« Il faut croire que la vie de château, ça ramollit... »En sueur, la jeune femme suivait depuis une semaine un entrainement intense, passant de la Vénérable à Letorve, du levé du soleil au coucher, elle affinait son art.
Il était midi passé, un faible vent lui caressait le visage, le soleil cognait fort et sa peau était abîmée de nombreux coups de baguettes. La tueuse ne comprenait pas toujours le but des exercices qui lui étaient imposés parfois des heures durant, mais elle ne contredisait jamais ses entraîneurs, particulièrement la Vénérable qui prodiguait des conseils avisés et forts d'une expérience étonnante.
Silmeria devait déjeuner à l'écart. Face à l'endroit où elle s'entrainerait par la suite. Aujourd'hui, la Vénérable l'avait envoyée hors de la cour poussiéreuse qui lui asséchait la gorge et lui piquait les yeux. Face à un champs vert qui baignait dans l'eau, elle déjeunait devant de nombreux poteaux de bois plantés dans le sol qui formaient un parcours relativement long, d'ailleurs assise sur son banc, elle n'en voyait pas le bout.
Elle avait même appris à manger avec les baguettes.
La Vénérable vint enfin, Silmeria savait que la vieille femme mangeait chichement et que son grand âge faisait qu'elle résistait moins que la tueuse au soleil. La petite vieille souriait et lui indiquait du bout de sa canne qu'elle descendrait dans la rizière et sauterait de poteaux en poteaux sans avoir le droit de s'arrêter, ni même celui de mettre les deux pieds sur le même poteau.
« Sachez jeune fille, que la vitesse et l'agilité s'apprennent en même temps. L'agilité requiert de la vitesse et de la souplesse, et la vitesse de l'agilité. Allons, montrez moi comment vous viendrez à bout de cet obstacle. »Silmeria ne cachait pas son plaisir, en réalité, l'exercice était assez simple, et une fois à mi chemin, la seule difficulté était que les poteaux semblaient plus petits et éloignés. La vieille femme observait le manège et la tueuse savait qu'en tombant, elle ne risquait rien d'autre que d'être trempée, chose qui deviendrait agréable à cause de la chaleur ambiante.
La voyageuse eut tôt fait de conclure le parcours qu'elle jugeait comme presque trop facile. Elle s'en retourna vers la vieille femme tout sourire.
« Approchez mon enfant. »Silmeria semblait de très bonne humeur, au moins, elle était seule et n'était pas exposée aux coups de canne.
Clac !
« Trop confiante ! »La Vénérable lui demanda de s'assoir et d'écouter, elle lui conta que tous les exercices ici lui apporteraient quelque chose. Si c'était trop facile, c'est qu'elle le faisait mal. La tueuse en effet, était partie sans la branche de bambou qui soutenait deux seaux d'eau.
Silmeria souriait déjà nettement moins.
La tige de bambou le frottait douloureusement la nuque et ses bras étaient fatigués de soutenir un tel poids. Et ce n'était que le début du parcours.
« Jeune fille. Le temps est compté. Si tout le sable de ce sablier s'écoule avant la fin de l'épreuve, vous devrez recommencer. Cet exercice débouchera sur une technique nécessitant une agilité hors du commun. Vous deviendrez une ombre, un nuage de fumée insaisissable. »Silmeria ravala douloureusement sa salive, la posture qu'elle devait adopter pour soutenir ce poids lui faisait déjà mal au dos et aux épaules. Elle s'engagea timidement sur les premiers poteaux. Trop timidement.
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Après avoir rempli de nouveau les seaux dans l'eau de la rizière, elle essaya de nouveau de sauter de poteaux en poteaux mais le poids était un handicap difficile à palier et souvent, c'est en plein saut qu'elle vacillait et chutait immanquablement.
« Vous ne m'aviez pas parlé des sangsues, Vénérable. » Lui dit la tueuse en pinçant la tête flasque de deux de ces saloperies qui lui pompaient la couenne.
« Il y aussi de nombreux serpents dont la morsure est potentiellement mortelle. »Silmeria déchantait totalement face à cet exercice qui s'avérait plus complexe que les précédents. Elle essaya encore.
Puis revint, plus trempée qu'au départ.
Lorsqu'elle arriva presque à mi-chemin de la fin de l'épreuve, la Vénérable jugea l'effort suffisant pour y ajouter une complication supplémentaire. Un jeune homme fut appelé, un gamin du village probablement car il portait une tenue locale, simple toge aux couleurs de la ville et il était armé d'une sarbacane.
Silmeria, trempée et exténuée fit la connaissance du garçon que la Vénérable présenta. Il avait pour mission de déranger Silmeria en lui jetant des projectiles lors de son parcours pour qu'elle puisse apprendre à les éviter.
