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 Sujet du message: La demeure du Nécromancien d'Alkil
MessagePosté: Jeu 28 Nov 2013 19:27 
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La demeure du Nécromancien d'Alkil


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Les arts nécromants n’ont guère bonne presse dans les Duchés des Montagnes : les habitants de ces territoires rudes s’entendent pour dire qu’il s’agit là de la manifestation de Thimoros, de sa progéniture, Oaxaca, et de tous les malheurs qu’elle entraîne avec elle.

Pourtant il est des hommes pour faire commerce avec les morts, les âmes errantes, et prétendre entrer en communication avec les Enfers. Nombres d’humains et de Thorkins ignorent ce qu’il en est réellement, aussi préfèrent-ils ne pas évoquer plus que de nécessaire les pratiques les plus obscures de la magie, de peur d’attirer sur eux des esprits mauvais. Cependant, il en est toujours pour croire qu’une malédiction les touche, qu’un défunt s’est éteint avec une rancune tenace, qu’une âme erre et mérite le repos, qu’un spectre hante un lieu.

Pour toutes ces raisons on tolère certains individus, tolérance mâtinée d’une crainte profonde, viscérale. Un homme est de ceux là. Dans les parages du village d’Alkil, il se fait appeler le Nécromancien, tout simplement. Un jour il est arrivé et s’est installé dans une bergerie abandonnée car hantée, puis a commencé son étrange commerce. Aux voyageurs venus le trouver, il se présente toujours dans une longue robe de bure noire qui accentue la pâleur de sa peau. Ses traits fins laissent planer des doutes quant à des possibles gouttes de sang elfique qui couleraient dans ses veines. Mais ce qui impressionne le plus les paysans venus chercher un secours contre un envoûtement qui pèserait sur leur troupeau, ce sont les prunelles rouges du Nécromancien, deux braises qui forment comme un signe de vitalité dans ce corps qui déjà semble habité par la mort.

Qui pénètre en sa demeure y trouvera un nombre impressionnant de grimoires reliés de cuir, des fétiches de divers sortes, de bocaux emplis d’herbes et substances étranges et étrangères à ces montagnes, des os d’animaux morts, d’humains peut-être. L’initié n’y verra peut-être qu’un étalage de breloques pour impressionner la galerie, mais n’est-ce pas ce que les clients habituels du nécromancien attendent de lui ? Et puis l’initié comprendra que l’homme aux yeux de braise est une véritable menace, malgré le décorum qu’il déploie autour de lui à la manière des charlatans.

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 Sujet du message: Re: La demeure du Nécromancien d'Alkil
MessagePosté: Dim 8 Déc 2013 20:47 
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Allégé du poids des peaux, avancer dans la neige me paraît plus aisé. A moins que ce soit mon estomac plein de nourriture chaude et reconstituante. Ou la perspective d’avoir peut-être une réponse à mes questions. Je n’ai pas parlé à Edouard du conseil de Brundr, respectant la volonté de ce dernier, je me suis contenté de dire que j’avais aperçu des traces intéressantes en venant et que je souhaitais voir ce qu’il en était, ce qui m’amènerait probablement à revenir passer la nuit à l’auberge. C’était à demi vrai. Je ne pouvais de toute manière pas encore partir, le jour est déjà bien trop avancé, et je compte bien faire le chemin du retour comme l’aller, d’une traite.

Suivant les indications du tailleur de pierre j’ai fini par trouver la bergerie. L’autel de Yuimen m’est connu, mais j’ignorais tout de cette bâtisse avant qu’il ne me la mentionne. Rien de plus normal, je n’explorais guère les parages lorsque je venais, et on avait dû soigneusement m’en tenir éloigné lors des quelques jours que j’avais passé à Alkil ces dernières années. Un nécromancien… voilà qui n’augure rien de bon pour un village, surtout en termes de rumeurs dans le reste des bourgades des Duchés. Je n’ai pas de mépris pour les magiciens, je respecte la connaissance de leur art, tout comme j’attends d’eux qu’ils reconnaissent mes capacités à pister un gibier ou à abattre un arbre avec la précision et la rapidité attendue d’un bon bûcheron. Qu’ils jouent d’un fluide ou d’un autre, voire de tous, peu m’importe. Il en va d’eux avec leur magie comme de moi avec ma hache : à l’aide de ma hache j’ai dégagé des chemins en travers desquels des arbres étaient tombés lors d’une tempête pour permettre à des caravanes de passer, à l’aide de ma hache j’ai aussi pris des vies. Ce serait mentir que d’affirmer que je n’ai aucun préjugé face à ceux qui versent dans les pans les plus sombres de la magie, cependant je ne nourris qu’une suspicion de bon aloi à leur égard, tout comme je me méfie des roublards de tout bord et personnes louches aux attentions plus ou moins bienveillantes ; de haine ou de défiance hostile, je n’en ai point pour le nécromancien. Si la moitié de tout ce que l’on raconte sur ses semblables est vraie, alors j’ai peut-être du souci à me faire. Mais je n’oublie pas pour autant ce que l’on raconte des forestiers et ermites qui vivent dans les bois de leur chasse : ne sont-ils pas de dangereux criminels, des êtres peu regardant sur le nombre de pattes de leur gibier, détrousseurs à leurs heures et, comme certains n’hésitent pas à le raconter lors des veillées, friands d’enfants perdus… Nul doute que je suscite autant de ragots chez certains Sinaris que ce nécromancien à Alkil…

(Et encore… prétendu nécromancien. Rien ne m’assure qu’il ne s’agit pas d’un charlatan assez habile pour mystifier des montagnards un peu trop crédule et pas assez regardants sur les pratiques dites magiques de l’homme…)

