Inscription: Dim 10 Nov 2013 19:47 Messages: 952 Localisation: Montagnes de Nirtim
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Lorsque je fus enfin libre de mes mouvements, le silence était revenu dans les montagnes, ne restaient comme preuve de ce qui s’était déroulé au cours de la nuit que deux cadavres de loup et les reliefs brisés et sanglants du traqueur obscur, ainsi que la sueur glacée qui coulait le long de mon front, gelant peu à peu sous les assauts du vent. Les premières minutes suivant la sortie de ma paralysie sont un flou indistinct dans ma mémoire, résumé d’instants soumis à la panique et à l’adrénaline pure qui pulsait dans mes veines. Tous mes instincts de survie avaient été éveillés par l’étrange rencontre qui, plus étrangement encore, ne s’était pas soldée par ma mort. Je suis certain d’avoir récupéré certaines de mes flèches, mon arc, mon barda, parce qu’ils pèsent sur mes muscles endoloris alors que redescends vers le village, l’oreille aux aguets. Même si un sentiment diffus d’apaisement rôde à la lisière de ma conscience, comme un murmure m’assurant que mon retour sera tranquille, je ne peux m’empêcher de voir en la plus petite des ombres une créature prête à bondir pour mettre fin à mes jours. Mon cœur accélère plus que de raison à chaque détour, à chaque paquet de neige qui, sous la pression du vent, s’effondre d’un rocher en un froissement feutré ; vivement que les premières fumées, ainsi que les ombres rassurantes des maisons, soient en vue, je crains que mon organisme ne supportent pas un tel traitement trop longtemps : ma mère avait coutume de dire que ceux dont le cœur s’affole comme celui d’un lapin meurent les premiers… Rien ne vint troubler mon retour sinon les premiers feux de l’aube au loin qui teintaient, à l’est, l’horizon d’un bleu marine profond. Plusieurs heures s’écouleront encore avant que le jour ne jette ses rayons sur le village d’Alkil, seule ma position dominante, les deux pieds campés sur les hautes pentes des monts de Nirtim m’offre le privilège de ce spectacle. Comme doit être unique la vue depuis la légendaire île volante des elfes dorés… Le temps de la contemplation n’est pas encore venu, et comme se dessinent plus nettement les contours du village et la perspective de la sécurité la fatigue s’abat soudainement sur moi, retenue jusque là par des ressources que je ne m’imaginais pas. C’est en mobilisant mes dernières forces que je lève plus péniblement que jamais mes raquettes pour gagner la demeure du Nécromancien. Je ne désirais pas que les villageois me voient dans cet état d’épuisement et me posent des questions, d’autant plus que mes vêtements étaient tachés du sang d’un des loups, et surtout il me fallait régler avec lui la dette qu’il avait contractée à mon égard maintenant que ma mission était accomplie. Le risque pris, ma vie mise en danger, méritaient bien que mes demandes soient exaucées. Magie ou pas, ce sera face à ma lame qu’il lui faudra s’expliquer s’il refuse d’exécuter sa part du marché. Mon poing heurta lourdement la porte comme lorsque j’étais venu la veille à la recherche de plus d’informations concernant la quête absurde dans laquelle je m’étais lancé. « Entre, Chasseur, entre. Je t’attendais. » Rien n’a changé dans la demeure depuis mon dernier passage sinon un feu vif ronflant dans l’âtre, réchauffant assez l’atmosphère pour rendre superflu mon manteau et me donner un sentiment de confort bienvenu après les heures passées dans la froidure de la nuit. Un grand fauteuil a été débarrassé de tout ce qui l’encombrait lors de ma précédente venue, et placé plus proche du foyer. « Assied toi. Je crois que tu as besoin d’un peu de repos et je ne peux malheureusement pas t’offrir mieux. » « C’est déjà mieux que rien… Merci. » Mon manteau va rejoindre mon sac, posé près du fauteuil, avec mon carquois, mon arc et les raquettes ; je détache le fourreau de mon épée mais le garde près de moi, tout comme je ne me sépare pas de mon coutelas à la cuisse. Que ce nécromancien n’aille pas croire que je me laisse amadouer par quelques marques d’attention qui correspondent à la moindre des politesses quand on a envoyé un homme vadrouiller dans la poudreuse jusqu’aux genoux pour mettre à mort deux fauves particulièrement coriaces. Toutefois, je dois reconnaître que son mobilier est plus confortable qu’il en a l’air, et que la température bienvenue atténue quelque peu mon animosité à l’égard de l’homme qui me fait face. « Les deux loups sont morts. » « Je sais. J’ai… perçu, si je suis dire, qu’il