>> La Fanfare des PieuxC'est pour qui la fessée ?
La journée de marche fut longue et éprouvante. Car ce que les Garzorks parcouraient en un temps donné, les courtes jambes d'une enfant elfe n'en faisaient que la moitié. Et c'est donc en fin de journée qu'elle parvint enfin à l'étendue d'eau indiquée sur l'itinéraire des soldats omyriens. Posant son fatras dans la neige, Haple fit rouler ses épaules menues, endolories par la corde du tambour. Non pas qu'il soit bien lourd, son coffre de résonance ne contenant que quelques miches de pain et tranches de lard congelées, mais l'enfant elfe n'avait pas encore roulé sa bosse d'aventurière et sa peau blanche avait la tendresse d'une brioche au lait.
Parcourant les berges du regard, Haple nota avec déception l'absence de tentes, de feux de camp ou de tout autre signe de vie. Jusqu'à ce qu'un mouvement furtif à la périphérie de son champ de vision ne lui fasse tourner la tête. Une silhouette lupine venait d'émerger de la neige à quelque mètre du lac et s'ébrouait pour se défaire de la poudre froide prise dans son pelage de même couleur. Avec soulagement, Haple observa la créature se désintéresser d'elle et se diriger vers la berge pour reprendre le cours de sa journée interrompu par l'intruse. C'est alors une enfant rassurée et brûlant de curiosité qui partit à sa rencontre remettant son tambour en place avec une grimace de douleur.
...
“
Qui es-tu ? ” lança-t-elle à tue-tête alors qu'elle était encore loin.
Aucune réaction. Agacée mais pas le moins du monde reboutée, Haple accéléra le pas et une fois parvenue à moins d'un mètre, articula d'une voix impérieuse :
“
QUI... ES...TU ?!”
Alors, la créature à l'apparence d'un loup tourna lentement son museau vers l'enfant. Celle-ci, contre toute attente, n'avait pas peur bien que les crocs blancs pointant derrière des babines aux moustaches givrées auraient dû l'inciter à la prudence. Un sentiment de déjà-vu rendait cependant la vision plus familière qu'effrayante. Et finalement, la gueule s'ouvrit et une voix où frisait l'incrédulité lui répondit :
“
Sérieux ...?”, puis après un temps de réflexion, “
Connaître Elfes peau-comme-neige Moi... Différent Toi...”
Le Liykor se redressa sur ses pattes postérieures avec souplesse, surplombant son interlocutrice de tous son haut, puis examina avec attention la frêle enfant qui l'avait aussi imprudemment hélé.
“
Pas Peur...?”
“
Peur d'un pleutre qui se cache à l'arrivée d'une enfant, certainement pas” rétorqua-t-elle de manière cinglante.
Le pleutre en question ne semblait pas amusé par la langue acérée de la petite. Pas du tout. Et il fit volte-face dans un silence digne.
“
Hé, loup, ne me tourne...”
Mais cette fois Haple n'eut pas le temps de finir sa pique. La créature prit appui sur ses jambes arquées et, d'un fantastique saut périlleux arrière, passa derrière la petite elfe avant de lui asséner un coup de pied sec dans le dos qui l'envoya voler dans la neige. S'étouffant dans la poudreuse, la peau du visage éraflée par la fine couche de givre de surface, l'enfant sonnée s'entendit dire d'elle:
“
Insolent Toi”
Et le sang montant au visage, l'elfe furieuse se releva d'un bond face à son agresseur et lui cracha ces mots au visage :
“
Tu m'as blessé, loup, tu vas le regretter !”
Et avant que l'acrobate ait eu le temps de réitérer la correction, l'enfant le darda de ses yeux plissé par la concentration et projeta sur lui toute la colère qu'il suscitait en elle. (
Qu'il s'étouffe dans la fange !) Aussitôt, la cible de son ire chancela portant une patte à sa gorge velue et l'elfe malicieuse observait avec satisfaction le pelage d'un blanc immaculé de son adversaire s'enliser dans une boue visqueuse qui semblait suinter par tous ses pores. Mais la complaisance était prématurée : D'un brusque mouvement de ressort, le Liykor propulsa sa patte antérieure en avant, déchirant l'air de ses griffes puis lacérant la joue de la mage de terre. Cette fois, la fillette ne se releva pas.
...
Haple tétanisée n'osait plus bouger. Couchée dans la neige, elle regardait son propre sang infuser un à un les cristaux blancs d'une couleur rubis. Dans son dos, elle entendit s'éloigner le râle de l'acrobate retrouvant son souffle ; elle ne s'estimait cependant pas tirée d'affaire. Soudain un craquement sec, comme du verre brisé, la fit sursauter. Et s'ensuivirent des bruits d'éclaboussures et des grognements saccadés. Enfin le silence s'installa...laissant le vent froid apaiser les tensions.
