"
Yarthiss ! Atterrissage à Yarthiss d'ici quelques instants !", entends-je subitement à côté de moi.
Encore un peu ensommeillé, je frotte mes yeux, revoyant mentalement les derniers événements.
Après avoir vaguement rangé le bout de papier attestant de mon achat à Bouhen, j'amène mon oiseau à bord de l'engin bizarre. Lyïl ne semble pas franchement en avoir peur, au contraire de quelques passagers redoutant de poser le pied sur la rampe. Ridicules. Comme l'a annoncé le géant au comptoir, ce navire étrange ne décolle pas avant une bonne heure, le temps que des marchandises et des passagers en retard n'arrivent. Je demeure attentif aux mouvements des autres créatures à bord, histoire de m'assurer qu'elles gardent leur distances.
Perché sur le bastingage, je ne parviens pas à rester de marbre quand toute la structure tressaille, vibre, puis décolle dans un vrombissement qui n'a rien de naturel. Ce moment de surprise passé, je demeure bras croisés, à regarder le sol s'éloigner. Rien de bien extraordinaire pour quelqu'un qui sait déjà voler. Ce qui est un peu plus fascinant, c'est d'apercevoir des lueurs synonymes de vie humaine, et surtout la vitesse à laquelle je les dépasse.
(
Si j'avais des pierres bien lourdes à faire choir sur ces imbéciles... ), m'amuse-je.
Je finis par m'accoutumer aux bruits et m'adosse au montant de bois, lové contre mon oiseau, pour sommeiller un peu. Je ne dors que d'un œil, et pas sur de longues périodes. Évidemment, il faut qu'un des passagers soit malade non loin, et qu'un autre ait si peur qu'il prie à voix haute en permanence.
Quand je trouve enfin le repos, il faut justement que nous parvenions à une escale. Malgré la nuit tombée sur le vaste endroit, nombreuses sont les silhouettes de toutes tailles à se mouvoir entre les bateaux volants. Ces elfes de "Air-Gris" sont rodés à l'exercice, et il ne me faut qu'une poignée de minutes pour monter à bord d'une version gigantesque de ce que j'ai emprunté. À bord, je demeure méfiant et me tiens près de la sortie en restant discret. Trop d'abrutis à peau rosée, ayant pu voir l'avis de recherche lancé par la grosse moche. Pas assez d'endroits où se percher pour esquiver les bottes. Et là encore, il me faut attendre que cesse l'afflux de géants malodorants avant que le départ ne se fasse.
C'est donc sur le qui-vive que je quitte à dos de harney le vaisseau trop rempli une fois à destination. Là, à Tulorim, un elfe gris apprend à la ronde un retard pour le départ suivant. Le cynore a apparemment percuté un obstacle dans les airs et doit donc être examiné. Contrarié, seuls les visages pâlissant de certains géants m'empêchent de franchement m'énerver. Quand j'embarque, je suis satisfait de voir quelques imbéciles humains préférer attendre plutôt que de prendre ce vol. Idée à retenir ça, faire courir le bruit d'un risque pour réduire le nombre d'enquiquineurs.
Cette fois-ci, installé non loin du pilote heureusement silencieux, je parviens à dormir un peu plus posément. J'aurais pu déballer le filet lutin et le suspendre, mais j'aurais perdu ce temps-la en repos. Et il m'aurait en plus fallu le ranger ensuite.
Lorsque je suis réveillé à l'arrivée, je remarque que le jour est en train de se lever. Finalement, le trajet a été court. J'ai encore du mal à croire que je suis à présent sur un autre continent, et si loin de mon point de départ.
Après avoir guidé mon oiseau hors de la machine volante, je nous éloigne en bordure de la zone d'embarcation et le nourris. J'en profite pour faire de même et manger une baie sucrée, tout en demeurant vigilant. Mon estomac est encore un peu noué.
C'est l'orbe noir qui m'a poussé à venir jusqu'ici. Même si la Voix Sombre a été vaincue, croire qu'elle a entièrement disparu serait naïf. Peut-être que ce fragment de son pouvoir contient encore son souhait de me nuire. Je dois demeurer sur mes gardes. Qui sait si je ne vais pas tomber dans un piège ? C'est toutefois un risque à courir car cette pointe de doute a fait se réveiller la corruption. Je sens la fièvre attaquer mon pectoral gauche et mes lombaires.
(
Bon, Yarthiss. Et maintenant ? )
Je lève le nez, attentif et plus méfiant que jamais, tout en flattant le plumage de mon oiseau sombre. Est-ce que l'orbe va tenter de communiquer encore une fois ?