Mes pas m’amènent enfin à l’ancienne bergerie. En l’apercevant de loin, je ne peux que reconnaître que le lieu fait l’objet d’une belle mise en scène. Sous le toit qui s’avance pendent de longs et sinistres mobiles d’os à demi peints et de plumes noires, sur des piquets sont fichés de cranes blanchis de diverses bêtes, dont certains, particulièrement menaçant, ne ressemblent à rien de ce que j’ai jamais eu l’occasion de chasser sur ce continent, fort heureusement pour moi ! Le tape à l’œil qui convient au charlatan, à ne pas en douter, comme le crâne peint en un pourpre sombre sur la porte, annonçant la profession de l’occupant aussi sûrement que l’enclume en fer forgé qui fait office d’enseigne chez Bernard. Sans me laisser démonter je frappe trois lourds coups de mes poings gantés, assez fermement pour ne pas laisser de doute sur le peu d’impression que me fait sa plantation funèbre.

« Entrez. »

La porte soigneusement graissée s’ouvre avec une légère résistance liée à la bande de laine clouée au niveau du sol pour empêcher les vents coulis de pénétrer la pièce. Les chandelles réparties sans ordre ni économie partout dans la pièce, fournissant une luminosité autrement plus propice à la lecture que les maigres lueurs filtrant par les peaux huilées des fenêtres, vacillèrent à mon entrée et ne reprirent leur verticalité tremblante qu’une fois la porte refermée derrière moi. Ce qui s’offre à mon regard dans cette bâtisse de pierre ne dépare pas avec le décor extérieur. Aux poutres pendent d’autres mobiles, plus travaillés et recherchés que ceux sous les avancées du toit mais tout aussi sinistres, d’os, de perles et de plumes, sur les étagères reposent des livres épais, d’apparence ancienne, aux reliures inquiétantes dans les motifs imprimés au fer sur le cuir, sans compter les flacons de verre où nagent des bêtes, peut-être même des organes, dans des liquides opalescents. Malgré mes convictions concernant la compétence encore hypothétique de l’homme chez qui j’ai pénétré, je ne peux empêcher mes tripes de se serrer et une vague sensation de malaise de s’emparer de moi. Le poids de l’épée à mon côté, le coutelas qui bat le long de ma jambe m’apportent un certain réconfort.

« Que me veux-tu, étranger ? »

Ses yeux sont rouges… Non pas comme ceux de certains hommes à la peau décolorée, mais bien un rouge flamboyant, comme deux braises sur lesquelles on viendrait de souffler. Les voir briller sous l’épaisse capuche de sa robe de laine noire ménage un effet qui doit sans doute saisir les montagnards autant que je le suis actuellement, malgré les idées avec lesquelles je suis venu en ces lieux. Son vêtement ne l’habille pas seulement, il l’entoure, on dirait presque qu’il le porte, le soutient dans le large fauteuil de bois ; les mains qui émergent des manches sont fines, donnent une impression de fragilité ; les poignets à peine visibles semblent couturés de fines cicatrices, nacrées. Le visage plongé dans l’ombre est fin, encadré de cheveux longs, un nez un peu trop busqué pour vraiment embellir ces traits rappelle celui du rapace. Sa physionomie est somme toute celle d’un échalas chétif, presque souffreteux : seuls ces deux yeux pourpres viennent redonner un semblant de force à l’ensemble, rendant indécise mon opinion à l’égard de cet homme.

« Paraît qu’t’es un nécromancien, paraît qu’les nécromanciens peuvent parler des morts. V’là pourquoi j’viens t’voir. »

« Je peux entrer en contact avec des morts. Certains morts. Tu as tué, des gens proches je crois. Est-ce pour cela que tu es venu me voir ? »

« Non. Ceux qui sont morts d’mes mains peuvent rester morts. Et silencieux. J’veux savoir quelque chose sur un homme qu’est peut-êt’ mort, et qui avait peut-êt’ en sa possession un objet que j’cherche. »

« Ca commence à faire beaucoup d’hypothèses, et trop peu de précisions. Assieds-toi donc sur ce tabouret et raconte moi plus en détail en quoi tu penses que je pourrais t’aider. »

Pour la seconde fois de la journée j’ai raconté l’histoire d’Aaron, de Grutgont et de Molo, en occultant toutefois le caractère personnel et obsédant qu’a pris cette quête à cause des rêves et des allusions du Sinari. J’ai enrobé le récit de la question de la dette des deux vieux, pour me détacher de la nécessité de retrouver ce bûcheron et la hache à l’origine prétendument quasiment légendaire.

« Un objet de pouvoir… Et un homme peut-être mort depuis longtemps. Les Sinaris vivent plus vieux que les hommes. On ne croirait pas pour des êtres aussi petits ! Enfin… Moi-même je ne peux rien faire pour toi. Mes pouvoirs ne sont pas assez vastes pour interroger ainsi une âme dont je ne sais rien, avec laquelle je n’ai aucun lien. Je suis un peu comme un bon limier qui a cependant besoin d’un élément pour suivre une piste et qui ne saurait continuer la poursuite à travers l’océan... Cependant… Il est des entités qui en savent plus que moi, et que je peux interroger. Mais cela a un prix. »

« J’ai de l’argent… »

« Oh, l’argent n’a guère d’importance à mes yeux. Moi aussi j’en ai. Je pensais à autre chose. »

« Annonce ton prix, nécromancien. »

« Il y a quelques jours des villageois sont venus me voir. Ils voulaient que je les aide à se débarrasser de deux gros loups, des bêtes pas naturelles ont-ils dit. Ils pensent qu’il y a quelque ressort magique là-dessous. Malheureusement pour moi, et heureusement pour eux, il ne s’agit que de deux bêtes particulièrement impressionnantes mais dénuées de toute magie sombre, poussées par la faim dans les hauteurs. Peu commun, en effet, mais tout de même envisageable. »