“
Lever Toi” déclara une voix autoritaire où ne perçait néanmoins nulle menace.
Et la petite obtempéra, se tenant la joue d'une main rougie. D'un signe de patte, le vainqueur l'invita à le rejoindre. Il avait creusé un trou dans l'épais bouchon de glace qui recouvrait la surface du lac pour se laver de la boue magique. (
Comment ?!) Et amusé par l'incrédulité de l'enfant, le Liykor s'expliqua :
“
Fort Moi... Un peu”, avant de conclure en fronçant ses sourcils broussailleux, “
Magie Puissant Toi...”
Les deux étrangers se regardèrent dans le blanc des yeux pendant de longues minutes que n'interrompait seulement le clapotis des gouttes de sang tombant sur la glace.
“
Imprudente aussi... Vouloir Toi avec Eux ?” relança l'acrobate en désignant d'une patte les profondeurs du puit creusé.
Et Haple sursauta lorsque, se penchant sur l'eau, elle y aperçut une silhouette floue dérivant à mi-hauteur. Le cadavre était l'image même de son interlocuteur pour autant que l'obscurité des eaux turbides le laissait entrevoir. Haple déglutit en observant ce spectacle qui lui rappelait inévitablement sa responsabilité dans le sort funeste de ses géniteurs, puis secoua la tête en réponse, bien qu'elle savait la question être purement rhétorique. Enfin, le Liykor s'accroupit, en équilibre sur ses mollets velus et indiqua à l'elfe de nettoyer sa blessure à l'eau du lac. Haple, que le mutisme neutre de l'inconnu rassurait, s'approcha du trou de glace et se pencha pour cueillir de l'eau dans la paume de sa main avant de s'asperger le visage d'eau mordante. Elle n'était tout de même pas rassurée de livrer ainsi sa nuque aux crocs puissants du “loup” blanc et suspectait celui-ci de maintenir intentionnellement à son esprit d'enfant butée le rapport dominant-dominée qu'il avait instauré.
Quand elle eut fini sa toilette et que l'eau astringente eut ralenti l'écoulement de sang, Haple se redressa et attendit la suite. Celle-ci vint sans attendre, l'inconnu ayant visiblement médité sur la conclusion à apporter à leur altercation.
“
Pas loup... Liykor” et il dessina d'une griffe un entrelac de courbes et de lignes dans l'air. “
Aller où Toi ?”
Et Haple de lui répondre d'une voix faible mais stable :
“
...Ouest...”
“
Non” répondit le Liykor en fronçant à nouveau des sourcils “
Venir Avec Moi Toi”
Haple fut déconcertée l'espace d'un instant... Voulait-il se joindre à elle ? Auquel cas, pourquoi pas, il avait l'air de savoir se battre. Ou bien voulait-il qu'elle le suive dans son propre périple ? Et comme si celui-ci pouvait suivre le questionnement intérieur de l'enfant, le Liykor répéta :
“
Avec Moi”
“
Hors de question...” rétorqua l'elfe avant de rajouter d'un ton qu'elle espérait déférent “
...Liykor. ”
Elle ne s'était pas affranchie de son carcan normatif en Anorfain pour se fondre dans l'ombre du premier venu. (
Non, je continue à l'Ouest. On verra bien où ça me mènera)
Et, contre toute attente, le Liykor indiqua en toute simplicité d'une patte pointant derrière l'épaule de la petite :
“
Ouest”
...
Se sachant congédiée, heureuse de s'en sortir à bon compte, Haple se leva et salua d'un signe de tête le Liykor avant de retourner vers ses affaires tombées pêle-mêle dans la neige. Alors qu'elle harnachait à nouveau son tambour contenant ses vivres, elle entendit des crissements de pas derrière elle. Allait-il la suivre finalement ? Non, il lui apportait une gourde remplie à l'eau du lac. Parvenu tout près d'elle, il tendit une griffe vers son visage et effleura la plaie qui parcourait sa joue...
“
Regret” déclara-t-il dans un souffle de buée, avec l'oeil examinateur d'un peintre ou d'un sculpteur, comme si l'idée d'avoir dénaturé la pureté de ce visage enfantin le perturbait plus que le fait d'avoir faillit la tuer.
Sur ce, il lui plaça la gourde entre les mains et la poussa légèrement sur l'épaule pour l'inviter à continuer son chemin. Et une fois, eut-elle le dos tourné, le Liykor déposa subrepticement un léger paquet dans le coffre du tambour avant de regarder, une étincelle noire dans ses yeux calcultateurs, l'intrépide ingénue s'éloigner aveuglement dans la direction qu'il lui avait indiquée... plein Sud, droit sur une grotte aux histoires bien connues des locaux.
(((la gourde est déjà dans ma fiche perso)))
>>Brain freeze