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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Mar 21 Mai 2013 15:34 
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Jet de réaction Kahlyndra : Échec
Jet de réaction Cavalière : Réussite


Peut-être est-ce parce que votre destination est proche, mais l'atmosphère est chargée de nervosité, et ce ne sont pas les tours des ménestrels qui parviennent à la détendre. Le camp est silencieux, pas même dérangé par des conversations.

Ton sommeil est tranquille, même si, au milieu de la nuit, tu peux sentir un léger inconfort. Entre deux songes, tu as l'impression de distinguer des voix féminines, mais rien qui t'incite à te réveiller.

Au matin, alors que tous les présents finissent de ranger leurs affaires, tu pourras te rendre compte que Bella a la joue gauche rougie, et que son regard poignarde la cavalière. Un air gêné entoure les artistes, observés avec curiosité par Adrien.
Avant le départ, votre meneuse vient se planter devant toi, te tendant une bourse que tu reconnais immédiatement. C'est celle que tu as gagné contre Liam.

"Maintenant, je n'ai plus aucun doute à votre sujet. Si les membres d'un même groupe sont réellement unis, ils ne se volent pas entre eux."

Elle semble t'observer un peu, puis se désintéresse de toi, reprenant la tête du convoi.

Le restant du voyage se fait à un rythme soutenu, sur une voie à l'apparence entretenue, mais qui a surtout pour caractéristiques un angle croissant et une traversée de bosquets. Les arbres forment des arches assombrissant les environs, et le vent y souffle en continu. Entre les branches, tu peux, à de rares occasions, apercevoir se découper les remparts du château vers lequel vous vous dirigez.

Le groupe ménestrel laisse entendre des piaillements d'excitation et des commentaires au sujet de numéros à faire. Visiblement, ils ont l'intention de se faire connaître.

La seule chose qui parait évidente est que vous y serez sous peu.

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Jeu 23 Mai 2013 00:58 
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J’ai enfin pu dormir. Tant mieux parce que je dois être présentable au château. Ça rigole plus ! J’suis plus une catin. Je sens que ça va être une bonne journée !
J’ai gagné une bourse, j’espère en pomper quelques-unes bientôt, je vais voir une grosse riche, j’ai de l’alcool, du tabac et des larbins… qui tirent la tronche. Non, ça ne va pas ça ! Ils cassent tout…

« Bah alors ? Vous avez eu froid au ventre cette nuit ? »

Ils me répondent pas et continuent de ranger leurs tas de merdes. J’sais pas ce qu’il s’est passé hier soir mais le gros lard a dû faire un spectacle pourri.

« Et la dinde, elle veut pas glousser pour voir ? »

Carotte se retourne et, de là où je suis, j’constate que sa peau a la couleur de son nom. Elle est amusante, on a l’impression qu’elle voudrait me défoncer… Enfin, j’veux dire réellement, pas comme on veut le faire d’habitude.
Marrant, j’avais jamais remarqué qu’elle bigle cette gourde. Quoique… En fait, c’est peut-être la blondasse qu’elle regarde comme ça.
Mon cocher me regarde et semble tout aussi à la masse que moi. J’sais pas si ça doit me rassurer. Et les autres, bah ils font l’air de rien.

« Bonne ambiance ! Je sens que ça va être une bonne journée ! »

J’ai pas fini ma phrase que la blonde se pointe devant moi. Elle tend le bras, je sens que je vais m’en prendre une. Par réflexe je ferme les yeux mais rien ne se passe.

« Maintenant, je n’ai plus aucun doute à votre sujet. Si les membres d’un même groupe sont réellement unis, ils ne se volent pas entre eux. »

J’ouvre les yeux pendant qu’elle parle et je vois la bourse de … enfin, ma bourse, dans sa main. Elle fait quoi avec ma bourse elle !? Je la reprends directement et la fourre entre mes seins au point que l’un des deux essaie de se sauver…
Elle me regarde et se barre sans ajouter un mot et monte sur son canasson.
J’fais la même chose sur ma charrette et continue de les regarder tous. Roussette continue de tuer par la pensée tout en serrant les dents. Chapeau ne chante pas, son violon sur pattes regarde l’intérieur de leur charrette…

« Ça sert à rien de te venger. Souris, c’est comme ça que tu gagnes de l’argent. »

Je viens de comprendre… Sérieux, j’ai été longue à la détente… Je suis loin d’Exech depuis trop longtemps. J’me suis faite braquer par cette pute au rabais ! Je vais lui enfoncer des pièces au fond des yeux et lui faire recracher par le nez !


« C’est payant pour me toucher ma grosse. T’as apprécié j’espère ? Ça doit pas t’arriver tous les jours de toucher un corps qui fait bander ? »

Ma fontaine à vin me répète de me calmer et me propose, justement, de boire et de fumer. J’aurais toujours envie de l’égorger mais, au moins, ça m’occupera en attendant.
Si au début ils faisaient les gênés, là, ils recommencent à me casser les oreilles avec leur crin-crin ou à parler de leurs tours à la con. J’vais lui fourrer où j’pense leur rat.

En tout cas, la blondasse doit en avoir ras-le-cul comme moi parce qu’elle augmente la cadence. On traverse des allées d’arbres qui me rappelle, je ne sais pas pourquoi, Exech.
Elle veut arriver, et moi aussi.

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Sam 17 Jan 2015 16:55 
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Au-dessus des arbres, tout en restant méfiant à cause de potentielles ombres, je peux distinguer les vagues taches colorées des toits de Bouhen. Doux mais ferme, j'incite mon oiseau à s'élever davantage, préférant mettre un bon espace entre les cimes et lui. Pour une fois, il fait beau. Le soleil étant dans mon dos, je peux profiter de son éclat tiède sans devoir plisser les yeux. Un peu sur ma droite, je commence à apercevoir une raréfaction des végétaux de grande taille. Normal, une voie s'y dessine et un mouvement m'apprend la présence d'un petit groupe. Je n'y prête guère attention, constatant juste qu'une bande de créatures vives, peau de bronze, oreilles pointues et vaguement vêtues s'amuse à faire rouler quelque chose sur la route.

Je m'en moque, occupé par mes propres affaires. Ce n'est qu'un peu plus tard, en constatant qu'un duo de chariots emprunte cette voie en sens inverse, que je devine ce qui va se produire. Mais je suis pressé. Dommage. J'aurais bien aimé voir comment tout cela va finir. Surtout pour les humains apparemment peu armés.

À la mi-journée, la lisière des bois atteinte, je laisse ma monture se reposer un peu et mange un morceau aussi. Je sais que je devais donner le change, mais en conséquence, la quantité de rations achetée me semble démesurée.

( Bah, je pourrais faire le difficile comme ça. )

Même mordre à pleines dents dans un fruit sucré a du mal à chasser un brin d'amertume. Je résiste à l'envie de regarder en arrière, mais j'ai du mal. Et cela a le bon goût de me contrarier, chose qui me rend mes forces. Au loin, j'aperçois des formes s'élevant du sol et se déplaçant dans les airs. C'est curieux, mais je doute fort que ce soit là une réussite humaine. J'y réfléchis, puis un vague souvenir me revient. Les aldrydes ne sont pas les seuls à savoir voler. Des elfes aussi, mais grâce à des engins, et à bord desquels il serait possible d'embarquer.

D'ici quelques heures, je devrais pouvoir atteindre les environs de la cité et en avoir le cœur net. Ce serait tout de même plus pratique, et surtout tolérable, pour atteindre ma destination que de prendre un navire, humain qui plus est !



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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Sam 31 Jan 2015 12:31 
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À allure plus que modérée, je fais progresser mon oiseau vers la forêt que nous approchons. D'ici peu, nous serons sous son couvert et à l'abri de la chaleur horripilante du zénith. Je fais toutefois attention à ne pas brusquer Lyïl et lui caresse doucement le cou. Ce trajet a été assez rapide, mais j'ai bien failli épuiser mon harney à force de le pousser.

Après mon départ de Bouh-Chêne, l'idée que Dae'ron se retrouve face à celui qui m'a défiguré m'a rendu plus que nerveux. Crispé, j'ai incité Lyïl à voler aussi vite que possible, et plus encore une fois hors du couvert forestier. J'ai d'ailleurs eu franchement peur pour lui quand un chant faible est parvenu à mes spirales. Ma tension m'avait rendu aveugle à la fatigue de l'animal et à la mienne. Sans la venue brutale d'une buse juste à côté de nous, et qu'il m'a fallu repousser à plusieurs reprises, nul doute que j'aurais occulté un temps de repos nécessaire. Ce n'est qu'à l'abri dans les branches d'une saleté de verger humain que j'en ai pris conscience. J'y ai passé plus de temps que nécessaire, mais au moins j'avais de nombreux fruits à portée de main. Et mon oiseau n'a pas semblé m'en tenir rigueur.

La leçon a été rude, mais pour le bien de ma monture, je me suis efforcé de ne pas le faire voler à son allure habituelle et à m'arrêter souvent. Par contre, j'ai pris un malin plaisir à me servir dans les récoltes à peine mûres des arbres fruitiers humains. Il n'y a qu'une seule fois où je n'ai pas pu m'attarder plus de quelques minutes. L'un des affreux rejetons de cette race, couvert de poussière, face d'abruti et malodorant, s'était mis dans la tête de grimper aux arbres dans lesquels je trouvais refuge. Et il me poursuivait cet imbécile !