« Et alors ? Vous z’avez pas l’pouvoir pour vous défaire de deux loups ? »

« Ne me sous-estime pas, étranger. Je pourrais me défaire de ces deux loups, comme tu dis. Mais je ne veux pas le faire. Je commerce avec la mort et suis un disciple de Phaïtos. Les puissances avec lesquelles j’évolue sont un moment du cycle de la nature, mais je ne préfère pas me frotter à d’autres Dieux qui verraient d’un mauvais œil mes pratiques. J’éprouve du respect, de la crainte pour Yuimen, aussi ne souhaité-je pas m’en prendre par quelque sort à ces deux bêtes qui effraient tant les villageois… Mais je ne peux pas non plus ne rien faire, faute de perdre le prestige dont je jouis dans l’esprit des gens des montagnes… Tu comprends, n’est-ce pas ? »

« J’comprends… Vous voulez qu’j’aille m’occuper d’ces deux loups… »

« Voilà ! Tout à fait ! Tu as un esprit vif. Tue ces deux loups et ramène moi leur dépouille et je t’aiderai à savoir ce qu’il est advenu de cet homme et de sa hache. C’est mon marché, le seul que je puisse te proposer. A prendre ou à laisser. Si tu ne veux pas, ne me fais pas perdre mon temps, va donc t’adresser à quelqu’un d’autre. »

« Et quelles garanties j'ai ? »

« Aucune, sinon ma parole. »





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 Sujet du message: Re: La demeure du Nécromancien d'Alkil
MessagePosté: Dim 5 Jan 2014 20:25 
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Lorsque je fus enfin libre de mes mouvements, le silence était revenu dans les montagnes, ne restaient comme preuve de ce qui s’était déroulé au cours de la nuit que deux cadavres de loup et les reliefs brisés et sanglants du traqueur obscur, ainsi que la sueur glacée qui coulait le long de mon front, gelant peu à peu sous les assauts du vent. Les premières minutes suivant la sortie de ma paralysie sont un flou indistinct dans ma mémoire, résumé d’instants soumis à la panique et à l’adrénaline pure qui pulsait dans mes veines. Tous mes instincts de survie avaient été éveillés par l’étrange rencontre qui, plus étrangement encore, ne s’était pas soldée par ma mort.

Je suis certain d’avoir récupéré certaines de mes flèches, mon arc, mon barda, parce qu’ils pèsent sur mes muscles endoloris alors que redescends vers le village, l’oreille aux aguets. Même si un sentiment diffus d’apaisement rôde à la lisière de ma conscience, comme un murmure m’assurant que mon retour sera tranquille, je ne peux m’empêcher de voir en la plus petite des ombres une créature prête à bondir pour mettre fin à mes jours. Mon cœur accélère plus que de raison à chaque détour, à chaque paquet de neige qui, sous la pression du vent, s’effondre d’un rocher en un froissement feutré ; vivement que les premières fumées, ainsi que les ombres rassurantes des maisons, soient en vue, je crains que mon organisme ne supportent pas un tel traitement trop longtemps : ma mère avait coutume de dire que ceux dont le cœur s’affole comme celui d’un lapin meurent les premiers…

Rien ne vint troubler mon retour sinon les premiers feux de l’aube au loin qui teintaient, à l’est, l’horizon d’un bleu marine profond. Plusieurs heures s’écouleront encore avant que le jour ne jette ses rayons sur le village d’Alkil, seule ma position dominante, les deux pieds campés sur les hautes pentes des monts de Nirtim m’offre le privilège de ce spectacle. Comme doit être unique la vue depuis la légendaire île volante des elfes dorés… Le temps de la contemplation n’est pas encore venu, et comme se dessinent plus nettement les contours du village et la perspective de la sécurité la fatigue s’abat soudainement sur moi, retenue jusque là par des ressources que je ne m’imaginais pas. C’est en mobilisant mes dernières forces que je lève plus péniblement que jamais mes raquettes pour gagner la demeure du Nécromancien. Je ne désirais pas que les villageois me voient dans cet état d’épuisement et me posent des questions, d’autant plus que mes vêtements étaient tachés du sang d’un des loups, et surtout il me fallait régler avec lui la dette qu’il avait contractée à mon égard maintenant que ma mission était accomplie. Le risque pris, ma vie mise en danger, méritaient bien que mes demandes soient exaucées. Magie ou pas, ce sera face à ma lame qu’il lui faudra s’expliquer s’il refuse d’exécuter sa part du marché.

Mon poing heurta lourdement la porte comme lorsque j’étais venu la veille à la recherche de plus d’informations concernant la quête absurde dans laquelle je m’étais lancé.

« Entre, Chasseur, entre. Je t’attendais. »

Rien n’a changé dans la demeure depuis mon dernier passage sinon un feu vif ronflant dans l’âtre, réchauffant assez l’atmosphère pour rendre superflu mon manteau et me donner un sentiment de confort bienvenu après les heures passées dans la froidure de la nuit. Un grand fauteuil a été débarrassé de tout ce qui l’encombrait lors de ma précédente venue, et placé plus proche du foyer.

« Assied toi. Je crois que tu as besoin d’un peu de repos et je ne peux malheureusement pas t’offrir mieux. »

« C’est déjà mieux que rien… Merci. »

Mon manteau va rejoindre mon sac, posé près du fauteuil, avec mon carquois, mon arc et les raquettes ; je détache le fourreau de mon épée mais le garde près de moi, tout comme je ne me sépare pas de mon coutelas à la cuisse. Que ce nécromancien n’aille pas croire que je me laisse amadouer par quelques marques d’attention qui correspondent à la moindre des politesses quand on a envoyé un homme vadrouiller dans la poudreuse jusqu’aux genoux pour mettre à mort deux fauves particulièrement coriaces. Toutefois, je dois reconnaître que son mobilier est plus confortable qu’il en a l’air, et que la température bienvenue atténue quelque peu mon animosité à l’égard de l’homme qui me fait face.

