--> Les Ruelles d'EniodL’intérieur du temple était sobre d’aspect. Les murs étaient droits et sans ornements mais des couleurs par milliers de reflétaient en mouvement furtifs sur les murs du fait de l’eau vive qui s’échappait des fontaines. Les miliciens étaient dans la deuxième salle du temple, la première n’était qu’un long hall étroit et peu affecté au service du temple. Jadelle avait dû y déposer son arc, son carquois et son épée et le mage retirer son manteau.
La naine put alors constater que son visage grave était coiffé d’une chevelure très étrangement arrangée. Le dessus du crâne était couvert de cheveux touts justes longs pour permettre de faire une myriade de petits chignons sévères tandis que les longs cheveux à la base de la nuque étaient tressés en une longue tresse qui tombait sur l’épaule droite comme Jadelle l’avait déjà vu. La naine fut embarrassée par cet humain. Il pouvait bien avoir son âge mais elle penchait plutôt pour un jeune homme qui aurait muri trop tôt. Sa peau était plate et aucune ride ne marquait son front au teint halé par le soleil.
(Le feu ?) Sous sa cape, il portait une tunique rouge renforcée de plaques de cuir au niveau du torse et des poignets. Des sandales de cuir décorées de petits ornements de métal protégeaient maigrement ses pieds longs et blancs. Ses yeux d’un vert éclatant habitaient tant son visage qu’on pouvait en oublier son corps disgracieux.
Ils restèrent seuls avec les trois miliciens. Dague ne les accompagnait pas. Ils étaient tous d’un physique commun pour des hommes : cheveux aux épaules, barbes et moustaches courtes, yeux ridés par le travail et le souci, épaules larges et carrées, de taille moyenne, fins, vêtus de l’uniforme de la milice.
Jadelle s’éloigna un peu et atteignit l’autel situé au fond de la salle. Deux calices d’argent l’entouraient, diffusant une douce lumière orangée qui se perdait dans les bleus des reflets d’eau, et les verts de la végétation. Jadelle s’isola pour prier. Elle vouait, comme la plupart des habitants de Yuimen, un certain respect pour le dieu éponyme qu’elle reconnaissait. Toutefois, son affection se portait surtout vers Meno, comme pour beaucoup de nains. Meno, Dieu forgeron était celui qui permettait de garantir la vie offerte par Yuimen, aussi prenait-il une plus grande place dans la hiérarchie de Jadelle. Valyus lui plaisait aussi également, il semblait que seul lui et Meno se soient un jour souciés des nains. Aussi, les soirs où adolescente, elle s’échappait de sa petite chambre pour rencontrer un jeune nain à la surface, en dehors de Rock Armaht, la vue d’un orage l’avait toujours rassurée et elle voyait les éclairs comme des amis, des forces imbattables qui étaient dans son camp et se transformaient en signe de bonne augure. Toutefois, elle se méfiait et détestait même, on peut le dire, Thimoros, celui qui faisait naître la peur, la douleur et la mort et sa fille Oaxaca, la terreur indomptable, la maîtresse des orgueils de l’homme conquérant. Elle ne s’était pas vraiment préoccupée des autres dieux sur lesquels elle était d’ailleurs peu instruite. Ce n’était pas qu’elle niait leur existence mais elle estimait que les dieux étaient assez intelligents pour comprendre que l’on voue un véritable culte au dieu qui prend part à notre vie. Aussi, Moura ne semblait pas être comprise dans sa vie, à moins que l’eau qui coulait sur son corps sale lors du bain ou dans sa gorge asséchée ne soit aussi active du fait de la déesse. Ceci bien réfléchi, Jadelle estima que si elle priait Meno ici dans le temple de Moura, la déesse ne lui en voudrait pas et même accepterait son geste avec compréhension et bonté.
(Cela fait bien partie de ses qualités a dit le prêtre)Alors qu’elle était en pleine prière…
(Meno, âme compagnonne, toi qui m’a toujours porté chance du bout de mes flèches, j’espère que tu ne devras pas m’aider trop souvent car cela signifierait que ma vie soit en danger, mais je respecterai toujours ta présence à mes côtés qu’elle soit douce ou belliqueuse. Que le fer couvre ma tombe si un jour je te négli…) une énergumène s’était jetée sur elle, l’avait traîné tandis qu’elle se débattait en criant, et l’avait jetée dans un des bassins luminescents. La naine sentit une main lui appuyer sur la tête puis se retirer. Elle put enfin sortir de l’eau et se tint au rebord du bassin. Elle réussit à agripper la jambe de son agresseur qui s’effondra. Il eut un mouvement pour protéger ses jambes et Jadelle se souvint alors du vol de ses flèches.
« Le Kendran ! » s’exclama-t-elle. L’homme se releva tant bien que mal, c’était un tout jeune homme, à peine vingt ans, elle parvint à le pousser contre le muret du bassin.
« Toi, mon filou, ce n’est pas la première fois que je te croise. » Elle interpella des prêtres qui entraient suite au raffut produit par la chute et les cris. « Ainsi Moura accepte les voleurs dans son enceinte sainte ? Sa bonté est certes bien grande si elle protège les hommes qui entravent le travail des miliciens qui défendent son propre temple ! » L’un des prêtres s’interposa et fit signe au jeune homme de se taire et de rester tranquille. Il avisa la naine :
« Eibyl est un de nos élèves scribes. Je le vois mal voler. Il n’a fait que suivre une ancienne coutume qui consiste à baptiser dans la joie les nouveaux convertis à Moura.-Moura est pleine d’humour mais je vous assure que ce vaurien à il y a de cela environ une semaine volé trois de mes flèches, celles qui me sont les plus précieuses et que j’ai durement gagnées en protégeant la ville des Shaakts.-Je veux bien croire la milicienne mais la naine reste un être dont il faut se méfier en mon sens. Je parlerai à vos supérieurs pour connaître le fin mot de cette histoire mais je propose une trêve pour ce soir, un temple n’est pas un lieu de litiges et de coups, soient-ils justifiés. »Le jeune garçon s’éloigna sur un signe du prêtre et se retourna avant de sortir pour jeter un regard glacial à la naine. Jadelle retrouva son calme et resta à distance des bassins. Le mage s’approcha d’elle et regarda ses vêtements mouillés.
« Un peu de feu ne serait pas inutile dans cette grande bâtisse ». Du creux de ses mains, une petite boule de feu sortit et il fit un large signe circulaire des bras et la naine se retrouva enveloppée d’un aura orangé. Elle se sentait luciole dans un monde bleu. Au bout de quelques minutes, le mage récupéra le feu sortit de ses paumes et Jadelle le remercia. Elle était entièrement sèche.
« Je ne veux pas que demain tu négliges ta mission à cause d’un rhume » fut sa seule réponse.