Le retour des chasseurs blessés (La meute s’est divisée… La meute a suivi le mauvais éclaireur… Une meute blessée, comme des loups affamés par l’hiver qui se sont attaqués à un vieil ours des montagnes… Mais nous sommes revenus avec la viande dont nous avions besoin… Deux beaux morceaux de viande, encore vivants… L’un hurle, je l’entends, il hurle et il hurlera encore… Le mage y veillera, les Garzoks ont évoqué à demi-mot les techniques pour tenir un homme vivant le plus longtemps possible… Des techniques qui n’ont rien à voir avec celles du guérisseur… Un bon guérisseur, il en faudrait un dans la meute… Dans la troupe…) L’homme avait soigné tous les membres de la Compagnie du Serpent Noir sitôt le rapport fait auprès des supérieurs et du mage. Avec ce qu’on avait pu lui fournir, et l’aide de sa magie, il avait nettoyé et recousu les plaies, amélioré l’état des contusions, rendu un peu de forces aux corps meurtri. L’opération la plus délicate avait été celle de Therion, à qui il avait fallu retirer le carreau brisé, dont la pointe était entrée de manière plus profonde dans la chair à cause des efforts musculaires du Liykor, qui aurait mieux fait pour sa convalescence d’éviter tout ce qu’il avait été contraint de faire dans le feu de l’action. Et sous les ordres de son supérieur. De toute manière, il en avait vu d’autres, et son organismes s’était remis de blessures bien pires : lorsque deux mâles s’affrontaient pour un même territoire, coup de griffes et morsures pouvaient faire bien des dégâts pour les deux protagonistes. Comme toujours dans ces cas là, Therion adressait deux demandes à ses dieux : que la Mère lui rende la santé, que le Père lui confère la force, afin qu’il puisse repartir chasser comme n’importe lequel de leurs enfants.
(Dormir et manger, voilà qui convient au Liykor qui revient de la chasse… Ici je n’ai même pas à défendre la carcasse du cerf… Juste à subir l’odeur de tous ces Garzoks, la puanteur des Worans… Je voudrais de la viande fraîche, mais je n’ai pas le droit de quitter le camp… Me reposer… Attendre les ordres… Jusqu’à ce qu’un jour on me débarrasse de ce fichu collier… Du métal et de la magie… Voilà comment asservir un libre chasseur… Mais le Père ne saurait laisser ses enfants éternellement soumis à des êtres aussi veules que les Garzoks, et à leur prétendue Déesse…) Le Garzok-chef le tira de ses réflexions d’un coup de pied dans les tibias. Sans songer un seul instant à grogner, Therion quitta sa paillasse d’un bond pour adopter un garde-à-vous à peu près convenable, pour éviter le bâton ou le fouet pour insubordination. Son supérieur marmonna son assentiment tout en observant ses blessures les plus récentes, tout particulièrement celle causée par le carreau d’arbalète.
« T’es en état d’effectuer une petite mission de routine ? »
« Tant qu’il faut pas soulever des trucs trop lourds… chef… Ca devrait aller… chef… Faudrait pas rouvrir la plaie qu’on m’a dit… chef… » « Ouais, ouais, on m’a dit. On a tous sacrément morflé. Mais tu t’es bien battu, et ça j’l’ai fait r’marquer aux galonnards. On en aurait p’têt’ plus galéré si t’avais pas défoncé la porte… Enfin si j’viens t’voir c’est parc’que tu fais une putain d’mauvaise impression quand tu passes dans la foule, et ça c’est c’que veulent nos chefs. Faudrait pas que c’qui s’est passé l’aut’ jour recommence. Faudrait qu’à Dahràm les gens comprennent qu’y faut pas chercher nos soldats, et surtout pas trahir. »
« Sûr… chef. » « Tu t’souviens de l’informateur ? Le mec qu’t’as assommé ? Joli coup d’ailleurs ! Les bourreaux du camp ont fini d’le travailler au corps, et les galonnards savent ce qu’y voulaient savoir. L’est encore en vie, pas beau à voir, mais encore en vie. Là haut y s’sont dit qu’y faudrait comme qui dirait faire un exemple. Pas qu’les gens oublient. On va s’rendre en ville demain. On va marquer l’esprit du populo moyen qu’y z’ont dit ! Et on r’prend not’ mission maintenant qu’on a l’guérisseur. »
« On va chasser… chef ? » « Nan ! Mais qu’est-ce qu’t’as avec la chasse ? C’pas fini tes d’mandes de chasser ? T’as pas assez d’bouffe ? T’en veux moins ? »
« Non chef… Une simple question… chef. » « J’viendrai t’chercher avec les autres demain. Pionce, mange, on r’prend bientôt l’plein service. »
« Oui… chef. » (Faire un exemple pour le populo… Bien une idée de Garzok… Quels chasseurs sont-ils si leurs proies ne les craignent pas sans « exemples » ?... De piètres chasseurs… Nous ferons un exemple… Je jouerai au monstre… Je donnerai une bonne raison à ces petits humains de craindre les Liykors…) Regagnant sa paillasse, moins confortable et moins parfumée que les tapis de feuille morte dont, du temps de sa liberté, il tapissait sa tanière, il se laissa glisser dans une sorte de demi-sommeil de bête dont il s’accommodait très bien pour passer le temps lorsqu’aucune activité ne se présentait à lui. Il ne pouvait pas chasser, ni même quitter le camp ; il avait mangé et ne souhaitait pas boire avec les autres membres de la Compagnie, pas plus que se mêler à leurs jeux de hasard ou leurs parodies d’épreuves de force. Mieux valait songer à la liberté à venir, aux bois giboyeux et à leurs chasses fructueuses, et à la manière dont il ferait entrer la peur dans le cœur de ceux qui l’avaient asservi.
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