adversaire grâce à son attitude. Cela avait de lui fait un lutteur redoutable pendant son adolescence. On ne survivait pas longtemps dans le désert si l'on ne savait pas s'adapter à l'adversaire. C'était là, la force du peuple des Dunes.
Muha'Omyri lut ou plutôt déchiffra ce que le nain transmettait par son regard... Le gamin était incertain derrière une apparente détermination. C'est là qu'il comprit : Le petit bonhomme ne s'était jamais servi du marteau pour tuer ou faire du mal. Il s'agissait d'une simple menace même si elle paraissait sérieuse.
Les autres voleurs et assassins (S'ils n'étaient pas le fruit d'un coup de bluff) n'avaient pas risqué de se battre contre un Torkin armé d'un marteau de guerre. Le gamin, sûrement convaincu par le vieux loup de mer qu'il faisait le bien sans pour autant tuer ou faire du mal physiquement exécutait les ordres sans broncher.
Il s'agissait bien là d'une historiette raconté par un fou mais Muha'Omyri n'avait pas d'autre choix que de s'adapter à la situation. Reprenant courage dans une certaine mesure, le jeune homme lança un regard plein de défi à l'adolescent :
«
Qu'il s'amène, je n'ai rien à me reprocher finalement. -
Vous êtes plus courageux que la moyenne, jeune Duniate. Reconnu Hanck.
ECRASE LE POUR LA JUSTICE, THORIN. »
Comme il l'avait escompté, le gamin marqua un léger temps d'hésitation. Il n'avait rien d'un guerrier et le voleur avait décidé d'en jouer :
«
Thorin ? Quel manque d'originalité. Sourit Muha'Omyri.
A ta place Thorin, j'en voudrais à un père qui m'a donné un nom aussi ridicule. »
L'hésitation avait disparu du visage du garçon. Il réussit à soulever son arme et fonça vers le Duniate en criant de toutes ses forces. Il réussit à porter un coup maladroit mais puissant à la tête que le jeune homme évita en se baissant. Presque aussitôt redresser, il esquiva un second coup qui le surprit de par sa rapidité en se reculant d'un élégant enchaînement de pas.
Même si ce n'était qu'un gamin et qu'il était petit, il ne fallait pas le sous-estimer : un seul coup de ce marteau pouvait enfoncer ses cottes ou briser son crâne en miettes. Tout en continuant à le provoquer verbalement, le Duniate attira le jeune Torkin vers un mur porteur.
Il se colla contre le mur pendant que le gamin brandissait son arme au dessus de sa tête au dessus de sa tête pour l'écrabouiller de toute sa force. Esquivant l'objet de mort au dernier moment, le Duniate plongea sur la gauche et fit une roulade.
Son plan, quoi qu'un peu suicidaire avait fonctionné. Le mur porteur, bien que très épais n'avait pas résisté au choc de l'arme mais le marteau était à présent fiché dans le mur. Terminant sa roulade à proximité du nabot, Muha'Omyri réussit à se redresser pour s'installer dans une position accroupie.
Avec la vitesse surprenante d'un lutteur aguerri, le jeune homme mit ses mains au sols et se servit de sa position pour bondir sur son adversaire à la manière d'une grenouille.
Frapper un plus jeune que soit, même un être aussi solide qu'un Torkin ne réjouissait pas trop Muha'Omyri. Mais avait-il le choix ? Fort de sa vitesse, le Duniate arma son poing derrière son épaule et lançant un redoutable
uppercut dans la nuque épaisse du nabot. Le garçon, encore sonné par le choc de son arme ne parvint pas à éviter l'attaque à temps. Propulsé face contre sol, il n'eut d'autre choix que de lâcher le marteau.
La situation était différente à présent. Le gamin désarmé, Muha'Omyri possédait maintenant un avantage certain ; même compte tenu de la grande force du jeune nain. Pour un Torkin, le petit bonhomme était sacrément costaud, ce qui impressionna le chapardeur.
Pendant que celui-ci se relevait, le Duniate se mit en garde. Aveuglé par la douleur de l'attaque, le nabot décocha au hasard un crochet dans la cuisse de Muha'Omyri qui ne s'y attendait pas du tout et fut déstabilisé sur ses appuis. Le voleur parvint néanmoins à asséner un autre coup de poing dans le visage du gamin. Muha'Omyri devait se dépêcher de mettre le nabot hors combat avant d'être totalement essoufflé. L'endurance n'avait jamais été son fort. Le combat à mains nues se poursuivit mais le voleur avait clairement l'avantage. Poing après poing, il usait le physique mais aussi l'espoir du gamin de pouvoir gagner.
Finalement, un ultime direct à la poitrine du Thorkin l'obligea à tomber à genou. Muha'Omyri le toisa du haut de son mètre quatre-vingt. Il n'y avait pas d'honneur à continuer de s'acharner sur un gamin. Quant à lui, le Duniate était encore relativement en forme, bien que le nabot ne fut pas tendre quand il frappait.
Comme l'autre ne bougeait plus, Muha'Omyri revint au centre de la cour et chercha le vieux des yeux. Il ne le vit nul-part en haut, puis tourna à nouveau la tête vers le gamin. Arrivé par la porte du bâtiment, Hanck Welksson secouer le jeune garçon avec toute la force dont il disposait pour son âge. Muha'Omyri savait que le vieux aurait du mal à porter son fils adoptif tout seul et la milice de la ville n'allait pas tarder à se pointer après tout le raffut provoqué par l'affrontement. Le chapardeur revint vers ses deux adversaires d'un pas décidé.
« La milice va sûrement se pointer et je me doute que vous avez aussi peu envie que moi d'expliquer ce foutoir. Je vais vous aider à le porter.
-Tirez vous, chien ! Vous avez failli tuer mon fils ! »
Muha'Omyri aurait bien répliquer que c'était lui qui avait commencé mais l'heure était à la diplomatie. Même si la force et la survie primait dans le désert, il aurait été impensable pour ceux des dunes d'abandonner un vieillard et un jeune blessés aux mains d'une bande de brutes. Cela en allait de l'honneur de Muha'Omyri et de celui du clan Kel Ouleiad.
Le vieillard le fixa d'un air méchant, prêt à donner un coup de canne au besoin mais il renonça en entendant le cri caractéristiques du milicien énervé qui cherche à se faire comprendre de ses camarades. Appuyant le gamin sur son épaule, Muha'Omyri suivit le vieillard à travers la ruelle.
«
Eh bien... Je crois que je peux faire une croix sur le fait de trouver un travail aujourd'hui. Pensa t-il avec un sourire. »