« Les deux loups sont morts. »

« Je sais. J’ai… perçu, si je suis dire, qu’il s’est passé quelque chose. »

« Tu sais. Dis donc, Nécromancien, tu savais aussi pour l’aut’ crevure qu’j’ai trouvé dans la montagne ? »

« J’ai senti une troisième mort. Mais je ne savais pas que tu allais croiser… ça. Je te l’aurais dit sinon. »

« C’est ça… »

« Par contre tu n’étais pas seul là haut, ce n’est pas toi qui a tué le traqueur, n’est-ce pas ? Il y avait autre chose dans la montagne cette nuit, quelque chose qui te dépassait de loin, et qui dépasse mes pouvoirs. Je n’ai rien pu voir de précis, juste sentir. Qu’était-ce ? »

« Je l’ignore, Nécromancien, j’étais… paralysé. Que’qu’chose m’a ensorcelé, je pouvais plus bouger. J’ai rien vu. »

« Eh bien c’est une affaire à creuser. Il faudra que j’en parle aux villageois lorsqu’ils viendront requérir mes services. C’est fou ce qu’ils savent ces gens là, surtout les bergers, toujours sur les chemins… »

« Ben on dirait qu’y z’en savent pas assez. C’est pour ça que j’suis là Nécromancien, rappelle toi. Tu m’dois des réponses. »

« Oh Chasseur ! Attention. Je ne te dois pas des réponses, mais je te dois de l’aide, c’est vrai. Tu as rempli ta part du marché, je remplirai la mienne. Cependant… Tu m’as l’air bien fatigué, et je ne crois pas qu’on puisse parvenir à quoi que ce soit si tu es dans cet état. »

« Nécromancien, j’ai passé ma nuit dans c’te montagne, j’ai failli y laisser ma peau, alors mes réponses j’les veux maint’nant, et ensuite j’irai pioncer, en paix. Est-c’que tu sais que’qu’chose sur l’aut’ gars et sa hache, oui ou non ? »

« Bien, si tu es si pressé… Lançons-nous dans le rituel. »

Sans m’adresser un mot, avec le plus grand sérieux du monde, il allume une chandelle qu’il plante dans un bougeoir d’étain ; tout en marmonnant un galimatias sans doute propre à son art obscur, il agite la lumière dans un lent mouvement de balancement régulier. Je ne comprends pas bien à quoi il veut en venir, mais il doit probablement savoir ce qu’il fait : j’imagine que parfois les innombrables précautions que prennent les bûcherons sur un chantier sont tout aussi mystérieuses que les simagrées auquel l’homme se livre devant moi…


« Alors Nécromancien, ça… »

La situation dans laquelle je me trouve coupe court ma remarque, l’incompréhension l’emportant sur l’agacement. Mon épée n’est plus contre ma cuisse mais appuyée avec l’arc contre le fauteuil, une couverture épaisse de laine me recouvre, le foyer ne contient plus que des braises rougeoyante ; le mobilier et le capharnaüm du reste de la pièce a laissé place à un espace vide de tout encombrement où le Nécromancien est en train de placer en cercle de lourdes pierres noires, polies et gravées de runes par endroit, visiblement tirées d’un lourd coffre que verrouille habituellement une bonne serrure.

« Bonjour. Bien dormi ? »

« J’ai… Combien de temps ? »

« Au moins toute la journée, j’ai été pas mal absorbé par les préparatifs du rituel sur la fin, la nuit est déjà tombée depuis un bout de temps, alors pour te donner une durée précise… Mais tu devais être sacrément fatigué après les épreuves de la nuit dernière. J’ai préféré te laisser dormir, vu ce qui t’attend… »

« Qu’est-c’qui m’attend, Nécromancien ? Tu m’donnes mes informations et j’pars, c’était ça l’marché, non ? »

« Dormir n’a pas rafraichi ta mémoire à ce que j’entends… J’ai parlé de t’aider à obtenir les informations que tu cherches, mais en aucun cas de te les donner. Je n’en dispose malheureusement pas, sinon crois bien que tu serais déjà en leur possession. Mais je sais à qui demander, et c’est ce que nous allons faire. »

« Comment ça à qui demander ? J’veux des explications plus claires, Nécromanciens. J’sais pas à quoi tu joues, mais j’veux pas m’faire embobiner. A quoi tu joues Nécromancien, c’est quoi tout c’fatras qu’tu nous empile là ? Et ces cailloux ? Ya un rapport avec c’que j’te d’mande ? Ch’ui allé risquer ma peau, c’que j’ai d’plus précieux figure toi, dans les montagnes pour tes deux loups, alors j’aim’rais bien qu’tu sois un rien franc avec moi. »

Le Nécromancien s’arrête dans ses préparatifs à la fin de mes propos, visiblement ennuyé par la situation dans laquelle il se trouve. Sans mot dire il se dirige vers un petit buffet que je n’avais pas aperçu jusque là, couvert qu’il était par des bouquets de plantes séchées et quelques morceaux d’étoffe peinte déroulés là, pour en tirer une belle carafe de verre où vacille un liquide rubis et deux timbales d’étain ornées de ceps de vignes et grappes de raisin finement martelées. Les deux récipients remplis il m’en tend un avant de porter le sien à ses lèvres sans un mot, peut-être pour me montrer que je n’ai pas à craindre la présence d’un quelconque poison : une telle pensée m’a rapidement traversé l’esprit, je le confesse, pour être aussitôt abandonnée puisqu’il aurait pu absorber un antidote sans que je m’en rende compte, ou me mettre à mort bien plus aisément alors que je dormais. Le vin caresse mon palais avec une douceur qui dans un premier temps me surprend, tant elle est éloignée des rouges que j’ai l’habitude de consommer ; la piquette qu’on me sert parfois dans les Montagnes ne vaut pas les crus qui agrémentent les repas des sinaris, mais je n’avais jamais eu l’occasion de goûter à un tel velours, on y sentait tout le soleil et la richesse d’une terre que je n’avais probablement jamais foulé.

