III.5 Avertissement.J’ai du mal à comprendre ce qu’elle me dit lorsque j’entends encore une mélodie. Je tourne la tête dans la direction que j’estime être la montagne. Il a-t-il quelqu’un qui joue d’un instrument ? Le lieu est-il vraiment maudit si loin des terres de la reine sombre ? Je continue de me poser des questions lorsque je m’aperçois que j’ai traversé le pont de l’autre côté du fleuve. La mélodie se fait plus forte et avec elle une sorte d’hypnotisme m’attire à elle. Je marche désormais le long d’un sentier de la montagne. J’aperçois quelques arbres dans la noirceur de la nuit ainsi que de rares animaux sauvages. La puissance sonore fluctue à mon arrivée d’une grotte. Elle devient de moins en moins forte et m’oblige à pénétrer à l’intérieur pour continuer à la percevoir. Les lieux sont froids et aucune lumière ne passe, m’obligeant à marcher à tâtons. Je sens un vent glacial souffler, mais mon esprit reste focalisé sur la musique de moins en moins audible.
Le vent souffle de plus en plus fort et je sens de petites choses se poser sur moi et fondre. Cette fois-ci c’est une grande bourrasque qui m’oblige à m’arrêter et à me protéger du vent avec mes bras. Lorsque cela cesse enfin, je suis dehors, à flanc de montagne au beau milieu d’une tempête de neige. Lorsque je me retourne pour faire demi-tour, je n’y voie qu’une paroi de glace et de neige. Je cherche le chemin en frappant de mes mains la paroie, mais je ne parviens qu’à faire tomber un tas de neige sur moi. Je m’extrais avec difficulté, complètement gelé et perdu. Le paysage qui s’offre à moi et terrible : des sommets de montagnes vertigineux, des crevassent sans fonds et partout une épaisse couche de neige. Tout est visible sans qu’une importante source de lumière ne soit présente, rendant la scène irréelle. Pourtant un peu plus loin une lumière vive est perceptible, signe d’une présence et ma seule chance de survie.
Je rabats autant que possible mes vêtements pour offrir un minimum de surface de peau contre le vent glacial qui reprend. Je suis transit de froid, mes jambes ne sont portées que par ma volonté. Je les sens à peine et je n’ose imaginer mes pieds qui ne font que suivre le mouvement, sans que je ne puisse les sentir et encore moins la fermeté du sol rendant ma marche hasardeuse. Je manque à plusieurs reprises de tomber, mais je parviens à tenir de justesse avec mes mains en me retenant à chaque fois aux parois glacées que je longe. Le contact avec la glace est de moins en moins dure à mesure que je me refroidis, mais les irrégularités provoquent des coupures me rappelant que cette sensation de froid qui diminue est mon principal ennemi. J’halète à présent. La fatigue s’installe rapidement dans un tel milieu et mon propre souffle m’est insupportable. Pourtant, je continue ma traversée dans ce qui peut être à tout moment ma tombe de glace. J’ignore comment je suis arrivée là, mais ce que je ressens est bien réel tout comme l’espoir que je ressens lorsque mon regard se pose sur cette lumière. Mes membres fatiguent. Je peine à marcher même en m’aidant de mes bras camouflés dans mes vêtements. La lumière est proche, cependant il me faut gravir une pente et me frayer un chemin dans un bain de neige.
Chaque pas n’est que douleur. C’est à peine si mes mains me permettent de saisir les rares anfractuosités qui s’offrent à moi. Je gravis les derniers mètres en rampant. C’est maintenant tout mon corps qui lutte pour avancer et je ressens une énergie décuplé lorsque je vois à quelques mètres de moi un feu dans une petite grotte. Je me débats dans cette couverture blanche. Mes pieds ne me répondent désormais plus. Pourtant mon calvaire n’est pas terminé. En me rapprochant des flammes, ma peur de l’élément de feu refait surface. Je suis tiraillé entre le désir que me réchauffer et le souvenir de mon enfance où j’ai failli brûler vif, mais en gardant de lourdes séquelles psychologiques. Finalement, je parviens à me rapprocher de cet élément de terreur en me faisant violence, mon instinct de survie face au froid me pousse dans mes retranchements. Je me place près de la source de chaleur en guettant, comme si le feu allait me sauter dessus à tout instant. Je tente de me relâcher un peu pour trouver une solution à mon problème actuel. Il y a bien une personne qui a fait ce feu, quelqu’un qui pourrait m’aider. J’attends donc patiemment en me frictionnant les membres pour me réchauffer plus vite.