Alors je n'ai pas hésité à utiliser ma magie sombre, lui collant une trouille si grande qu'il a chuté de l'arbre. Si le bruit perçu après son hurlement effrayé était bien celui de sa tête heurtant une surface rigide, je pense pouvoir affirmer que j'ai causé sa mort. Ou au moins une belle blessure qui va le rendre encore plus stupide qu'il ne l'était. Personnellement, je préférerai largement qu'il y soit passé. Cela aura au moins eu la décence de servir de compensation. Non seulement des versions grand gabarit se sont pointées à cause de son cri strident, mais en prime j'ai du gaspiller des fléchettes dans leurs membres pour pouvoir partir tranquille. Je hais ces créatures. Si je n'avais pas été aussi pressé, j'en aurais peut-être abattu quelques-unes !

Au moins, mes deux nuits ont été relativement tranquilles. Cependant, même si mon corps est plus reposé grâce à cet étrange lit suspendu lutin, mon esprit ne s'est toujours pas remis. Dès que mon sommeil est trop lourd ou trop léger, les images de la caverne me reviennent. Ce sont des souvenirs mêlant feu, écailles et sang, dans lesquels je suis grandement impuissant. Ou dans leur version plus légère, je parviens à bouger, mais jamais à empêcher Plume d'Argent de tuer mon congénère. Il n'est pas rare que je me sois éveillé avec le sentiment d'avoir pleuré, même si mon visage n'en arborait aucun signe. Tout ça parce que je n'ai pas su rompre ce lien à temps...

Perché sur le dos de mon oiseau, je sens mes plumes se hérisser alors que nous amorçons notre descente vers le couvert végétal. Autant Lyïl semble glisser avec aisance dans cet air familier, autant un frisson instinctif me parcourt. Même ma cicatrice qui n'a plus rien de récent semble être sujette à une pulsation désagréable. Mes sourcils se froncent et mes envies de meurtre ressurgissent. Je n'ai pas besoin de tenir le Cœur Sombre dans ma paume pour ressentir son néfaste pouvoir colorer ma peau.

( Célestin... Lutin de malheur... Si jamais tu as ne serait-ce que froissé l'une de ses plumes... )

L'idée même me révulse et je fais plonger adroitement ma monture entre les premiers troncs.



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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Sam 10 Déc 2016 21:59 
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Le soleil était bien haut, tout comme ta tête. Tu marchais d'un pas décidé, un sourire aux lèvres, mâchouillant les restes du jambon que tu avais volé aux portes de Kendra Kâr, la veille. Tu savais plus ou moins où tu te rendais et en ce qui en concernait la raison, tu l'envisagerais plus tard. Pour l'instant, tu profitais juste de cet instant de bonheur.

Tu t'étais réveillé en sursaut, aux premières lueurs de l'aube. En fait, c'était les rayons originels du soleil qui, s'abattant de plein fouet sur ton visage encore marqué des traces de l'enfance, t'avaient sorti du doux sommeil que la venue de la nuit t'avait apporté. Il en était ainsi depuis que tu avais quitté Kers. Tout comme ton feu s'éteignait immanquablement à mesure que la lune voyageait dans l'espace céruléen, tu te levais en même temps que le soleil avec, toujours, cette peur qui te serrait les entrailles, celle d'être en danger. C'était stupide - et tu le savais - parce que quiconque pouvait t'attaquer durant la nuit et tu étais sans défense. Tu t'étais endormi au pied du même arbre où tu t'étais précédemment installé, là où cette Faera t'étais apparu. Tu y repensais confusément, tout en regardant autour de toi - mais elle n'était plus là. L’appréhension l'avait emporté. Tu lui avais dit non.

Tu avais dispersé les cendres de ton feu de camp, emballé les restes du jambon pour plus tard. Tu t'étais enfoncé dans le bois à la recherche d'un cours d'eau, autant pour te désaltérer que pour te débarbouiller. En chemin, tu avais même trouvé quelques fruits comestibles. Tu avais ajusté tes vêtements, remisé ton poignard à ta ceinture et accroché l'épée du roi Oborö dans ton dos. Alors seulement tu étais parti et il ne t'avait pas fallu plus d'une heure à travers les champs (à éviter les paysans irritables et irrités) pour rejoindre une route pavée. Elle était assez fréquentée ; tu n'eus aucun mal à demander ton chemin. L'on te répondit que cette route menait de Kendra Kâr à Bouhen. Tu étais exclu de l'une, tu partis donc en direction de l'autre. Le temps était clément, le ciel clair. Tu rencontrais des gens et tu discutais avec eux. Cela suffisait à te rendre heureux.

"Hé ! Madame ! M'sieur ! Attendez !"

Soudain, tu te mis à courir, avalant tout rond le bout de viande que tu gardais dans ta bouche pour mieux en savourer la dernière saveur, et en de rapides enjambées, tu rattrapas le charriot de devant. Sans même en demander l'autorisation, d'un bond, tu t’incrustas à l'arrière du véhicule, avec la femme et les deux enfants - une fille et un garçon - en bas âge. La femme ouvrit la bouche, mais fut aussitôt désarmée par ton sourire éclatant et ta bouille candide. Ta poitrine se soulevant à intervalles rapprochés à cause de l'effort que tu venais de faire, tu tendis le doigt vers l'objet qui reposait, parmi d'autres dans la charrette et que tu n'avais pas manqué de remarquer.

"S'il vous plait... Prêtez-le moi ! Vous... vous allez voir !"

La dame hésitait ; elle jeta un rapide coup d’œil à son mari qui conduisait les bœufs et qui se contenta de hausser les épaules. Sans doute grâce à ton culot éhonté, elle accéda à ta demande et te remit le bel instrument entre les mains. D'abord, tu te contentas de caresser presque sensuelement le bois bien poli de ce luth avant de le faire glisser au creux de tes bras. Là encore, tu passas quelques secondes à faire jouer les cordes sans pour autant produire aucun son. Puis, ta respiration s'étant apaisée, tu agrippas le manche avec plus de fermeté. Voyons : que chanter ? L'épopée du roi Oborö dont tu portais l'arme te chatouillait les lèvres, mais tu la trouvais trop longue, trop obscure aux néophytes. Ils n'en sauraient apprécier la réelle beauté. Aussi, à sa place, tu choisis un sujet plus léger. La Ballade du Joueur de Dés.
Tu pris une profonde inspiration et tes doigts se mirent à égrainer les cordes. De plus en plus vite. La mélodie entrainante s'en échappa bientôt. La petite fille se mit à battre des mains et la femme laissa un sourire éclore sur son visage encore beau malgré l'âge et le labeur.

Oyez la ba-
Oyez la ballade du joueur.
Oyez la ba-
Oyez la ballade du tricheur !

Joueur sans le sou
Joueur et grippe-sous
Il entre dans les tavernes pour dépouiller les braves gens
Il entre dans les tavernes pour faire agrandir son argent :
Il va vous dépouiller !

Joueur éhonté
Aux dés truqués
Il entre dans les villes pour déverser son beau mensonge
Il entre dans les villes pour vous draper avec ses songes :
Il va vous rançonner !

Joueur malchanceux
Haï des dieux
Il entre dans la prison où on l'a emmené vivant
Il entre dans la prison avec ses amis malveillants :
Il s'est fait attraper !


Ta bouche se referma sur la dernière reprise du refrain, mais tes mains continuèrent de s'agiter sur le luth pour le forcer à donner toute sa puissance, tandis que ton pied, emporté, tapait avec violence le tempo sur le sol de bois. Enfin, tu plaquas ton dernier accord.
De tous côtés rugirent subitement des applaudissements et tu constatas, qu'entre temps, les voyageurs s'étaient regroupés autour de la charrette pour mieux t'écouter. Les deux petits enfants battaient des mains à tout rompre et on t'en demandait une autre. Tu avais les joues rouges à cause de ton art - et aussi à cause de ton public inattendu. Ton doigt gratta gentiment une corde tandis que tu pensais à ce que tu pourrais chanter ensuite. Cependant, avant que tu ne t'engageas à nouveau, le conducteur du véhicule sur lequel tu te tenais se tourna vers toi et te sourit de toutes ses dents marrons.

"On va casser la croûte, ça te dirait de te joindre à nous ?"