« Un rouge d’Imiftil, des coteaux de Tulorim. » m’informe le Nécromancien qui a probablement perçu mon air appréciateur. « Personnellement je préfère les vins gorgés de soleil. Et le voyage des tonneaux en navire les rend encore meilleur paraît-il. Yuimen soit remercié d’avoir donné aux hommes la vigne, un des plus beaux fruits de la terre. Enfin je ne pensais pas te parler de vins…J’ai perdu l’habitude de m’adresser à d’autres personnes que les villageois des Duchés qui viennent me trouver. La plupart du temps il me faut faire du mystère, m’entourer d’objets étranges et procéder à des rituels intrigants… Pardonne-moi de ne pas avoir été d’emblée franc avec toi, les vieilles habitudes ont la vie dure. »

« Je comprends. »

« Je pense bien. Ce que tu me demandes, vois-tu, ne relève pas de la nécromancie de base telle qu’on peut la pratiquer pour entrer en contact avec un défunt récemment passé de l’autre côté, ou un spectre bien ancré dans un lieu. Je ne connais ni le nom de celui que tu cherches, ni rien d’autre à son sujet que ce que tu m’en as dit : il aurait possédé une hache qui aurait pu être un objet de grand pouvoir. Je suis impuissant… Enfin tout ça tu le sais, je te l’ai déjà dit, je me répète… Mais je sais qui peut te répondre… Il est une créature de Phaïtos dont tous ses fidèles un tant soit peu versés dans les arts sombres connaissent l’existence. Elle dispose d’une connaissance dont aucun homme ne peut rêver, elle marche dans les Enfers et peut écouter ce que disent les morts, elle est, j’en ai l’intime conviction, omnisciente. Elle seule peut répondre à tes questions, et je m’apprête à l’invoquer pour toi. Cette créature, on l’appelle le Gentâme. »

« Comment ça s’fait que j’en ai jamais entendu causer ? »

« Lis-tu des livres ? Parles-tu avec des érudits ? T’intéresses-tu à la magie ? Bien entendu que tu n’en as jamais entendu parler, il ne s’agit pas de ces monstres dont on truffe les histoires pour les rendre plus terrifiantes ! Je te parle là d’une entité d’une toute autre dimension ! Tu m’as l’air plus futé que la majorité des bouseux qui m’interrogent la plupart du temps, alors, s’il te plait, fais en sorte de te conformer à cette image que j’ai de toi. »

« Pas besoin de mal le prendre… Et qu’est-ce que je dois savoir sur ce Gentâme ? Il est dangereux ? »

« Eh bien… Pas au sens où on peut l’entendre communément… Ce serait comme demander si la mort est dangereuse, ou si le savoir est dangereux. Une question de philosophe, et je doute que ta question soit d’ordre philosophique. Non… Si tu souhaites savoir s’il s’agit d’une créature qui sitôt invoquée te sautera au cou pour te saigner, la réponse est non. Jamais je n’ai recouru aux services du Gentâme, mais j’en sais assez pour te donner un conseil : ne lui pose qu’une simple question, et quand tu auras ta réponse, ne va pas plus loin. Les histoires les plus fiables parlent d’un échange : un peu de sa vie contre ce que le Gentâme sait. Des invocateurs trop gourmands auraient suivi le Gentâme jusqu’aux Enfers à ce qu’on raconte, pour un voyage définitif, si tu vois ce que je veux dire. »

« Tu es en train de me raconter que je risque ma vie, Nécromancien ? »

« Tu as risqué ta vie en allant dans la montagne, tu as risqué ta vie en venant ici. Mais il y a risque et risque. Mon intention n’est pas de t’envoyer à une mort certaine, mais de t’aider à trouver ce que tu cherches, j’ai donné ma parole, rappelle toi. Cependant, si tu cherches à aller trop loin, je ne peux rien faire pour toi. »

« J’crois pouvoir me maîtriser. Officie, Nécromancien, j’m’occupe du reste. »



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Dernière édition par Jager le Lun 6 Jan 2014 20:37, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: La demeure du Nécromancien d'Alkil
MessagePosté: Lun 6 Jan 2014 20:36 
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Suivant les indications du Nécromancien je me suis placé au centre du cercle de pierres qu’il avait patiemment constitué pendant que je dormais. J’ai laissé tout mon équipement près du fauteuil, y compris mon fidèle coutelas : le Nécromancien a été clair à ce sujet, mieux vaut ne pas se présenter armé à la créature qu’il s’apprête à invoquer. La peur commence à me serrer doucement les tripes, comme si une main s’en était saisie avec précaution puis commençait à fermer son poing et tourner avec délicatesse, augmentant de peu en peu l’intensité de sa pression et de sa torsion : je suis presque certain de ne pas me compisser comme certains couards, mais je ne peux être totalement serein alors que le mage sombre commence à souffler une à une les bougies qui dispensent un faible clarté à la pièce. Chaque flamme éteinte rend plus profondes les ombres, en laisse apparaître de nouvelles, et les pierres autour de moi semblent se repaître de cette obscurité croissante, comme si elle l’absorbait. La tension monte sensiblement alors que les derniers halos lumineux tentent de lutter contres les ténèbres envahissantes qui courent le long des murs, rampent sous les meubles et lèchent mes bottes. Les incantations du Nécromancien me sont incompréhensibles et pourtant le langage qu’il emploie éveille chez moi de vagues terreurs tapies au fond de mon esprit, des craintes anciennes d’enfant intimidé par la nuit, des peurs plus matures, et l’épouvante suscitée par mes actes passés et leur portée.