« ... »« Quelque chose vous chiffonne, ma fille ? Sachez que malgré son jeune âge, c'est un redoutable tireur à la sarbacane, un des meilleurs de cette ville. »« Vous me semblez très optimiste, je n'ai même pas pu terminer le parcours. »« Et qu'attendez-vous ? Que j'ajoute une complication supplémentaire ? Finissez moi ça jeune fille. »Silmeria se dit que finalement, le Sekteg avait au moins l'élémentaire élégance de se limiter aux coups physiques. La Vénérable travaillait tant sur le mental que le physique, et Silmeria ne savait pas ce qui pêchait le plus chez elle.
Avec un peu plus d'adrénaline, elle se lança dans le chemin de bambou se demandant quand le garçon viendrait à la viser. Un pois de bois frappa la femme derrière l'oreille, elle eut mal, couina, manqua, tomba et recommença.
A mesure qu'elle avançait dans le parcours, elle traînait le pas pour retourner au point de départ, d'un côté parce qu'elle avait mal aux épaules et au dos, et d'un autre côté parce qu'elle était absolument exténuée.
Elle ignorait que le sablier se vidait au moment où elle passait la moitié du parcours, et encore. Mais par compassion, personne ne vint le lui annoncer.
La nuit tombait. Elle n'avait pas senti le temps passer mais en revanche, ses lombaires se tasser sous le poids, ça, elle le sentait. La Vénérable congédia la jeune femme et reporta la leçon au lendemain. Silmeria s'endormit sur le banc d'entrainement face à la rizière. Elle essayait de remettre ses os en place et se fit craquer la colonne sur le bord du banc, deux fois de suite. Puis, plus énervée de cet échec que fatiguée, ce qui était peu dire, elle ne parvint pas à dormir.
Et recommença. Elle recommença encore et encore au son des insectes et des grenouilles étonnées. On entendit des bruits de chute dans l'eau régulièrement, puis enfin, ils s'espacèrent. Un tout petit peu du moins.
Elle s'arrêtait de temps à autre pour reprendre son souffle et masser ses épaules douloureuses. Puis recommença, inlassablement. La tueuse arrivait dans un état presque second, elle était abrutie de fatigue et avait la mine confite d'une personne quasi désespérée de rater autant de fois de suite.
Seule dans le noir, elle recommença son parcours plusieurs dizaines de fois, elle n'avait pas remarqué que ses genoux étaient abîmés et que ses épaules commençaient à peler et alors qu'elle réussissait presque enfin à conclure le parcours, elle reçu une boulette de bois dans le menton et chuta encore.
Le jeune garçon était revenu, l'aube s'élevait au loin, le ciel semblait plus clair par delà l'horizon et les étoiles brillaient moins fort. Le gamin hésitait, puis il lui expliquait l'avoir entendue toute la nuit, il voulait participer à l'entrainement avant que la Vénérable elle même ne revienne.
Silmeria reprit doucement le sourire.
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Lorsque la Vénérable arriva face à la rizière, il y avait déjà quelques passants accoudés aux barrières, observant la voyageuse sauter de bambou en bambou avec l'enfant qui lui courrait après, elle esquivait la plupart des coups et ne tombait déjà presque plus.
Arrivant devant la Vénérable en nage, épuisée mais ravie, la vieille femme lui rendit un sourire et dit :
« Voici que votre échauffement s'arrête. Venez donc ma fille. J'ai préparé quelque chose pour vous, quelques invités se mêlent à votre ouvrage. »Puis la grand-mère repartit comme elle était venue. Silmeria leva un sourcil interrogateur et dit au gamin :
« Tout ça... C'était un échauffement ? »Le petit garçon grimaça et haussa les épaules, n'en sachant visiblement pas plus qu'elle. Puis il prit la main de la tueuse et la conduisit sur les pas de la Vénérable.
Au milieu de la cour, attendaient quatre Samouraïs armés de ces katanas de bois destinés aux exercices. Silmeria comprit immédiatement et regretta de ne pas avoir dormi encore davantage. Elle glissa à la vieille femme.
« Vénérable, êtes vous sûre ? La nuit était... Éprouvante. »La Vénérable acquiesça favorablement.
« Ne doutez pas ma fille. Souvenez-vous, si ce n'est pas difficile, c'est que vous avez probablement manqué quelque chose. Ces hommes vont donner l'assaut, vous n'avez pas le droit de riposter, esquivez juste. » Une légère sueur froide perla le long de son dos. Les hommes étaient vêtus de longues toges confortablement qui en rien n'irait handicaper leurs mouvements. Leur air n'était pas particulièrement amical, les sourcils froncés, les yeux sombres et plissés avec une barbe noire comme le jais.
« A mon signal, les coups de bâton remplaceront les coups de baguettes. Prenez garde, voilà quatre valeureux guerriers qui ont chacun pris plus de cent têtes en combat. »Silmeria emplit ses poumons de l'air frais de la campagne avant que les mouvements fiévreux du combat ne soulèvent un nuage de poussière irrespirable. De nombreux observateurs s'installaient pour observer le manège qui se mettait doucement en place.
Silmeria se plaça entre les quatre soldats Samouraïs qui saluèrent la femme en s'inclinant doucement. Puis ils prirent en main leurs lourds katanas de bois et attaquèrent les uns après les autres, des mouvements amples de haut en bas, de côté, d'estoc. Les premiers furent facile à éviter mais les coups furent plus nombreux et l'un des hommes l'eut à l'épaule, la fichant immédiatement au sol tant sa frappe avait de puissance.