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Mar 13 Déc 2016 21:46 
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Le soir était très vite tombé. Tu ne t'en étais même pas rendu compte - jusqu'à ce que vous vous arrêtassiez pour établir un camp pour la nuit, en fait. La famille Curtis t'avais comme adopté et tu t'étais délecté de ton chant, de ton instrument et de ton public. Vous aviez mangé sur le bord de la route et tu avais pu, depuis longtemps, te remplir copieusement la panse. En repartant, tu t'étais installé à l'arrière du charriot, avec la mère et ses deux enfants et tu avais tout simplement repris la Ballade du Joueur de Dé. À nouveau, des voyageurs avaient hâté le pas ou, au contraire, ralentit, pour mieux t'écouter. Tu les avais encouragés à chanter le refrain avec toi. La petite fille avait trouvé une cuillère en bois et tapait la mesure contre le bois rêche du véhicule. Son petit frère s'était satisfait de ses deux paumes menues et t'accompagnait tout aussi joyeusement. La mère se contentait de sourire en vous regardant tour à tour. Après la Ballade, tu avais attaqué un chant que tu connaissais depuis ton plus tendre âge : le Roi est Loi. Les mots défilaient en rang serré au creux de tes lèvres et ta voix s'élevait en spirale tourbillonnante et d'autant plus aisément que ta mue ne l'avait guère changée. Les gens venaient et repartaient, fredonnaient ou sifflaient, le bâton ou le rêne à la main, tantôt leurs pieds se faisant rapidement dépasser, tantôt le sabot de leur monture vous doublant. Tu souriais, tu chantais, tu jouais. Les notes ne s'arrêtaient plus, étaient telle une cascade, une source ruisselante de partout, sans fin ni début. Tu apaisais ta gorge régulièrement - mais juste le temps de trouver quoi chanter d'autre. Les heures ne purent que s'envoler et subitement tu étais là, de retour sur tes deux jambes, flageolantes après une journée passée assis, à prêter main forte à M. Curtis pour allumer le feu, tendre quelques toiles pour une tente, un toit improvisé, aller mener les bêtes brouter, tout en les surveillant du regard, puis les ramener pour apporter de la chaleur supplémentaire. Mme Curtis vous prépara un bon bouillon bien brûlant qui t'enflamma tout l'estomac et fit papillonner tes yeux sous la fatigue et le bien-être. La légende d'Oborö te débordait de la bouche, mais tu ne t'y résolus pas : tu reconnaissais que tes cordes vocales étaient à vif et tes doigts incapables de se saisir du moindre objet sans que tu grimaçasses de douleur. Réfrénant ton désir, tu pensas au lendemain. Et tu partis te coucher, aux côtés de l'heureuse famille, un sourire aux lèvres...

Tu fus réveillé en sursaut. Sans savoir pourquoi. Sans savoir ce qu'il se passait. Tu voyais des ombres et tu entendais des bruits. Le feu était presque éteint. Tu étais emmêlé dans les couvertures. Les ombres courraient. Tu te redressas en sursaut et la sueur aux tempes. Il y eut une voix d'homme - et tu reconnus celle, bourrue, de M. Curtis. D'autres ombres, d'autres mouvements. Tu te terras instinctivement contre le large poteau que vous aviez planté en terre pour soutenir les teintures. Tu ne voyais toujours rien et tes oreilles te faisaient défaut. Soudain, une torche. Le feu qui était rallumé. Et tu vis le père, en prise avec deux hommes, les épaules larges, portant des habits sombres. Lui n'était que nus pieds, vêtu d'une simple chemise, armé d'un simple bâton. Un cri de femme. La mère. Sa figure se dressa brusquement devant toi et brilla l'éclat froid de l'acier, du poignard qu'un troisième homme appliquait contre sa gorge délicate. M. Curtis cria lui aussi. Une chaude, mais tremblante poignée enveloppa ta main gauche. C'était Meryl, la petite fille. Tu voyais la forme ronde de son frère, Alberto, aussi près de toi. Ton coeur battait la chamade. Tu réalisas alors que les bandits ne vous avaient pas encore repérés, tous les trois. Avec une extrême lenteur, tu approchas ta main de la boule de corps et de couvertures emmêlées qu'était Alberto et, toujours avec une infinie précaution, le fit passer sous les teintures, de l'autre côté de la tente. Ensuite, tu vins chercher la main de Meryl et sans quitter les brigands des yeux - ils s'étaient rapprochés du feu, tu poussas la petite fille dans ton dos et l'emmena à l'extérieur. Enfin, ton cœur résonnant plus que jamais dans ton crâne, tu t'abaissas sur le sol et passa sous les parois de tissus en rampant.
Une fois fait, tu pris Alberto dans tes bras et Meryl par la main et tu courus.

Le plus vite possible, le plus loin possible ; vous vous enfuîtes du campement où les brigands vous avaient attaqués. Meryl courait du mieux que le lui permettaient ses courtes jambes et même dans cette frénésie, tu pouvais entendre ses sanglots. Au moins le garçon dormait-il à poings fermés. Finalement, vous vous échouâtes au bord d'un vénérable chêne, complètement à bout de souffle. Aussitôt, tu empoignas Meryl et la rejetas de l'autre côté du tronc. Tapis contre lui, tu écoutas, tentant de faire abstraction des battements effrénés qui faisaient souffrir ta poitrine. Vous ne sembliez pas avoir été suivis. Tu respiras. Ton regard se porta sur les hauteurs et plus particulièrement celle sous laquelle vous vous teniez. Puis tes yeux s'abaissèrent à la boule chaude et vivante que tu tenais entre tes mains. Tu grimaças. Tu n'allais pas aimer ça. Tu ne pouvais pas faire autrement, il ne risquait rien, mais quand bien même : tu haïssais l'idée. Cependant, tu n'avais pas vraiment d'autres choix. Tu déposas alors Alberto sur le sol et t'accroupis en demandant à Meryl de venir s'accrocher fermement à ton dos. Quand la petite fut en place, tu te relevas, fis craquer les jointures de tes doigts et commença l'escalade. Pour toi qui avais une dextérité supérieure à la moyenne et rompu à de plus durs exercices, ce ne fut qu'un jeu d'enfant et tu parvins sans peine et très vite aux plus hautes branches de l'arbre. Tu y déposas Meryl en lui demandant de s'accrocher de toutes ses forces au tronc et de ne lâcher sous aucun prétexte. Elle acquiesça. En hâte, tu redescendis - au risque de choir, et récupéra Alberto. Tu réitéras l’ascension et t'installa un peu plus que bas que Meryl, mais sur une branche plus épaisse. Il ne vous restait plus qu'à attendre.

"Maman… maman… "

Il n'y avait plus à courir, il n'y avait plus à avoir peur. Seul le vent sifflait, seul le vent vous était audible. Vous ne voyiez plus leur camp, ne saviez plus ce qu'il s'y passait. Meryl se mit à pleurer. Toi-même tu étais désemparé. Tu te remis debout et tendis la main pour venir prendre celle de la fillette. Tu essayas de la rassurer, en couvrant le bruit de ses pleurs. Une berceuse ! Ton esprit chercha fièvrement dans les moindres recoins de ta mémoire, mais ces chansons douces que tu avais pourtant apprises, comme les autres, se refusaient à toi. Tu parvins à en trouver une, mais les paroles se dérobèrent. Tant pis, tant pis ! Tu murmuras, tu chantas d'une voix sourde, tu inventas, ça ne collait pas tout le temps, tant pis, tant pis ! Meryl finit par se calmer et tu pus te rasseoir. La vérité, c'était que les larmes titillaient tes propres yeux. Tu te sentais impuissant. Inutile. Tu n'avais même plus tes armes : tu ne dormais pas avec et tu n'avais pas cherché à les prendre lors de ta fuite. Tu étais lamentable.

"Je peux t'aider."

La voix fluette te transperça l'esprit et tu redressas aussitôt la tête. Des yeux, tu cherchas la forme familière et elle ne tarda pas à se manifester, sous l'apparence du papillon aux ailes bleutées sur lesquelles se reflétaient la pâle lueur nacrée de la Lune. Tu te rendis compte que tu n'étais même pas surpris de la voir. La Faera t'avait-elle suivi depuis que tu avais quitté ce bois, près de Kendra Kâr ? C'était fort possible si elle était là, juste quand tu avais besoin d'aide.

"Avec mes pouvoirs" ajouta-t-elle encore "je peux t'aider à repousser ces hommes."

Être utile, n'était-ce pas ce que tu souhaitais ?

"D'accord."

Le papillon battit frénétiquement des ailes.

"Dans ce cas... donne-moi un nom."

Tu fermas les yeux, serras les poings.

"Est-ce que tu ne peux pas juste m'aider, comme ça ?"

Tu attendis une réponse. Elle ne vint pas. Le papillon continuaient de voleter juste sous tes yeux. Puis, brusquement, il te quitta. Avec horreur, tu le vis s'éloigner à l'opposée du campement, haut vers le ciel. Tu compris que la Faera ne voulait pas t'aider. Ne t'aiderait pas. Tu étendis subitement le bras, mais c'était trop tard, elle était déjà trop loin ; c'était à peine si encore tu la voyais. Serait-ce tout ? Était-ce la dernière fois que vous vous parliez ? Mais qu'importait, ce n'était pas cela qui venait d'infliger un lourd poids sur ta poitrine, comme une chape de plomb. Tu réalisas que tu voulais sincèrement aider la famille Curtis toi qui, peu avant, te vantais encore ne devoir rien au monde et n'être lié à personne. Tu réalisas que tu ne pourrais supporter la vue de deux corps sans vie, demain matin. Encore moins celle de deux enfants devenus orphelins en une nuit. À cause de toi. Tu les avais sauvés, mais pourquoi restais-tu là aussi ? Tu voulais te sauver toi-même ! Égoïste. Une de tes chansons te revint tout à coup en mémoire. Insensé ! Insensé ! disait-elle. Et elle disait encore : notre cœur est droit. Ah, tu t'étais bien gardé de ressentir ce que tu chantais. Les paroles, tu les avais transformées en suites de mots. "Notre cœur est droit !" Avant, dans un autre temps, un autre lieu, tu vociférais cette phrase avec assurance et détermination. Droit, ton cœur l'était-il encore ou un vol avait suffit pour le pervertir complètement ? Tu hésitais encore. Tu ne voulais pas être lié pour la vie à une créature magique que tu avais à peine rencontrée. Tu avais peur. Et tu te réfugiais dans cette peur sans prêter attention à la voix, encore plus effrayée, qui te criait que tu n'en pouvais plus d'être seul, d'être une poussière entre les pieds des passants, une ombre, coupée de sa vie qui était restée à Kers. Pourquoi donc faire la sourde oreille ? Pourquoi ne pas même comprendre les larmes qui s'étaient mises à couler devant un papillon fuyant ? Insensé, te répétait la chanson…
Enfin, tu fis ce que tu devais faire.