Je me sens mieux, même si la peur du feu reste présente. Je suis comme un lapin qui cherche la protection auprès d’un loup, pouvant se faire dévorer à tout instant. J’ai peur, mais je me sens si bien que j’en ferme mes paupières quelques instants. Je me réchauffe lentement et apprécie presque d’avoir plus chaud que je ne le voudrais. Lorsque j’ouvre à nouveau les yeux, le feu s’est emparé de moi comme le je craignais. Il a commencé à dévorer mes vêtements trop près et maintenant c’est tout ce que je porte qui s’enflamme. Je tente d’enlever mes vêtements, mais le style vestimentaire d’Oranan impose une certaine manière de se vêtir ainsi que de se dévêtir. J’ai beau les arracher, ma faible force m’en empêche. Je suis pris dans une prison sous la forme d’un tissu de feu qui me tue peu à peu. Le pire, c’est que j’ai pris cette tenue comme un symbole de ma liberté, de ma nouvelle condition, de ma nouvelle vie.
(La neige ! Elle peut étouffer les flammes !)
Je ne cherche plus à me débattre, je sais que c’est vain. Je cherche la sortie de la grotte en me fiant à mes bras tant les flammes sont partout autour de moi. Le monde qui m’entoure n’est désormais que feu. J’ai horriblement mal. Il y a à peine quelques minutes moi qui gelais sur place, je tente à nouveau de retrouver ce froid. Je marche encore et encore, en sentant ma chair cuire sans trouver la moindre once de neige. Je n’en peux plus, je suis à bout de force et me laisse tomber sur le sol. Ainsi je vais finir ma vie, brûlé par un élément que je pensais un jour dominer. Le feu a toujours été plus fort que moi, même lorsque je m’entraînais à lancer des boules de feu.
"Vas-y ! Dévore-moi !"Je me laisse engloutir par les flammes en oubliant toute envie de vivre. Une dernière idée fait surface dans mon esprit. Elle est idiote, elle ne parviendra pas à me sauver, mais si ce sont mes derniers instants autant user de ma magie une dernière fois. Je ne suis plus à une boule de feu près désormais. Je tends mon bras droit dont la chair brûlée donne de nouvelles teintes à ma peau. Je cherche le fluide de feu en moi et, dans mon état, il est facile à atteindre provoquant une boule de feu presque instantanément. Rien ne se passe bien entendu, hormis peut-être la peur qui s’estompe et la boule de feu qui reste dans ma main. J’avais peur d’être brûlé à nouveau, mais maintenant que c’est le cas et que je me sais bientôt mort je n’ai plus de raison d’avoir peur. Les flammes dans ma main ne vont pas sauver une torche humaine à se débarrasser du feu qui le recouvre. Je continue de regarder ma main qui malgré moi domine une mince partie de flamme. Un peu plus loin, je crois voir une ombre s’avancer vers moi.
Est-ce la personne qui a allumé ce feu, étais-ce un piège contre un intrus ? Peu importe, dans mon état plus rien ne peut m’aider. L’ombre continue d’avancer devenant une silhouette humaine. Vient-il regarder son œuvre ? Je le vois tendre le bras vers le mien. Mais que fait-il ? Il va brûler avec moi s’il se rapproche encore ! Sa main effleure la mienne et les flammes qui m’encerclent sont comme aspirées dans ma boule de feu dans un immense tourbillon. Ce n’est que lorsque la main de la silhouette agrippe la mienne que les dernières flammes disparaissent et que je reconnais Sylve. Tout est noir, hormis le ciel parsemé d’étoiles. Je suis près du pont et derrière moi et la montagne se dresse derrière moi.
"Ce lieu est dangereux ! Tu as de la chance que j’aie vu une boule de feu partir dans le ciel." Me sermonne la semi elfe, dont le ton de voix laisse entrevoir un soulagement.
Elle me raccompagne jusqu’à notre caravane. Je suis éreinté, et bien que j’arrive à me tenir debout j’ai besoin du soutien de Sylve sur le chemin. Des gens affluent autour de moi. Ils parlent d’un lieu où peu de personnes sont revenues, mais je n’en ai cure. Je ne souhaite que me reposer à présent. N'ayant pas de brûlures une question perdure en moi.
(Est-ce que tout ça était dans ma tête ?)
III.7 Enfin Kendra Kâr.