s’est passé quelque chose. » « Tu sais. Dis donc, Nécromancien, tu savais aussi pour l’aut’ crevure qu’j’ai trouvé dans la montagne ? » « J’ai senti une troisième mort. Mais je ne savais pas que tu allais croiser… ça. Je te l’aurais dit sinon. » « C’est ça… » « Par contre tu n’étais pas seul là haut, ce n’est pas toi qui a tué le traqueur, n’est-ce pas ? Il y avait autre chose dans la montagne cette nuit, quelque chose qui te dépassait de loin, et qui dépasse mes pouvoirs. Je n’ai rien pu voir de précis, juste sentir. Qu’était-ce ? » « Je l’ignore, Nécromancien, j’étais… paralysé. Que’qu’chose m’a ensorcelé, je pouvais plus bouger. J’ai rien vu. » « Eh bien c’est une affaire à creuser. Il faudra que j’en parle aux villageois lorsqu’ils viendront requérir mes services. C’est fou ce qu’ils savent ces gens là, surtout les bergers, toujours sur les chemins… » « Ben on dirait qu’y z’en savent pas assez. C’est pour ça que j’suis là Nécromancien, rappelle toi. Tu m’dois des réponses. » « Oh Chasseur ! Attention. Je ne te dois pas des réponses, mais je te dois de l’aide, c’est vrai. Tu as rempli ta part du marché, je remplirai la mienne. Cependant… Tu m’as l’air bien fatigué, et je ne crois pas qu’on puisse parvenir à quoi que ce soit si tu es dans cet état. » « Nécromancien, j’ai passé ma nuit dans c’te montagne, j’ai failli y laisser ma peau, alors mes réponses j’les veux maint’nant, et ensuite j’irai pioncer, en paix. Est-c’que tu sais que’qu’chose sur l’aut’ gars et sa hache, oui ou non ? » « Bien, si tu es si pressé… Lançons-nous dans le rituel. » Sans m’adresser un mot, avec le plus grand sérieux du monde, il allume une chandelle qu’il plante dans un bougeoir d’étain ; tout en marmonnant un galimatias sans doute propre à son art obscur, il agite la lumière dans un lent mouvement de balancement régulier. Je ne comprends pas bien à quoi il veut en venir, mais il doit probablement savoir ce qu’il fait : j’imagine que parfois les innombrables précautions que prennent les bûcherons sur un chantier sont tout aussi mystérieuses que les simagrées auquel l’homme se livre devant moi… « Alors Nécromancien, ça… » La situation dans laquelle je me trouve coupe court ma remarque, l’incompréhension l’emportant sur l’agacement. Mon épée n’est plus contre ma cuisse mais appuyée avec l’arc contre le fauteuil, une couverture épaisse de laine me recouvre, le foyer ne contient plus que des braises rougeoyante ; le mobilier et le capharnaüm du reste de la pièce a laissé place à un espace vide de tout encombrement où le Nécromancien est en train de placer en cercle de lourdes pierres noires, polies et gravées de runes par endroit, visiblement tirées d’un lourd coffre que verrouille habituellement une bonne serrure. « Bonjour. Bien dormi ? » « J’ai… Combien de temps ? » « Au moins toute la journée, j’ai été pas mal absorbé par les préparatifs du rituel sur la fin, la nuit est déjà tombée depuis un bout de temps, alors pour te donner une durée précise… Mais tu devais être sacrément fatigué après les épreuves de la nuit dernière. J’ai préféré te laisser dormir, vu ce qui t’attend… » « Qu’est-c’qui m’attend, Nécromancien ? Tu m’donnes mes informations et j’pars, c’était ça l’marché, non ? » « Dormir n’a pas rafraichi ta mémoire à ce que j’entends… J’ai parlé de t’aider à obtenir les informations que tu cherches, mais en aucun cas de te les donner. Je n’en dispose malheureusement pas, sinon crois bien que tu serais déjà en leur possession. Mais je sais à qui demander, et c’est ce que nous allons faire. » « Comment ça à qui demander ? J’veux des explications plus claires, Nécromanciens. J’sais pas à quoi tu joues, mais j’veux pas m’faire embobiner. A quoi tu joues Nécromancien, c’est quoi tout c’fatras qu’tu nous empile là ? Et ces cailloux ? Ya un rapport avec c’que j’te d’mande ? Ch’ui allé risquer ma peau, c’que j’ai d’plus précieux figure toi, dans les montagnes pour tes deux loups, alors j’aim’rais bien qu’tu sois un rien franc avec moi. » Le Nécromancien s’arrête dans ses préparatifs à la fin de mes propos, visiblement ennuyé par la situation dans laquelle il se trouve. Sans mot dire il se dirige vers un petit buffet que je n’avais pas aperçu jusque là, couvert qu’il était par des bouquets de plantes séchées et quelques morceaux d’étoffe peinte déroulés là, pour en tirer une belle carafe de verre où vacille un liquide rubis et deux timbales d’étain ornées de ceps de vignes et grappes de raisin finement martelées. Les deux récipients remplis il m’en tend un avant de porter le