"SILIWIIH !"

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Mer 14 Déc 2016 21:16 
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Le temps semblait s'être arrêté. Le papillon ne battait plus des ailes - sans pour autant tomber. Tu respirais avec difficulté, la poitrine oppressée du poids des larmes qui n'étaient pas tombées. Meryl, ou Alberto, ne disait mot et leur présence s'était comme dissoute, fondue dans le décor grandiose et sombre qui vous entourait, tous les deux. L'Hafiz et la Faera. Le papillon fit demi-tour et, parvenu à ta hauteur, se changea en une petite fée que tu avais déjà vue, dans tes rêves puis dans la réalité. Elle ne souriait pas. Elle ne parlait pas. Attendait-elle quelque chose ? Une confirmation ? C'était ce que tu pensais car tu repris, d'une voix plus étouffée, chuchotée :

"Je t'ai donné un nom. Je veux que tu t'appelles Siliwiih."

Elle ne bougea toujours pas et tu commenças à sentir l'angoisse tordre tes entrailles. N'aimait-elle pas ce nom ? En voulait-elle un autre ? Mais tu n'avais pas d'idées - et plus tu réfléchissais, plus tous les noms auxquels tu parvenais t'apparaissaient vides, indignes d'une telle créature.
Cependant, avant que tu eusses eu le temps d'ajouter quelque chose, le sourire revint sur le visage rond et minuscule de la fée.

"Je ne te quitterai pas, tu le sais ?"

"Oui, je le sais."

"Mais tu me donnes un nom."

Tu resta, un instant, immobile, comme sous le coup de la surprise, puis tes lèvres se relevèrent et ton sourire se fit de plus en plus grand. Brusquement, toute peur t'avait quittée. Tu entrevoyais cette relation si particulière qui unissait un maître à sa faera, à cette confidente, cette intime de chaque instant qui n'était pas seulement un soutient indéfectible, un allié de poids, mais tout simplement, une part de soi-même. Tu n'avais pas fait le bon choix car ce n'était pas un choix. C'était une rencontre.

"Oui !"

La faera s'avança vers toi et, toujours sous sa forme de fée, voleta jusqu'à ton front pour y déposer un baiser éthéré. Ensuite, elle se mit à rire, d'un rire frais et doux qui te réchauffa instantanément le cœur.

(Allons, à présent ! N'avons-nous pas des gens à secourir ?)

La surprise d'entendre cette voix déjà si familière, directement dans ta tête, ne dura qu'un instant. Tu mis Alberto dans les bras de sa sœur et t'assuras que cette dernière était confortablement installée et ne risquait pas de tomber si jamais ses bras se fatiguaient avant que tu ne fusses de retour. En redescendant avec rapidité de l'arbre, tu écoutas attentivement le plan de ta faera. Tes pieds à peine sur le sol, tu t'élanças vers le campement.

(Hé, dis, c'est vrai que c'est à la vie à la mort, nous deux, désormais ?)

(En fait non ! J'ai dit ça pour te faire peur, mais tu peux me répudier quand tu le souhaites.)

(Oh, ce n'est pas mon genre tu sais...)

Vous vous aimiez déjà tant, tous les deux. Tu ne pouvais savoir que Siliwiih t'avais choisi non pour un Destin auquel tu aurais été appelé, mais parce qu'elle avait vu le bonheur que vous auriez à être ensembles et que son insistance avait été motivée par le nombre de ces futurs probables qu'elle avait vus. Pour une faera, elle était plutôt impétueuse et téméraire et à deux vous formiez certainement le meilleur duo de têtes brûlées. De longues et palpitantes aventures vous tendaient les bras et, en cette nuit, vous aviez décidé d'y foncer droit dessus et côte à côte.

Nous nous aimions déjà tant, tous les deux...

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Jeu 5 Jan 2017 21:07 
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Tu courais, tes pieds si légers qu'un œil extérieur eût raconté que tu volais et ne touchais plus terre. À cause de Meryl, tu ne t'étais pas tant éloigné du campement ; bref fut le temps nécessaire à ton retour derrière les lourdes teintures qu'on avait tendues entre deux arbres pour faire un semblant de mur, pour faire un semblant de maison. Tu savais que juste derrière ces dernières se trouvait l'amas de couverture dans lequel tu avais dormi, avec les deux enfants. Juste un peu plus loin s'élevait le feu de camp sur lequel M. Curtis veillait avant qu'il ne se fît surprendre. Les bœufs qui tiraient le charriot étaient sur la droite, légèrement à l'écart. Quant au chariot lui-même, il se trouvait à distance respectable du brasier, cependant dans sa pleine lumière, reposant nonchalamment sur les deux perches de devant. Tu t'accroupis et tendis l'oreille. Ton cœur battait fort dans ta poitrine, mais les rires malsains des brigands étaient plus forts encore. Tu écartas lentement deux teintures pour tenter d'apercevoir la scène. Ils étaient trois au total, près du feu, qu'ils avaient pris soin de raviver ; l'un tenait M. Curtis les mains dans le dos, le réduisant à l'impuissance, un deuxième avait capturé Mme Curtis et la menaçait, l'acier froid de son poignard contre son cou et le dernier, ses armes rangées, fouillait le charriot.

(Si tu t'en tiens à mon plan, ça devrait marcher.)

(Et tes pouvoirs alors ? Tu m'avais dit...)

(On peut se débrouiller sans, en fait.)

(Mais...)

(Je n'utilise mes pouvoirs qu'en cas d'extrême nécessité.)

(Mais...)

Tes doigts se retirèrent du doux tissu et tu reculas sans un bruit, avant d'entreprendre de contourner par la droite ce mur de fortune. Tu hésitais entre la colère et la déception, à l'encontre de ta faera. Siliwiih t'avait déjà menti sur elle - en prétendant que si tu lui donnais un nom, vous seriez liés à jamais - et voilà qu'elle recommençait. Ne te faisait-elle donc aucunement confiance ? Ou se jouerait-elle de toi, finalement ? Malgré ces déplaisantes pensées, tu te concentras de tout ton être sur le plan que vous aviez établi. Ces questions, elles, seraient pour plus tard. Tu aurais tout le temps pour elles, plus tard.

Tu parvins derrière le tronc qui retenait les teintures et t'y cacha. Un coup d’œil pour t'assurer que pas un des brigands ne t'avaient vu arriver. Ta main agrippa fermement une branche, ton pied nu se posa à plat contre le tronc rugueux. Une brève aspiration, une poussée précise ; ta main se saisit d'une autre branche. Sans plus de bruit que ces petites bêtes de la forêt, tu grimpas dans l'arbre. Coup d’œil en bas, à nouveau - ils ne te faisaient toujours pas attention. Ils étaient trop occupés entre eux, c'était ta chance. En faisant très attention, tu passas de ton perchoir à un autre. Puis à un troisième. Tu étais à présent au-dessus du malfrat qui retenait Mme Curtis et tu entendais, dans ton dos, le souffle chaud de la paire de bœuf au repos. Tes mains tremblaient. Tu dus t'obliger à prendre de grandes et lentes respirations. Quand, enfin, tu crus te sentir prêt, tu te relevas d'entre le feuillage et tendis tous tes muscles. Un fugace sourire passa sur ta face. Hé, ça pourrait même être marrant !
Tu sautas.

Tu bondis de ta cachette avec toute la puissance dont tu fus capable et atterris lourdement sur le dos de l'homme comme si tu voulais lui monter sur les épaules. Il étouffa un grognement, tant de surprise que de douleur et à cause de ton attaque, fut projeté en avant. Tu chus au sol, en même temps que Mme Curtis, entrainée sous votre poids. Le bandit qui fouillait vos affaires s'interrompit net, tout comme celui qui retenait prisonnier M. Curtis, lequel, profitant de ce relâchement, lança son coude dans le menton du truaud et le combat s'engagea entre les deux - et avec l'autre. Quant à toi, ta chute t'avait assommé, comme elle l'avait aussi fait pour ton adversaire. Malheureusement, ce dernier était de constitution beaucoup plus robuste que toi et il se remit rapidement sur pied avec un cri de rage, tandis que tu te tenais la tête, qui t'élançait méchamment (pendant ce temps, Mme Curtis avait su se libérer et s'échapper, tu ne la voyais plus). Entre les jambes du brigand qui était bâti comme une charpente, tu vis M. Curtis qui bataillait ferme, tout seul contre deux et en chemise. Tu relevas les yeux pour rencontrer ceux de ton ennemis. Un froid glacial se répandit dans la totalité de tes membres.