« Toujours décidé ? »

« Continue. »

Il ne reste maintenant plus que trois flammes vacillant au sommet de leur pilier de cire. La porte et les fenêtres de l’ancienne bergerie ont disparu, happées par les ombres, les poutres qui soutiennent le toit ont connu le même sort, et tous l’attirail de charlatan du Nécromancien ne se manifeste plus que comme des excroissances terribles et inquiétantes, sombres sur des masses qui le sont tout autant : là semblent se terrer les monstres qui peuplaient les contes de mon enfance, tout de griffes et de crocs, d’yeux injectés de sang et d’une folie meurtrière qui rend nécessaire l’intervention du héros. Or j’ignore si un héros viendra me sauver, je n’ai après tout rien d’une belle demoiselle en détresse, d’une veuve avec ses orphelins ou d’une petite vieille tourmentée par l’âge. D’aucuns pourraient même penser que je suis censé être le héros : n’ai-je pas sauvé la jeune sinarie des griffes d’un terrible agresseur ? Terrible agresseur… tout juste bon à effrayer de faibles gamines. N’est-ce pas un des avatars de la Mort elle-même qu’il me faudra contempler ? Un spectre, une créature d’un plan si éloigné du mien, celui que je ne suis pas pressé de gagner et vers lequel je risque d’être tiré.

« Courage… »

Le souffle du Nécromancien fait vaciller la dernière flamme sur laquelle mes yeux s’étaient fixés, et qui monopolisait toute mon attention tandis que mon esprit s’égarait. Un balancement ou deux durant les dernières secondes font ondoyer les reliefs hésitants du mobilier, puis tout s’éteint autour de moi.

Pourtant, je le vois. C’est tout d’abord une ombre qui se dessine, un contour miroitant, comme une silhouette de vide plus profonde que les ténèbres, affirmant son caractère surnaturel par le paradoxe que ni mes yeux ni mon esprit ne peuvent résoudre. Tangibles et terriblement scrutateurs, deux yeux de braises s’allument à hauteur des miens, se vrillant dans mon regard comme pour fouiller mon âme. Un frisson glacé remonte le long de ma colonne vertébrale, se diffuse dans mes bras et mes jambes, ordonnant impérativement à mes pieds de se mouvoir, de quitter le cercle de pierre et me soustraire à la force qui s’impose lentement à moi. Mais cette force triomphe, implacable, me renvoie ma pauvre humanité et mon impuissance. Qui suis-je pour avoir osé m’embarquer dans cette macabre convocation ?

« Tu es Jager, fils d’Eadam. Tu as des questions auxquelles je peux répondre. »

« Je… Je cherche la hache qui a appartenu à Aaron le Martyr, héros d’Oranan, fierté de son peuple. Sais-tu ce qu’il est advenu de son dernier porteur ? »

« Les destins de la Hache et de celui qui la possède sont liés. Vois ! »

Une main décharnée s’élève vers mon visage et se pose sur ma joue droite, la paume couvrant à demi mon œil. Et je vois.

L’herbe est haute, l’homme se traîne dans les fleurs des montagnes, laissant dans son sillage une longue trace de sang. Quatre flèches empennées de noir meurtrissent son flanc, le déchirant un peu plus à chaque mouvement sous le pourpoint de cuir. Les gémissements du blessé se font de plus en plus faibles, pourtant il s’efforce de se relever, continue sa fuite en avant à quatre pattes sur encore quelques mètres avant de s’effondrer à nouveau. Comme un nourrisson, il rampe, aussi faible qu’à son premier jour, aussi vulnérable. Derrière lui se font entendre les jappements des loups, les ricanements des sektegs qui s’excitent les uns les autres dans leur langue aux sonorités si blessantes pour l’oreille d’un Ynorien. Tout en lui n’est que désespoir, la peur de la mort lui vrille aussi sûrement le ventre que le ferait la lame d’un cimeterre, il sait que son existence s’achèvera dans les montagnes et que jamais plus il ne reverra le soleil se coucher sur sa glorieuse cité et la baigner de la plus douce des lumières.
Les sektegs ne tarderont pas à le retrouver, il le sait. Pour l’heure, ils se repaissent des cadavres de ses compagnons de voyage, ou pillent le maigre convoi, ou d’autres horreurs qu’il ne peut s’empêcher d’imaginer. Même s’il a emporté avec lui quelques-uns des guerriers il n’a rien pu faire pour les femmes, pour les enfants, pour ses compagnons de route qui tentaient avec lui le passage des cols pour redescendre vers les plaines. Les cris se sont éteints depuis longtemps, à moins qu’il ne soit trop faible pour les entendre à présent.
Si ce ne sont pas les sektegs, ce seront les animaux sauvages qui feront un sort de son corps abandonné dans la nature hostile. Cette idée le révulse, il commence à accepter la mort, mais dans un dernier élan qui prouve qu’il n’est qu’un homme, plutôt qu’une plus courte agonie, c’est une sépulture qu’il désire.
Rana dût entendre ses prières. Là, non loin de lui, une petite crevasse s’ouvre dans la montagne, à peine assez large pour qu’il s’y faufile pour attendre son dernier souffle. Une crevasse ? Pas tout à fait. Un amas de rocher qu’un jeune arbre ayant poussé là retient, la terre autrefois devait avoir joué le rôle de mortier, aujourd’hui seules les racines de ce sapin acharné et solitaire jouent le rôle de clef de voûte. Il n’en faut guère plus pour réconforter le bûcheron. Couché dans l’ombre, animé d’une force dont se voient dotés les seuls êtres face à leur dernier recours, il soulève sa hache et tranche d’un coup net le membre de bois au-dessus de lui. Ce peu de chose était nécessaire pour que les rochers jusque là en bon ordre dans leur équilibre précaire. La montagne se referme sur lui, broyant une de ses chevilles, ne laissant plus passer que quelques rais de lumière par des interstices trop minces, assez pour révéler la danse de la poussière, semblable à celle qu’il sera amené à redevenir.
Doucement il ramène sur son torse la Hache, libéré de toute douleur, et lorsque ses paupières se ferment pour la dernière fois, le bûcheron croit apercevoir, au loin, au bout du chemin qu’il s’apprête à emprunter, les hauts murs d’Oranan, et c’est une brise marine, un baiser de Rana, qui caresse son front alors qu’il se met en chemin.


