Ce fut sous une pluie battante qu'Evelyn rejoignit la maison miteuse dans laquelle Joli-Coeur et ses sbires avaient établi leur quartier général. Après avoir frappé à la porte, elle dût attendre de longues minutes sous des trombes d'eau avant qu'on ne lui ouvre. Elle passa devant l'homme qui lui avait ouvert en lui jetant un regard noir qu'il ignora en baillant ostensiblement, et pénétra dans la pièce principale. Il devait être autours de onze heures et la salle était quasiment déserte, à l'exception d'un soudard affalé sous une table. Pas de trace de Joli-Coeur.
Evelyn s'assit à une table au fond et attendit.
Un gros quart d'heure plus tard, Joli-Coeur entrait dans la pièce, mal rasé et une pipe à la main. Il vint s'installer en face de la jeune fille et lui lança un sourire tordu et avec trop peu de dents pour être honnête.
"Alors gamine, où est mon or?"Evelyn posa sur la table le sachet de tissu, une bourse contenant les pièces et la lyre. Le malfrat commença par compter, l'argent, puis examina soigneusement chacune des pierres précieuses dans la lumière terne qui filtrait des fenêtres. Il jeta un regard dédaigneux sur la lyre avant de la rejeter sur la table sans ménagements.
"Pas mal. C'est tout ce que tu as?"Ses petits yeux porcins s'étaient faits inquisiteurs. La voleuse décida de dire – partiellement – la vérité.
"Oui. Je me suis alliée avec le fils de la maison que j'ai cambriolé, il m'a trahie et je me suis enfuie avec ce que j'ai pu récupérer avant que la garde n'arrive."La garde était arrivée à cause d'elle mais ça, Joli-Coeur n'avait pas besoin de le savoir. Celui-ci se passa la main sur le menton, le regard passant alternativement du butin sur la table au visage à demi-masqué de la jeune fille. Ce manège continua un petit moment, avant qu'il ne lance :
"Tu sais gamine... Normalement ça ne suffirait pas. Mais ce qui m'intrigue, c'est que tu sois parvenue à mener à peu près correctement à bien cette mission. Les maisons de bourgeois sont bien gardées, même mes gars n'y mettent pas le nez. Mais toi, tu en entres et tu en sors."Il appuya son pied sur la table et poussa, envoyant sa chaise basculer en équilibre sur les deux pieds arrière.
"Si l'on excepte le fiasco final, c'est plutôt pas mal. Je t'ai peut-être sous estimée," admit-il.
Evelyn retint son souffle tandis que le malfrat soufflait lentement la fumée puante de sa pipe. La situation prenait une tournure pour le moins inattendue.
"Je m'en souviendrai", conclut-il en empochant les pierres et l'argent et en se levant avant de se détourner.
La lyre était restée sur la table. Après un instant d'hésitation, la jeune acrobate la récupéra sas trop savoir ce qu'elle en ferait.
(Elle doit bien valoir quelque chose.)Evelyn se leva et quitta le repaire de Joli-Coeur.