L'homme, son poignard dans la main, rugit et se précipita vers toi. Tu parvins à éviter le létal coup juste à temps, en roulant sur le côté. Tu t'enfuis à quatre pattes avant de parvenir à te redresser, mais ton adversaire ne te lâchait pas et lacérait l'air tout autour de toi. Ta seule agilité parvenait à te sauver. Tu te repris, cependant - et repensas à tes longues séances de combat à main nue. L'art martial kersien était à l'image de la cité : rapide et efficace. Ta paume de main s'écrasa sur le sol te donnant l'élan pour faucher de tes jambes celles de ton adversaire, mais trop entrainé, ce dernier évita l'attaque d'un bond. Sur le ventre, tu poussas à nouveau sur tes mains et tes deux pieds fusèrent, cette fois-ci, trop rapides, cueillant l'homme au creux de l'estomac. Avec un gémissement, il s'effondra sur le sol. Tu te remis aussitôt debout. Juste à temps pour éviter le poignard qui te frôla horriblement l'oreille. Par réflexe, tu suivis l'arme des yeux, laissant le temps à l'autre de se relever et d'écraser son poing sur ton visage. La force de ce coup te jeta au sol et le gout du sang se déversa dans ta bouche. Tu crachas, mais quand tu voulus te relever, il t'envoya son pied et t'atteignit à l'arrière du crâne comme on l'eût fait avec une balle. Tu heurtas de nouveau le sol avec violence. Dans un sursaut de lucidité, néanmoins, tu roulas sur toi-même et te mis hors de portée de l'assaut suivant qu'il voulut te porter. Ta tête semblait sur le point d'exploser et tu ne savais plus ce qu'il se passait. Tu t'élanças en avant avec l'espoir de fuir, mais tes pieds s'emmêlèrent et tu retombas sur le sol. Tu vis avec désespoir le brigand s'avancer, faisant craquer ses doigts. Mais...

Tes mains se refermèrent sur un sol anormalement doux et tu pris conscience de l'endroit où tu trouvais : au fond du camp, sur les couvertures ! Aussitôt, tu réalisas : ton épée ! Mais où était-elle ? À quatre pattes, tu la cherchas au toucher, avec toute l'anxiété du désespoir. Soudain, deux ailes bleues apparurent sur le bout de ton nez. Siliwiih, sous l'apparence d'un papillon voleta jusqu'à une forme sombre et sans réfléchir, tu t'en emparas. Tu basculas sur le dos en même temps que tu dégainas l'arme qui siffla dans les airs. Ton adversaire cria et recula, se tenant le bras où l'on pouvait voir une fine estafilade se mettre à saigner. Ton cœur plus que jamais battant à t'en faire mal, tu te remis sur pieds, tes deux mains serrant hardiment la garde de l'épée légendaire. Tu pensais que le combat s'arrêterait là. Mais, dans une grimace de haine, tu vis le truand dégainer de sa ceinture un immense sabre courbe. Toute couleur déserta ton visage. L'homme abattit lourdement son sabre et tu ne bloquas le coup que par un réflexe salvateur, cependant la violence du choc t'ébranla. Il sourit mauvaisement. Releva son arme et réitéra son attaque. Tu paras une deuxième fois. Une troisième fois. Tes bras se tordaient et te faisaient mal, tu luttais avec peine pour ne pas lâcher ton épée. À la quatrième fois, tu te dérobas et courus vers le centre du camp. Tu te stoppas subitement et te retournas, te campant fermement sur tes deux jambes. Quand ton adversaire te rattrapa, sans savoir ce que tu étais en train de faire, tu donnas tous les coups que tu pus, dans tous les sens, à droite, à gauche, en diagonale, sans chercher à atteindre aucun membre précis, toujours tenant la lame à deux mains. D'abord déstabilisé, ton adversaire compris vite et arrêta alors chacun de tes mouvements erratiques avec facilité, t'obligeant, petit à petit, à reculer. Tu respirais désormais la bouche ouverte et tout espoir t'avait abandonné. Tu sentis soudain la chaleur du feu de camp et le sourire de l'autre s'accentua. Tu t’astreignis alors à ne plus bouger et ce fut au tour de ton dos de te courber impossiblement, tandis que tu devais passer à un position défensive, arrêtant de ton mieux la vive lame qui s'abattait en direction de ton visage avec une mortelle précision. Ton pied droit, brusquement, céda. Il partit en arrière et vint buter sur une des pierres qui empêchait le feu de s'étendre. Des larmes débordèrent du coin de tes yeux. Le tout pour le tout. Une énième fois, le truand, levant haut son arme pour lui donner plus d'élan, l'abattit en ligne droite. La vaillante même si rouillée épée du roi Oborö reçut avec courage le choc. Mais non tes bras. Ils lâchèrent à leur tour et ton arme te fut brutalement arrachée. Sans perdre une seconde, tu laissas ton déséquilibre t'emporter, rejoignit le sol et d'une contorsion bien placée, tu te retrouvas derrière les jambes de ton ennemi, t'en saisis et le poussa.
Perdant à son tour l'équilibre, il s'effondra, visage en direction du sol et son corps s'écrasa avec fracas dans l'âtre rugissante.

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MessagePosté: Sam 7 Jan 2017 19:56 
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Le combat faisait rage. Sous la violence des assauts de ce brigand de grand chemin, tu avais laissé tomber ton épée, bien hors de ta portée. Dans une ultime tentative pour te détendre et usant de l'incroyable agilité de ton corps, tu avais réussi à passer derrière ton adversaire et à le faire tomber. Dans le feu. Tu ne l'avais réalisé qu'après. Tu avais vu son grand corps fruste s'écraser sur le ventre et de tout son long dans l'âtre qu'il avait lui-même rallumé, avec ses comparses. Pendant quelques secondes, le temps sembla s'arrêter - puis le feu s'en prit à lui avec cupidité et il hurla. Ses vêtements usés et mal rapiécés s'enflammèrent comme une torche. Les flammes s'envolèrent en direction de sa chevelure et de sa barbe hirsute. De sa bouche déformée par de multiples bagarres sortit un long rugissement de douleur. Son corps, par un réflexe salvateur, se déporta alors en roulant sur le sol. Mais les habits continuaient de flamber joyeusement. Horrifié, tu regardais. Et te mis à reculer.

La chose fut si surprenante que plus loin, les deux compagnons de l'homme s'immobilisèrent. M. Curtis ne se fit pas prier évidemment et envoya son poing dans la mâchoire d'un des deux, la lui décrochant presque. Son épouse ne fut pas en reste et la vive femme s'empara d'une bûche qu'ils avaient réservée pour le feu et l'enfonça de toutes ses forces dans le gras du bide du troisième voyou. Pendant ce temps, celui qui t'avait affronté continuait de souffrir et ses hurlements remplissaient la clairière où vous aviez fait halte. Il tentait de se débarrasser de ses vêtements en feu, une tâche rendue ardue par la douleur qu'ils lui causaient et ses mains tremblantes sous la peur. Enfin, il y parvint et les jeta avec désespoir sur le sol où ils achevèrent de se consumer. Son ventre fumait. Sa barbe n'était plus et la moitié de son visage avait été brûlée, tout comme chaque extrémité de ses doigts. Il respirait avec difficulté. Il releva la tête et croisa ton regard. Ses yeux fulminaient. Tu sentis à nouveau ton cœur s'emballer. Ton regard tomba aussitôt vers le sol, à la recherche de ton épée. Il comprit.

Il s'élança dans ta direction et toi, dans celle de ton arme dont l'acier luisait doucement sous le feu lunaire et de camp. En courant, l'homme mit son pied botté en plein dedans et finit de disperser le bois qui y brûlait, faisant danser une multitude de cendres comme autant de lucioles dans l'air frais de la nuit. Tu plongeas sur le sol et tes doigts fatigués et plein de terre parvinrent à se refermer sur la garde de ce reliquat rouillé qu'était l'épée du roi Oborö - malheureusement trop tard. Tu crias quand le truand se laissa tomber sur toi, te brisant sûrement une ou deux côtes voir fémurs. Ses doigts encore chauds, trempés de sueur se refermèrent dans le même instant sur ta tendre gorge. Tu n'avais jamais sentit tel étau. Il te broya les cordes vocales et te coinça immédiatement toute respiration. Tu haletais et sentis ta tête tourner. Au loin, dans une brume désormais immatérielle, tu entendis la voix de M. Curtis, qui t'appelait. Impossible de respirer. Ta vue fut brouillée par un point blanc qui emplit petit à petit tout ton champs de vision. Tu n'avais plus qu'à peine conscience de ton environnement et de ton corps. Tu te sentais partir. Allais-tu mourir ici ?

(RESTE ÉVEILLÉ MIKKAH-EL !)

(Si... Siliwiih ?)

(Tu ne vas pas mourir ! Je le sais, je l'ai vu, alors par pitié, bats-toi !)

Quelle sorte de faera aurait été la tienne si elle avait laissé la Mort t'emporter, si tôt après votre rencontre ? Avec peine tu rouvris les yeux sans pour autant y voir quelque chose. Tu ne pouvais distinguer que la forme sombre et imposante de ton adversaire qui riait avec perversité au-dessus de ton frêle corps, sa bave te dégoulinant sur le front. Ton bras droit était coincé sous son poids énorme, mais ta main gauche conservait ton épée. Ta poitrine à l'agonie, tu parvins à la soulever et la faire glisser le long de ton flanc. Alors, dans un sursaut pour te redresser et te donner de l'élan, tu poussas sur la lame. Aussitôt qu'il sentit l'acier froid se tailler un chemin dans son bas ventre, ses mains s'écartèrent de ton cou et il chercha à se relever. Cela te permit de t'agenouiller à demi, de dégager ton bras droit et, des deux mains, tu enfonça en criant ton épée dans le lard brûlé de ton ennemi. L'épée, bien que rouillée, déchiqueta chairs et viscères. Le bandit eut un sursaut, un flot de sang et d'eau s'éjecta de sa bouche et le même liquide rouge se déversa de la plaie énorme où la lame s'était presque enfoncée jusqu'à la garde, empoissant tes mains et bras mêmes. Pantelant, tu relevas la tête pour voir l'homme tourner de l’œil avant de s'effondrer sur lui-même, mort.