sien à ses lèvres sans un mot, peut-être pour me montrer que je n’ai pas à craindre la présence d’un quelconque poison : une telle pensée m’a rapidement traversé l’esprit, je le confesse, pour être aussitôt abandonnée puisqu’il aurait pu absorber un antidote sans que je m’en rende compte, ou me mettre à mort bien plus aisément alors que je dormais. Le vin caresse mon palais avec une douceur qui dans un premier temps me surprend, tant elle est éloignée des rouges que j’ai l’habitude de consommer ; la piquette qu’on me sert parfois dans les Montagnes ne vaut pas les crus qui agrémentent les repas des sinaris, mais je n’avais jamais eu l’occasion de goûter à un tel velours, on y sentait tout le soleil et la richesse d’une terre que je n’avais probablement jamais foulé. « Un rouge d’Imiftil, des coteaux de Tulorim. » m’informe le Nécromancien qui a probablement perçu mon air appréciateur. « Personnellement je préfère les vins gorgés de soleil. Et le voyage des tonneaux en navire les rend encore meilleur paraît-il. Yuimen soit remercié d’avoir donné aux hommes la vigne, un des plus beaux fruits de la terre. Enfin je ne pensais pas te parler de vins…J’ai perdu l’habitude de m’adresser à d’autres personnes que les villageois des Duchés qui viennent me trouver. La plupart du temps il me faut faire du mystère, m’entourer d’objets étranges et procéder à des rituels intrigants… Pardonne-moi de ne pas avoir été d’emblée franc avec toi, les vieilles habitudes ont la vie dure. » « Je comprends. » « Je pense bien. Ce que tu me demandes, vois-tu, ne relève pas de la nécromancie de base telle qu’on peut la pratiquer pour entrer en contact avec un défunt récemment passé de l’autre côté, ou un spectre bien ancré dans un lieu. Je ne connais ni le nom de celui que tu cherches, ni rien d’autre à son sujet que ce que tu m’en as dit : il aurait possédé une hache qui aurait pu être un objet de grand pouvoir. Je suis impuissant… Enfin tout ça tu le sais, je te l’ai déjà dit, je me répète… Mais je sais qui peut te répondre… Il est une créature de Phaïtos dont tous ses fidèles un tant soit peu versés dans les arts sombres connaissent l’existence. Elle dispose d’une connaissance dont aucun homme ne peut rêver, elle marche dans les Enfers et peut écouter ce que disent les morts, elle est, j’en ai l’intime conviction, omnisciente. Elle seule peut répondre à tes questions, et je m’apprête à l’invoquer pour toi. Cette créature, on l’appelle le Gentâme. » « Comment ça s’fait que j’en ai jamais entendu causer ? » « Lis-tu des livres ? Parles-tu avec des érudits ? T’intéresses-tu à la magie ? Bien entendu que tu n’en as jamais entendu parler, il ne s’agit pas de ces monstres dont on truffe les histoires pour les rendre plus terrifiantes ! Je te parle là d’une entité d’une toute autre dimension ! Tu m’as l’air plus futé que la majorité des bouseux qui m’interrogent la plupart du temps, alors, s’il te plait, fais en sorte de te conformer à cette image que j’ai de toi. » « Pas besoin de mal le prendre… Et qu’est-ce que je dois savoir sur ce Gentâme ? Il est dangereux ? » « Eh bien… Pas au sens où on peut l’entendre communément… Ce serait comme demander si la mort est dangereuse, ou si le savoir est dangereux. Une question de philosophe, et je doute que ta question soit d’ordre philosophique. Non… Si tu souhaites savoir s’il s’agit d’une créature qui sitôt invoquée te sautera au cou pour te saigner, la réponse est non. Jamais je n’ai recouru aux services du Gentâme, mais j’en sais assez pour te donner un conseil : ne lui pose qu’une simple question, et quand tu auras ta réponse, ne va pas plus loin. Les histoires les plus fiables parlent d’un échange : un peu de sa vie contre ce que le Gentâme sait. Des invocateurs trop gourmands auraient suivi le Gentâme jusqu’aux Enfers à ce qu’on raconte, pour un voyage définitif, si tu vois ce que je veux dire. » « Tu es en train de me raconter que je risque ma vie, Nécromancien ? » « Tu as risqué ta vie en allant dans la montagne, tu as risqué ta vie en venant ici. Mais il y a risque et risque. Mon intention n’est pas de t’envoyer à une mort certaine, mais de t’aider à trouver ce que tu cherches, j’ai donné ma parole, rappelle toi. Cependant, si tu cherches à aller trop loin, je ne peux rien faire pour toi. » « J’crois pouvoir me maîtriser. Officie, Nécromancien, j’m’occupe du reste. »
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Dernière édition par Jager le Lun 6 Jan 2014 20:37, édité 1 fois.
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