« Voilà ce que tu voulais savoir, Jager, fils d’Eadam. Que désires-tu connaître d’autre ? Le monde n’est que mystère, mais les morts en savent plus que les vivants. La richesse, le pouvoir, tout cela peut t’appartenir. Parle. »

La main n’a pas quitté mon visage, elle est douce comme un caresse, comme celle de ma mère lorsqu’elle effleurait mon visage brûlant alors que tout gamin j’étais tourmenté par la fièvre.

Au fond de la galerie miroitent des joyaux, oubliés des elfes, des nains et des hommes, gardés par les seuls morts, accessibles à leurs seuls souvenirs…

« NON ! »

« La richesse, le retour parmi les tiens. Je sais quel fut ton crime, ceux que tu as envoyé aux Enfers me l’ont dit. Voudrais-tu que je te donne le savoir qui te permettrait de ramener celle que tu as aimé à la vie ? »

Les grimoires couverts de poussières dorment sur les étagères, pourtant leur savoir est là, palpable, une présence inquiétante promise à qui le premier trouvera ces reliques d’un temps passé…

« NON ! »

« Veux-tu savoir comment changer ce qui par le passé troubla ta vie ? Désires-tu un autre avenir ? »

Cachée au fond de noirs cachots, close derrière de lourdes portes toujours gardées, une brume flotte à quelques centimètres du sol, pont entre ce monde et celui-ci, celui-ci qui est identique et pourtant autre…

« NOOOOOOOOOOON ! »

Cette fois mon corps me répond, je recule violemment, rompt le contact et parvient à tituber tant bien que mal vers l’arrière. Ma botte heurte quelque chose de dur et je m’effondre, sans force, ne pouvant retenir ma tête de heurter avec douleur le sol de pierre. Aussitôt la conscience m’abandonne…


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Dernière édition par Jager le Dim 12 Jan 2014 16:25, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: La demeure du Nécromancien d'Alkil
MessagePosté: Dim 12 Jan 2014 16:23 
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« Dis donc le Chasseur, tu es un costaud. J’ai bien cru que je t’avais perdu. Tiens, bois donc ça, ça va te requinquer. »

La boisson est amère, brûle mes lèvres gercées par le vent et l’hiver, je toussote, manque de m’étouffer mais m’obstine à avaler le liquide infâme qui, curieusement, ne tarde pas à me réchauffer le corps plus efficacement qu’un verre de bonne gnôle. La douleur qui me lance à l’arrière du crâne alors que je relève ma tête pour boire, aidé par le Nécromancien, me rappelle la chute. Avec une certaine appréhension je guette les symptômes d’un mal autrement plus sournois que le choc et la bosse qui pourrait en résulter : des nausées, des troubles de la vision. Rien de tout cela, et mes muscles semblent répondre sans peine à mes ordres.

« Tu n’es que blessé, je crois que tes cheveux et le tapis ont amorti une partie du choc. Une toison sacrément utile que tu as. Enfin rien de grave, je l’aurais senti si tu avais été proche de la mort. Relève toi doucement que tu ne t’amoches pas une seconde fois. »

Trop heureux d’avoir un soutien pour me sentir humilié de devoir m’appuyer sur ce mage souffreteux, je me relève et fermement accroché à son épaule je me meus péniblement vers le fauteuil où j’avais passé ma dernière nuit. Toute fatigue a quitté mon corps, je commence doucement à retrouver toutes mes sensations et mes idées se font de plus en plus nettes à mesure que le brouillard qui s’était emparé de mon esprit se dissipe. L’image du Gentâme est encore là, si vive qu’on la croirait imprimée au fond de mon œil, mais je sais qu’il ne s’agit que de ma mémoire qui me joue des tours. Nul doute que ces visions reviendront me hanter dans mes rêves : la richesse, le pouvoir de faire revenir les morts, la possibilité de remonter le temps pour changer le cours des évènements… Certains racontent que des sages ont su s’élever au-dessus des intérêts purement matériels et des contingences de l’existence pour trouver la paix et la sérénité : je ne crois pas être du même bois, je ne suis qu’un homme, et si j’étais capable de m’élever, je ne serais pas à la recherche de cette foutue hache, et je n’aurais pas pris autant de risque avec cette créature des Enfers !

« Et maintenant ? Que vas-tu faire ? »

« Aller à l’auberge, manger, pioncer, et me mettre en marche dès qu’je s’rai en état. Fait encore pas trop mauvais, j’ai pas envie d’me trouver coincé ici par une tempête qui se s’ra l’vée pour les Dieux savent quelles raisons. Trouver c’te foutue hache et retourner chez moi. Voilà. »

« Avant cela… Il faut que tu voies quelque chose… »


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 Sujet du message: Re: La demeure du Nécromancien d'Alkil
MessagePosté: Ven 18 Mar 2016 13:17 
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« Assez de distraction pour aujourd'hui... »

Il eut d'abord un néant d'une insondable noirceur, une pensée se métamorphosant en un rêve agité. Une ambiguïté délétère tourmentait cette âme perdue, qui ne savait ni qui elle était, ni où elle était. Cette conscience anonyme errait dans les limbes, habité par cette indicible sensation de vide dont elle ne captait pas la substance...