Lorsqu'ils virent cela, ses deux acolytes ne s'attardèrent pas et filèrent sans demander leur reste. Les époux Curtis, sans attendre, se précipitèrent vers toi. Tu t'étais laissé retomber sur les fesses, trop choqué par ce qu'il venait de se passer. Doucement, tu reculas. Sans que tu t'en aperçusses, ta respiration s'accéléra nerveusement et tes mains furent prises de tremblements. Tu sentis une étreinte, des bras qui t'enserraient tendrement et tu mis du temps à t'apercevoir qu'il s'agissait de Mme Curtis. Sa bouche s'ouvrit, mais tu ne compris pas, tu n'entendais que les battements de ton propre cœur. Elle reprit.

"Les enfants, Meryl et Alberto, où sont-ils ?"

L'air hagard, tu tournas la tête vers les couchettes où tous les trois aviez été vous coucher, la veille. Tu savais pourtant très bien qu'ils n'étaient pas là puisque c'était toi-même qui les avais mis en sécurité, avant de revenir. Toujours agité par d'étranges secousses dans chacun de tes membres, tu te remis péniblement sur tes jambes flageolantes. Tes côtes te faisaient mal, mais tu t'apercevrais vite que ce n'étaient que des bleus. Cela te rappelait cette aventure, dans les rues de Kendra Kâr sauf que cette fois-ci, ce n'était pas à cause d'une course à perdre haleine que tu te sentais faible. Tu articulas difficilement un "ve... nez" à la mère sans pour autant te mettre en route, incapable de soustraire ton regard de M. Curtis ; s'étant penché sur le corps sans vie du brigand, il arracha l'épée sans se gêner en mettant un pied sur l'épaule du cadavre afin de faciliter sa tâche. Passant l'arme dans sa ceinture, il prit l'homme par les poignets et entreprit de le trainer ailleurs. À cet instant, tu sentis Mme Curtis serrer légèrement ton bras et tu te détournas. Vous n'aviez pas fait trois pas en dehors du camp que tu dégueulas derrière un arbre.

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Sam 7 Jan 2017 21:16 
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Meryl pleura presque en retrouvant les bras de sa mère après que tu eus remonté l'arbre pour la faire descendre sur ton dos ; Alberto ne s'était pas réveillé du tout. La petite fille avait été très effrayée (bien qu'elle se fût aussi rendormie durant plusieurs minutes au cours de ton absence). Ensembles, vous retournâtes au campement. M. Curtis était aussi revenu - sans le cadavre du brigand que tu avais tué, ayant sûrement été l'enterrer plus loin. Il te rendit ton épée, nettoyée du sang, en ajoutant d'un air neutre que tu ferais mieux de la porter chez un forgeron pour la remettre en état. Tu hochas simplement la tête, sans un mot. Tu retournas te coucher, mais cette fois-ci, en serrant l'arme contre toi. Tes yeux restaient désespérément ouverts. Tu voyais, au loin, la figure sombre de M. Curtis, assise près du feu. Allait-il veiller toute la nuit ? Comme... toi ?

(Tu as fait ce que tu devais faire.)

(Mais j'ai tué quelqu'un Siliwiih !)

Tu sentais les larmes déborder de tes yeux et plus cette boule douloureuse croissait dans tes entrailles, plus tu te recroquevillais sur toi-même et serrais l'épée. M. Curtis ne soupçonnait pas la portée de ses paroles. Un jour - à peine - auparavant, tu te demandais, assis sous un arbre avec Kendra Kâr à l'horizon, ce que tu devrais faire de cette épée que tu avais volée dans la salle des trésors du palais de Kers, dans ton pays. Elle n'était pas particulièrement belle et, rouillée comme l'était, pas particulièrement efficace (même si tu venais de transpercer un homme avec). Tu avais hésité à aller chez un forgeron pour qu'il te refondît la lame. Bien que gardant cette opportunité dans un coin de ton esprit, tu avais décidé qu'elle était inutile sur le moment ; que tu n'avais pas besoin d'une arme. Que ce n'était pas cela que tu voulais.

(Ce n'était pas ta faute ; tu n'avais pas d'autre choix.)

(Si ! Je suis sûr qu'il y en avait d'autres !)

Le murmure calme de ta faera ne parvenait pas à te rassurer et tu finis par laisser tes larmes envahir tes douces joues. De son côté, la créature millénaire était désemparée. Elle avait du mal à comprendre pourquoi, dans une situation de défense, alors que tu étais attaqué, sur le point, même ! de mourir, tu ressentais de la culpabilité pour ton geste. Elle qui avait vu tant de vies s'achever ne pouvait comprendre pourquoi tu te sentais responsable de celle-ci. Pourquoi elle t'importait tant. À ses yeux, une seule avait de l'importance : la tienne. Et cette homme qui venait de mourir n'était que dérangement car par sa mort, il te faisait du mal, ce qu'elle ne pouvait supporter.

(Dors, s'il te plait, n'y penses plus.)

De fatigue, finalement, tu parvins à te rendormir. Au matin, tes larmes avaient séché et il te semblait que ton esprit fût plus clair. Meryl, en tant qu'enfant, avait déjà tout oublié et reprit sa candide attitude. Les parents agissaient de façon tout aussi insouciante. Mais le sourire de Mme Curtis, en te demandant comment tu allais, était sincère. Après un petit déjeuner composé essentiellement de fruits, il fut temps de reprendre la route. Le charriot fut remis à l'endroit, les bœufs lui furent de nouveaux attachés, on éteignit le feu de camp, démonta les teintures et remballa les affaires. Au moment du départ, tu pris la place à côté de M. Curtis, sur le siège conducteur. L'attelage sortit de la forêt, reprit sabots sur la route qui allait de Kendra Kâr à Bouhen. Il était encore tôt et il fallut attendre deux heures de plus pour que des voyageurs fussent rencontrés. À cette occasion, le père de la famille Curtis te demanda de te remettre à chanter. Tu refusas - il n'insista pas. Après une pause sur le bas-côté pour le déjeuner, le voyage continua, en compagnie de toujours plus de gens ; des marchands, des soldats, des errants, des émissaires... Meryl, de ses grands yeux innocents, te demanda de rejouer s'il te plaisait parce que c'était vraiment triste là et qu'elle préférait quand il y avait de la musique. Ne pouvant résister à une bouille si mignonne, tu abandonnas toute résistance, passas de l'autre côté du charriot, acceptas le luth et t'installas à l'arrière, les jambes dans le vide. Un rapide accordage. Les voyageurs relevèrent la tête avec un sourire curieux. Tu grattas mollement quelques cordes. La chanson qui en sortit fut "Le Roi est Loi". Pourquoi ? Ton estomac se serrait à chaque refrain, à chaque "et notre cœur est droit" qui le ponctuait avec détermination.

"Brr, trop pas drôle !" s'exclama la petite Meryl avant de se mettre à battre des mains. "Le Joueur de Dé, le Joueur de Dé !"

Tu tentas les premiers accords, mais abandonnas en soupirant. Tu n'avais vraiment pas le moral à ça. Que pouvais-tu chanter d'autres ? Ton esprit était à la mélancolie - mais tu ne pouvais l'infliger à tes auditeurs. En dernier recours, tu te décidas à chanter l'épopée du roi Oborö. Elle était longue. Elle était calme. Parfaite. Dès le premier quart, sans même savoir à quel point cela était approprié, Meryl brandissait ton épée pour mimer l'histoire sous les yeux attendris des voyageurs qui faisaient tout pour rester à votre niveau. Cela te prit bien trois heures, à jongler entre les parties chantées que tu accompagnais avec dextérité sur le luth et les parties simplement racontées qui te faisaient t'enflammer toujours plus et quand, enfin, tu achevas la dernière laisse, ce fut pour recevoir un tonnerre d'applaudissements qui te fis rougir jusqu'aux oreilles. M. Curtis, qui conduisait les bœufs, se tourna vers toi.

"Écoutes fils, ce soir, on dort dans une auberge. Pourquoi est-ce que tu n'y chanterais pas, hein ? Cela pourrait te rapporter un peu d'argent, qu'en dis-tu ?"

Tu te contentas de sourire, ne sachant pas trop si cela te faisait envie ou non. Durant ces deux jours de voyage, tu avais découvert que tu aimais avoir un public, qui t'acclamait quand tu t'apprêtais à jouer et te réclamait quand tu finissais. Tu te demandas sincèrement s'il t'était possible de gagner ta vie ainsi ? Le père de famille semblait penser que oui, lui. Parcourir le monde pour apprendre des chansons, tout en vivant de leur récitation ! Ne serait-ce pas formidable ?

(J'apprendrai des nouvelles épopées donc la connaissance de nouveaux trésors et je les volerai ! Qu'est-ce que t'en penses Siliwiih ?)

(J'en pense que j'aime quand tu chantes.)

