<<<Le reste de la journée est consacré à la visite de la cité. En quittant la boutique, nous revenons sur nos pas, passant devant les mêmes étals et ivrognes. Nous parvenons finalement à nouveau dans la large rue qu'on me définit comme le quartier des marins. Juste en face de nous, un bâtiment ressemblant à une taverne médiocre. Le Shaakt prend la parole à voix basse m'expliquant que ce restaurant appelé La Table du Gros Néral cache dans son sous-sol un atelier de falsification d'art.
J'hausse un sourcil. Jamais je n'aurais imaginé que l'art intéressait les animaux de cette cité. Encore une mauvaise image que j'avais. Mon guide me prévient que le Gros Néral est un homme puissant et influent de la cité et qu'il faut éviter de lui chercher des problèmes, me précisant qu'il n'avait affaire à lui que les rares fois où les prises contenaient des tableaux.
Il m'invite à poursuivre la marche sur la grande route avant de bifurquer devant une vieille baraque en bois humide qu'il me montre de la main. Il m'explique que ce vieux tas de bois branlant est le cabinet du seul guérisseur de Darhàm. Je pousse un soupir amusé. Tout me dit que rentrer là-dedans signifiait d'en ressortir avec une gangrène.
Nous continuons d'avancer dans les rues sales, passant devant les yeux implorants des clochards et mauvais des truands. Il m'indique un autre bâtiment, l'auberge des voyageurs qu'il me décrit plutôt comme un bordel et un repaire de malfrats. Juste à côté, une écurie massive en excellent état par rapport aux autres bâtiments. Nous passons devant pour nous retrouver devant les portes de la cité. De grandes portes encastrées dans deux tourelles faisant parti des remparts. Malagor se dirige d'ailleurs vers les escaliers menant au sommet. Je le rejoins, empruntant les marches érodées et glissantes. Ces remparts font peine à voir. Instables, des passerelles en bois pourrissantes, des pans entiers se sont mêmes effondrés. Autre fait choquant, personne pour les garder. Je grommelle quelques mots entre ma mâchoire serrée.
"Cette cité est laissée à l'abandon."Les remparts, les infrastructures, les portes. Tout ici manquait de s'effondrer. J'ignorais les raisons mais cela me procurait une colère noire.
"Darhàm survie grâce à son commerce si particulier. Aucune autorité l'en empêche, les quelques gardes de la cité ont pour ordres de protéger le palais du roi." Il me désigne un bâtiment en bonne état à l'apparence opulente.
"Roi qui n'en porte que le titre, il est le plus grand escroc du continent. Seule sa richesse l'intéresse. Il taxe les criminels qui se servent de sa ville pour s'enrichir et il se fait taxer par Omyre qui s'est emparé de cette citée. D'où l'état désastreux des remparts. Oaxaca était la seule menace. Maintenant il n'y a plus d'intérêt de s'en protéger. " Je détourne mes yeux de la cité sale et malodorante pour les tourner vers les plaines nous entourant. Du haut des murailles, la vue était imprenable sur des kilomètres. Au-delà des bois à l'est dépassait les tours immondes de la cité Shaakt, à l'ouest, celle de la cité noire d'Omyre.
"Jusqu'où s'étend le royaume de Darhàm ?" Demandais-je intéressé.
Le Shaakt hausse les épaules.
"Difficile à dire. Personnellement je ne parlerais pas vraiment de royaume. Le territoire appartient à Omyre comme je vous l'ai expliqué mais sinon je dirais que ça s'étend à l'est jusqu'aux marais de l'Atha Ust et au sud jusqu'aux montagnes. A l'ouest je ne pourrais pas le dire. "Un petit territoire mais dont la seule menace à présent pouvait venir du sud, des montagnes. Un vol de corbeaux m’interrompt dans mes pensées. Je suis les oiseaux des yeux. Ils me guident vers la mer. Etendue étincelante où les navires venaient et partaient toujours. Encore un message de Phaitos. C'est vers la mer et ses ressources que je devais tourner mon attention. Je me tourne vers le Shaakt qui m'invite à poursuivre sur les remparts.
Nous passons au-dessus des portes pour surplomber les quartiers sud-est de la ville d'où remonte une odeur putride atroce. Je pousse un râle de dégout en me couvrant le nez.
"Oui je sais. " dit Malagor las en se couvrant lui aussi le nez.
"Ces quartiers sont à éviter. Repaire de mendiants, putes, crapules. Tout n'est que crasse et pauvreté. Des épidémies plus ou moins graves s'y déclenchent fréquemment. "
J'observe les bâtiments crasseux d'un air dégouté. Un quartier bon à brûler d'après moi.
"Ne trainons pas plus que nécessaire."J'hoche la tête avant de le suivre.
Nous passons au-dessus du fleuve et nous nous arrêtons au niveau de deux masures qui n'ont à priori rien de spécial. Un corbeau vient se poser sur l'une d'elle, tournant son regard vers nous, vers moi.
"Un temple." Soufflais-je
Ein me regarde surpris avant d'acquiescer.
"Oui deux. Celui de Phaïtos et de Thimoros."Il m'observe un instant, décelant sans doute l'excitation d'avoir un temple de Phaïtos ici et l'énervement que je ressens en voyant que ce n'est qu'une simple bâtisse en ruine.
"J'ignore quels dieux vous priez monsieur Rougine et honnêtement ça ne m'intéresse pas. Tachez simplement d'être prudent si vous souhaitez vous rendre dans ces temples. Je n'ai pas pris les remparts par hasard. Ces quartiers sont plus dangereux que les autres. "Cette cité n'était que ça. Violence, luxure, maladie. Des criminels qui ont trouvés dans cette cité à l'abandon un paradis où tout leur est permis jusqu'à ce qu'ils trouvent plus fort qu'eux. J'adorais ça. Une vive excitation s'emparait de moi. Cette cité était parfaite. Voilà pourquoi Phaïtos m'a amené ici. C'est ici que je pouvais recommencer tout à zéro.
Sur la dernière partie des remparts, mon guide me parle encore de religion. Darhàm est une cité de marin, il est donc normal que la divinité la plus vénérée ici soit Moura et son temple en est à la hauteur. Visible depuis les remparts, il s'agit de l'épave d'un majestueux bateau dont la déesse orne la proue.
La visite se conclue par la vision du cimetière, vaste étendues de tombes pillées entouré d'un muret qui tombe en morceaux.
Alors que nous redescendons par les escaliers escarpés, le soleil commence à disparaitre à l'horizon et le shaakt me donne les dernières directives.
"Vous pouvez passer la nuit où vous le voulez. Sachez simplement que la nuit sur le navire est gratuite mais soumise aux lois en mer. Voilà pourquoi le navire est abandonné."Il se permet un léger rire avant de conclure.
"Mais n'oubliez pas que le Capitaine veut vous voir demain matin."J'hoche la tête, signifiant que j'ai compris.
Sur ces mots, il me souhaite une bonne soirée avant de disparaitre dans la foule qui peuple encore le port.