Elle se releva, la tunique trempée par l'eau de la rizière et l'effort était salie de terre et de poussière. Les soldats tournaient autour de la femme en pas chassés et mouvements souples, difficile de savoir qui la frapperait en premier et le coup vint de dernière, elle su l'anticiper mais le second assaut fit mouche et frappa de nouveau à l'épaule.
Mordant la poussière une fois de plus, Silmeria n'avait pas imaginé qu'elle serait confrontée un jour à la puissance et la vitesse de ces guerriers, ils frappaient précisément et des coups de la sorte, auraient coupé en deux la femme s'il était question d'une vraie lame.
« Un instant s'il vous plaît. » Interrompit la Vénérable en s'approchant du cercle de combat. Les Samouraïs s'écartaient respectueusement de la grand-mère. Elle demanda à la femme de se baisser à sa hauteur. Silmeria s'exécuta sans hésiter un instant.
« Réfléchissez. Courriez-vous accroupie sur les poteaux ? Non bien sûr. Alors pourquoi esquivez-vous les assauts en vous rapprochant du sol ? Vous n'êtes pourtant pas une taupe. Recommencez et ne vous baissez pas je vous prie. Restez droite mais souple et vive, si votre adversaire est vif comme un serpent, alors faite de vous une anguille. Recommencez. Ne retenez pas vos coups messieurs. »Silmeria se retourna et reçu un coup de crosse dans le ventre.
De nouveau pliée, elle souriait à force d'ironie en se disant qu'elle avait découvert le secret pour de solides abdominaux. Suivant les conseils de la vieille, elle essaya de nouveau, à défaut de faire preuve de résultat effarants, elle démontrait une certaine force à la persévérance. Les Samouraïs frappaient encore et encore, les coups qu'elle reçu la mettait presque toujours à terre et à un moment, elle dû s'arrêter pour s'hydrater un peu.
Puis revint.
Amorçant le même manège, couverte de bleue et de poussière, ses mouvements étaient plus hésitants et on dû faire appel à un guérisseur. Un homme en toge, comme les prêtres qu'elle avait déjà rencontré à plusieurs reprises. Et tués. Mais ça personne n'avait besoin de le savoir.
L'homme insuffla un nouveau souffle à la tueuse, bien qu'elle n'eut jamais été soignée par un mage, elle fut agréablement surprise de l'effet provoqué. Comme une tiédeur soudaine, si elle avait eu les yeux clos, elle aurait juré qu'on déposait avec grand soin sur ses bleues un linge tiède et la douleur se dissipa aussi soudainement.
« Je dois reconnaître, jeune fille, que votre force mentale fait plaisir à voir. Je vous fait don d'un nouveau conseil, jusqu'à présent vous restiez droite mais cependant, tourniez le dos à votre adversaire. Restez toujours face à lui. »« Vénérable, ils sont quatre. Faire face à quatre hommes en même temps est un exercice complexe. »« jeune fille, je devrais vous donner un coup de canne ! Si vous étiez ici pour un exercice facile, je ne serais pas là à perdre mon temps pour de telles broutilles ! » Et tourna les talons.
Silmeria observait les quatre soldats se détendre et rire pendant qu'elle mâchonnait sans plaisir une galette de riz trop fade. Irritée de rater son épreuve, elle se leva et força le pas jusqu'aux soldats. Lorsque derrière elle, le guérisseur allait intervenir pour lui dire que ses blessures n'étaient pas complètement soignées, Letorve le retint.
A son arrivée, les quatre Samouraïs se tournèrent vers elle. Attendant peu de pitié et de douceur, elle salua les guerriers et se plaça au milieu du quatuor.
Ils attaquèrent. Elle esquivait. Plutôt que de se baisser pour anticiper un coup, elle fit de son mieux pour observer les mouvements des hommes. Suivre le fil des coups et les éviter tout en restant droite, usant de souplesse et répétant les bonds qu'elle faisait sur les bambous plus tôt au matin. Les frappes sifflaient et elle reçu tout de même quelques coups sur le haut des cuisses mais on estima rapidement qu'ils étaient affligés de justesse. Silmeria reprenait presque du plaisir si elle n'avait pas été aussi malmenée pendant près de deux jours.
Les Samouraïs avaient pour consigne d'arrêter au bout d'un moment et à sa grande surprise, ils rangèrent les armes et saluèrent leur combattante. Essoufflée, Silmeria ruisselait de sueur, sale mais ravie. La Vénérable vint à son tour saluer la voyageuse.
« Vous progressez vite, petite anguille. Bientôt, vous saurez vous rendre parfaitement insaisissable. Ces guerriers ont eu plaisir à vous affronter. Sachez qu'ils sont honorés. Maintenant que la leçon est terminée, vous avez mérité un peu de repos. Votre esprit aussi a besoin de s'isoler. »((( Apprentissage de la CC SA Assassin : Insaisissable )))