Tu rougis - sans que personne ne pût savoir pourquoi et attrapas le bel instrument que possédait la famille qui t'avait plus ou moins adopté. Cependant, au lieu d'entamer une nouvelle chanson, tes yeux se perdirent dans le ciel et tes doigts faisaient quelques notes puis s'arrêtaient, puis les reprenaient. Parfois, cela sonnait faux. Tu murmurais les paroles pour toi. Au bout d'un moment, ennuyée, Meryl vient te secouer pour te demander de jouer "vraiment". Tu souris et interrompis ta composition. Pour lui faire plaisir, tu pris sa chanson préférée ; la ballade du Joueur de Dé. Puis enchaina avec le Méchant Marchand et la Lai d'un Amour Désolé dont les paroles étaient plus cocasses que ne le laissait entendre le titre. Enfin, ce fut bien longtemps après le coucher du soleil et tandis que tu continuais de jouer malgré tes doigts rouges, que M. Curtis arrêta ses bœufs devant une verte enseigne, celle de l'auberge du Chien Battu.

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
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La nuit était tombée depuis longtemps, mais on avait accroché une lanterne sur le mur, afin qu'elle éclairât l'enseigne en bois peinte émeraude qui se balançait doucement d'avant en arrière avec à peine un crissement de rouille, preuve que l'endroit était très bien entretenu. L'auberge avait été bâtie littéralement au bord de la route et sa lanterne était un phare pour les pauvres voyageurs, entre Kendra Kâr et Bouhen. Elle était grande - signe que son propriétaire avait eu du nez en venant s'installer ici. Après vous avoir demandé de ne pas bouger, M. Curtis descendit de son siège et entra. Par fatigue et par ennui, tu utilisas un vulgaire morceau de tissu et entreprit de nettoyer délicatement ton luth. Tes doigts faisaient de délicats aller-retour sur les lames lambrissées, accueillant au creux de tes bras son dos bombé comme un nouveau-nez, son manche tordu te chatouillant le dos. Bien que le bel instrument n'eût pas besoin d'une telle attention, cela te détendait. C'était comme être avec le plus intime des amis. Nul besoin de mots. Et le temps fuit sans que tu ne t'en rendisses compte. Déjà, M. Curtis était de retour et vous informait que vous pouviez rentrer au chaud. Cependant, lorsque tu sautas à bas du charriot, ton luth dans une main, ton épée dans l'autre, il te saisit le bras.

"Fils, j'ai parlé de ton petit talent de troubadour à l'aubergiste. Offre un bon spectacle et on ne payera peut-être pas notre nuit ici !"

Il acheva sa tirade avec un clin d’œil largement appuyé. Tu l'assuras aussitôt que tu ferais de ton mieux ; il te lâcha en souriant et tu rentras dans l'ambiance réchauffé et odorante de l'auberge. La chaleur te prit à la gorge ; par opposition, tu pris conscience du froid de l'extérieur. Les joues devenues rouges, tu regardas tout autour de toi avec un léger sourire (serais-tu déjà atteint par les relents d'alcool ?) et, repérant Meryl qui, presque debout sur la table, te faisait de grands signes en agitant ses petits bras, tu te hâtas de les rejoindre. La famille Curtis s'était choisie une table près d'un mur, vers le milieu. Au fond se dressait le massif comptoir de l'aubergiste qui l'était tout autant. À sa gauche, se tenait l'âtre, une immense cheminée qui prenait tout le coin et dans laquelle cuisait une viande fraîche, répandant une fumée parfumée à travers l'entièreté de la salle commune, flottant comme l'ambiance bon enfant, familial qui y régnait aussi. Les conversations étaient forts bruyantes et presque toutes les chaises étaient prises. Les visages étaient rougeauds et avenants, malgré une grossièreté de visage plutôt répandue. En entrant, tu attiras plusieurs regards, de par la couleur inédite de ta peau noire et sans grain. Tu pensas à ton pays, aux Kersiens beaux dans leur totalité. Ils n'auraient pas aimé cet endroit.

M. Curtis vint vous rejoindre quelques minutes plus tard et, en s'asseyant, rassura son épouse sur les boeufs et le charriot qui étaient bien au sec et en sécurité dans l'écurie, derrière l'auberge, et leurs affaires, dans leurs chambres - à ce propos, il avait été obligé d'en prendre deux ce qui faisait que tu allais dormir avec Meryl. La gamine de huit ans était charmée et, pour te prouver, s'il en était encore besoin, son immense affection, grimpa sur tes genoux. Son cadet de cinq ans, jaloux, s'agita dans les bras de sa mère. La grosse femme de l'aubergiste arriva sur ses entrefaites. De la viande, une soupe de légumes, une chope de bière pour M. Curtis et un pichet d'eau. La femme à la poitrine tombante, à la verrue rouge sur la joue droite décorée d'un poil noir et dru, se passa la langue sur des lèvres outrageusement gonflées et s'en fut. Le garçon de service - fin et nerveux, presque squelettique, le contraire même de sa patronne - leur apporta leur repas peu après. Tu faillis attaquer, mais, remarquant à la dernière seconde que Mme Curtis, ayant versé un peu d'eau sur l'extrémité de son châle, se préoccupait à présent de nettoyer les gentilles pognes de ses bambins, tu réussis à te contenir et écrasa tes propres doigts sur ton pantalon pourtant couvert de poussière et autres saletés de la route. Enfin, tu te sentis autorisé à englober la chaude et correcte (il ne fallait pas s'attendre au paroxysme du raffinement culinaire) nourriture, qui te réchauffa tout l'intérieur. Tu finis le repas en t'adossant mollement contre le mur, repus, heureux. Ce fut à ce moment-là que l'aubergiste, de derrière son comptoir, te fit signe, avec ses sourcils broussailleux. Ta main caressa le manche du luth avant de s'en emparer.

Un murmure parcourut la salle lorsque les gens te virent te lever avec un instrument à la main. Une des tables, en plein centre de la pièce, fut promptement dégagée de ses couverts et de ses habitants qui emportèrent leur chaise et leur chope un peu plus loin. Un homme d'âge mûr, à la chemise lâche, t'aida à grimper. Tu parcourus l'assemblée du regard, sentant la sueur percer par toutes les pores possibles de ta peau, tant l'anxiété te saisit. Tu n'avais jamais joué debout. Et jamais devant un si cupide public. La peur, doucement, commençait à te paralyser. Ta main droite ne cessait de venir s'essuyer sur ton pantalon et tu te mordais presque jusqu'au sang ta lèvre inférieure. Que chanter ? Comment chanter ? Les conversations s'étaient tues, chaque cou se tendait dans ta direction. Tu ne pouvais plus attendre. Ton pouce glissa maladroitement sur les cordes pour vérifier que tu étais juste. Tu l'étais. Hélas ? Soudain, alors que tu avais l'implacable sensation de perdre pied et d'être sur le point de t'effondrer, une voix fluette et adorablement familière cria les premiers mots d'une ballade qu'elle avait fini par apprendre par cœur. Aussitôt, tu sentis ton cœur se calmer. Avec assurance, tu saisis le luth. Et une folle ronde de chansons se déversa de ta bouche pour le plus grand bonheur de ton auditoire. La Ballade du Joueur de Dé, le Méchant Marchant, La Bell'Margot, Sur le Bord Bordeaux de la Rive Noire... Ton public applaudissait et t'en redemandait toujours plus et les chopes s'entrechoquaient dans cette ambiance de fête et tu rougissais et tu jouais et tu ne te sentais même plus tes doigts détruits par les cordes rêches et tu braillais presque les chansons paillardes que les ivrognes du fond attendaient depuis le début et tu faisais trembler la table sous la mesure sauvage que battait ton pied et tu chantais et tu jouais et ta musique emplissait tout et tu étais heureux.

Minuit était passé. Alberto s'était endormi dans les bras de Mme Curtis, les voyageurs trop exténués s'étaient retirés dans leur chambre, les soiffards s'étaient endormis, leurs joues s'écrasant sans aucune grâce sur leur table. Ton public s'était rapproché de toi, instaurant une sorte d'intimité. Les chopes étaient vides, le feu couvait et ne brûlait plus. Tu pris l'initiative de passer aux chansons plus douces. Tu commenças par quelques laisses de l'épopée du roi Oborö, enchaina avec une berceuse typique de Kers, une autre que tu avais entendue - et apprise - durant ton exil, une chanson d'amour, ensuite. Tu ne prêtas pas attention à l'arrivée d'un homme, plus haut que la moyenne, à la peau cendrée, que la musique et la lumière avait attiré en ces lieux. Gardant sur lui son long manteau trempé d'une pluie qui s'était mise il y avait peu à tomber, il jeta un long regard sur le comptoir, mais finalement, se prit une chaise près de la porte d'entrée et peu après, la grosse aubergiste lui apporta un verre de vin. Ce fut à ce moment-là que tu décidas d'expérimenter sur ton public ta propre composition, celle que tu avais faite dans la journée. Il n'y avait pas de danger ; tu avais le prestige des précédentes, le succès assuré des suivantes. Tu t'éclaircis la gorge, fit quelques accords préalables, annonça le titre : Banni, banni. À ces deux mots, l'homme encapuchonné releva aussitôt la tête. Déjà, ta musique s'élevait.

Ils m'ont jugé, m'ont condamné
Banni, banni ! Je ne reverrai plus jamais ma terre !
Ils m'ont jugé, m'ont condamné
Banni, banni ! Je goûte en pleurs ce nom amer !

Au loin la douce mélodie
De ma mère
S'éteint tandis que je franchis
Des mers.
Pourquoi suis-je exilé
Sur cette terre d'étrangers ?

Mon crime était si fort
Si affreux
Que l'on me voulait mort
Sous vos yeux ?
Pourquoi cette sentence inique ?
Cette condamnation terrible ?

Car que peut bien valoir
Ma vie
Je suis constamment dans le noir
Sans appuis
Pourquoi ne me pardonnez-vous pas ?
Suis-je vraiment un paria ?

Au loin ma triste pénitence
Me désole
Cette peine est suffisance
Pour mon vol
Pourquoi ne puis-je revenir ?
Ô Kers ton enfant va mourir...


Tu laissas la dernière note mourir lentement. Quand il n'en resta plus rien, un tonnerre d'applaudissements s'éleva et tes joues devinrent plus écarlates qu'elles ne l'avaient jamais été. Tu avais mis tout ton cœur dans cette chanson et les gens l'aimaient. Tu étais définitivement heureux et le bonheur, pour toi, aurait à jamais ce goût-là. Cependant, l'homme, assis près de la porte, s'étant levé brusquement, écrasa une larme caché de tous et sortit de l'auberge.

(Suis-le.)

(Qui ? ...et où ? Et pourquoi donc ?)

(L'homme qui vient de sortir, suis-le. Grouille-toi !)

À tes pieds, des gens, bercés de ta douce voix et qui voulaient en entendre plus. Pourtant, tu devais - voulais, faire confiance à ta faera. Tu souris, saluas rapidement, t'excusas en promettant que tu serais vite de retour et le luth toujours à la main, te précipitas vers la sortie. Le bruit de la pluie qui tapait avec force contre le toit t'assourdit. Tu regardas de tout côté, le cœur battant pour une raison que tu ne saisissais pas. Mais tu l'aperçus - non loin, le capuchon rabattu, offrant son visage aux pleurs célestes. Tu courus pour le rejoindre. Pourquoi Siliwiih voulait-elle te faire entrer en contact avec cet individu ? En quoi était-il important pour toi ? Pour ton destin ? Le bruit de la pluie était toujours aussi fort. Tu crias pour te faire entendre.

"Excusez-moi monsieur, mais qui êtes-vous ?!"

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Dernière édition par Mikkah-El Sôdehbek le Ven 20 Jan 2017 19:35, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Route entre Kendra Kâr et Bouhen
MessagePosté: Sam 14 Jan 2017 23:48 
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Drôle de scène qui se jouait là. En toile de fond, une auberge, pleine, dont la chaleureuse lumière se déversait des fenêtres quadrillées et enveloppait les ténèbres extérieurs d'une lueur fantomatique, d'où provenait un doux bruit, celui de conversations tranquilles, à demi-mot, où teintait déjà le sommeil. Au premier plan : vous deux. Ton corps ne cessait d'être parcouru de frissons dû au brusque changement de température qu'il avait subi lorsque tu t'étais précipité à l'extérieur. Tu serrais de tes doigts tremblants ton luth encore chaud et t'étais, sur le conseil de ta faera, avancé timidement vers l'homme qui se tenait à l'extérieur de la zone protégée de la pluie par le toit de l'auberge. Quand tu l'interpelas d'une voix relativement forte, destinée à couvrir le boucan de l'orchestre aqueux, il se retourna et baissa le regard vers toi.

"Pourquoi me demandes-tu cela ?"

Tu te sentis rougir. C'était là, en vérité, la question que tu te posais toi-même. C'était en effet Siliwiih qui t'avait plus que poussé à aller lui parler et tu croyais qu'en déclinant son identité, il aurait pu t'apporter un début de réponse - il n'en était rien, semblait-il. Tandis que ton cerveau s'agitait en tout sens pour trouver quoi répondre sans te faire paraitre pour un idiot, tu ne pus t'empêcher de détailler plus avant l'homme... ou plutôt l'elfe ! Avec sa capuche abaissée dans l'auberge, tu n'avais pu remarquer avant ses oreilles délicatement pointues qui accrochaient désormais l'éclat de la lune et de l'eau. Tu te rendis compte, de même, que la couleur de sa peau était plus foncée et n'avait rien à voir avec un manque de lumière : loin de ton marron adorable, il était gris de la tête aux pieds. Ses cheveux étaient aussi cendrés et ses yeux étaient deux puits noirs sans fond. Tu avais entendu parler des différentes races d'elfe, mais c'était, d'une part, la première fois que ton chemin croisait celui d'un des leurs et d'autre part, tu étais foutrement incapable de te rappeler quel nom portait la noble race dont un de ses représentants se tenait juste devant toi. Cela ajouté à ton absence de réponse te paralysas. Heureusement, Siliwiih vint à ton secours et te révéla ce qu'elle avait vu de l'elfe gris précédemment. Tu repris donc, d'une voix toujours mal assurée néanmoins.

"Quand j'ai chanté tantôt, vous avez pleuré. Je demande pardon pour mon indiscrétion, mais cela n'a pas manqué de m'intriguer. Si c'est possible, veuillez étancher ma curiosité et me raconter ce qu'il vous est arrivé je vous prie."

Un mince sourire étira les traits droits de l'elfe. Sa main aux doigts fins vint écraser délicatement les reliquats de ses larmes à la fosse de son œil droit.

"Tes mots sont d'or jeune troubadour et ton esprit est éclairé : c'est un fait que ta chanson m'a plus que troublé." Il parut être en proie à un léger dilemme, mais finalement, désigna, d'un simple geste du menton, la porte de l'auberge. [color=#5b5b69"Rentrons, finis ta soirée et si tu n'es pas trop fatigué, je te raconterai mon histoire."[/color]

Tu laissas un franc sourire éclore sur ton visage et parvins de justesse à ne pas lancer un "marché conclu !" qui eût été bien trop vulgaire. Ta curiosité était désormais piquée. Lui cédant le passage dans votre retour au chaud, tu ne pris même pas la peine d'interroger Siliwiih. Ta faera n'aurait pas répondu et tu le savais parce qu'elle avait obtenu ce qu'elle voulait : que l'elfe gris te racontât sa vie. Tu étais convaincu qu'il avait vécu de palpitantes aventures et que tu en tirerais donc une chanson - non, une épopée même ! Une épopée qui se transmettrait de générations en générations ! Une épopée plus brillante que toutes celles qu'on avait pu composer avant ! Oui, tu en étais certain : c'était pour cette raison que ta faera t'avait ordonné d'aller trouver le Sindel. Le cœur battant d'excitation, tu repris place sur la table, au centre de la pièce, agrippas fermement le manche de ton instrument et, n'ayant plus du tout l'esprit un quelconque calme, tu t'emportas sur le récit d'un héros de ton pays qui avait défait mille et mille Sindeldi et aurait même tué la fille du Grand Prêtre de ces elfes, en vengeance pour la mort de son amante, tombée sous les coups de la perfide. Après, te rendant compte que ton public n'était plus vraiment emballé par ce genre de musique, tu enchainas avec la plus douce de tes berceuses. Tu achevas ton petit spectacle sous les applaudissements. Les gens se levèrent, l'aubergiste vint te féliciter, on rangea les chaises, on partit se coucher. Tu prévins la famille Curtis que tu allais encore veiller un peu et le père te donna le numéro de ta chambre. Tu les remercias et les regardas partir, presque sautillant sur place. Sitôt qu'ils eurent disparu en haut des escaliers, tu t'empressas d'aller t'asseoir à côté de l'elfe gris. Ce dernier était en train de boire. D'un geste très mesuré, il reposa son verre sur la table en bois mal poli.

"C'est intéressant. Chez moi, la chanson dit que Rinthale sut triompher de son ennemi et rentra vivante auprès de son père, à Tahelta."

"Eh bien... Peut-être, je ne sais pas : je ne fais que réciter ce qu'on m'a appris." balbutias-tu en t'empourprant, mais le Sindel éclata de rire et te tapota gentiment l'épaule.

"Pour moi, je m'en fiche. J'accepterais volontiers ta version parce que tu la chantes bien mieux que moi. Mais ce n'est pas le sujet ! Tu voulais entendre mon histoire et savoir pourquoi j'ai pleuré ? Je vais te le dire : j'ai pleuré car tes mots ont touché mes sentiments les plus profonds. Je crois que nous sommes pareils tous les deux : en errance, loin de notre patrie, entourés d'étrangers qui ne peuvent comprendre notre douleur. Comme tu l'as compris maintenant, je suis un Sindel et j'ai été banni de chez moi il y a de cela plusieurs lunes déjà. La raison en est que je m'étais opposé aux Ithilausters, qui sont nos prêtres. Je pensais qu'ils avaient tord concernant les désirs de notre Mère, Sithi. D'ailleurs, je soupçonne qu'ils ne nous disent pas toute la vérité sur notre histoire. Ils disent qu'ils nous ont sauvé de la destruction d'Eden, notre monde originel. Mais il y a des rumeurs qui circulent, des versions de notre histoire qui différent, comme diffère entre nous deux le destin de Rinthale. Si seulement il pouvait y avoir quelqu'un capable de retracer notre vraie histoire ! Mais hélas, notre clergé est partout et fait taire tout le monde. Quant à ceux qui, comme moi, osent encore élever la voix, ils sont bannis avec une prime sur leur tête."

Le Sindel s'interrompit en voyant tes yeux doucement se fermer et ta bouche constamment ouverte dans un bâillement éternel. Il sourit, attendri, et te prit sur son dos pour te porter jusqu'à l'étage supérieur où vous vous séparâtes. Tu entras dans ta chambre où Meryl dormait depuis longtemps, posas avec précaution le luth sur le sol et, sans même prendre le temps de te déshabiller, t'effondras sur le lit. Et tes rêves, cette nuit-là, eurent un goût de chansons inconnues et de musique nouvelle...

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