Deux paupières se soulevèrent et découvrirent un plafond composé de quelques poutres de bois anciens qui se succédaient parallèlement. Une lumière douce et tamisée émanait de quelque part, probablement d'une fenêtre. Allongée, l'âme reconnut la tiédeur d'un lit et une humidité désagréable. Elle ouvrit la bouche, un nerf tiqua, puis elle poussa un cri terrible. Elle hurlait d'une voix épouvantable à la frontière de l'humanité. Ces aboiements finirent par attirer quelqu'un. Quand l'âme tourmentée vit des yeux rouges la toiser, elle s'agita de plus belle et se tortilla. Ses muscles convulsaient et se déchiraient, chaque partie de sa morphologie semblait se désagréger. On la maintint immobile de force et la força à engloutir un liquide laiteux et épais. L'âme fut relâchée. S'en suivirent d'autres tourments dégressifs, puis les paupières se fermèrent...

L'âme jaillit ainsi plusieurs fois de ses rêves maléfiques, mais à chaque réveil, une incommensurable douleur annihilait toute forme de conscience au profit d'une folie frénétique. Pourtant, des signes distinctifs de réminiscences se manifestèrent, quelques noms ou allusions à de sombres sectes, souvent accompagnés par des évocations de dieux sombres et anciens.

Une nuit, l'âme s'éveilla à nouveau. Une intense sensation de terreur l’étouffa quand elle réalisa qu'elle avait reprit conscience. Car à chaque réveil, la souffrance fulgurante débordait de nouveau. Mais cette fois-ci, elle ne hurla pas. La douleur était devenue supportable, ou du moins, c'était suffisamment atténuée pour tolérer une pensée cohérente. L'âme se contenta donc de gémir en restant immobile, à l'affut du moindre de ses mouvements comme s'il s'agissait d'un prédateur, et se contenta de détailler la pièce plongée dans la pénombre. Elle n’aperçut rien de notable, et resta là.

Consciente de penser, les reviviscences de sa conditions passée lui vinrent en mémoire, par fraction. Puis elle se figea (autant qu'elle le pouvait).

( Mon nom ! Quel est mon prénom ? J'ai un nom, je le sais. J'existe, tout ceci est réel, tout ceci doit être réel!)

La panique intérieure déferlait dans cette âme quand une voix étrangère lui souffla la réponse.

( Daemon... )

À l'évocation de ce terme, une déferlante de mémoire s'abattit sur l'âme, un tourbillon d'images et de sons, de souvenirs et de visages.

« Merci, Morgoth... »


À son chevet

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Dernière édition par Daemon le Sam 19 Mar 2016 16:28, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: La demeure du Nécromancien d'Alkil
MessagePosté: Sam 19 Mar 2016 16:26 
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Âme perdue

Daemon resta alité cinq jours sans bouger de son lit. Malgré les baumes et autres drogues qu'on lui administrait, une souffrance inconcevable le persécutait. Son corps subissait une réelle effervescence. Ses os grandissaient rapidement, rompaient les chairs et se percutaient comme d'innombrables pieux s'incrustant insidieusement dans ses entrailles. Ses muscles se déchiraient et se contractaient en permanence, provoquant d'horribles convulsions incontrôlables et ô combien douloureuses. Il bouillonnait et ne tenait plus en place, se tortillant dans ses draps en se désarticulant dans des craquements creux. Plusieurs fois il tomba du lit, sans pouvoir y remonter... Tout son être semblait tendre à l'explosion. La douleur était telle que pendant ses crises de folie, il se mordait les lèvres au sang et hurlait, hurlait encore et toujours à gorge déployée !

Le nécromant l’hébergeant semblait démuni face à sa détresse et manquait cruellement d’onguents. Seul son assommant breuvage plongeant Daemon dans un sommeil sans rêve put ramener le silence dans la demeure isolée...

À l'aube du sixième jour, Daemon s'éveilla. Morgoth, sa faera malicieuse, s'ennuyait et virevoltait au hasard dans la pièce. Il bougea un peu et ne constata qu'une faible douleur en comparaison de l'horreur des derniers jours. Il se redressa et accueillit le chat fantomatique entre ses bras. Des rayons perçaient la fenêtre et chauffaient sa peau. La sensation de douceur et de bien-être le surprit.

Alors qu'il se jaugeait dans un miroir situé au fond de la pièce, il ne se reconnut pas. Son visage s'était allongé et ses joues creusées. Son teint grisâtre et maladif était souligné par des cernes noirs striant son visage en deux. En seulement quelques jours, il s'était métamorphosé en cet être famélique...

Il se souvint des brèves explications de son sauveur, ainsi que de l'étrange histoire de la liche. Apparemment les flammes noires ne l'auraient pas réduit en cendres car il n'était pas en âge de vieillir. Mais tout son corps en fut bouleversé... Il aurait pu mourir, se dit-il. Asad vint hanter son esprit et il ne put retenir ses larmes.

Alors, des grincements sur le parquet se firent entendre dans le couloir et la porte s'ouvrit doucement. La faera disparut aussitôt sous le lit.

« Tu as l'air de tenir la forme. »

Le semi-elfe aux yeux ardents le salua chaleureusement avant de constater sa mine sinistre. Il saisit un tabouret et s'installa à son chevet.

« Te souviens-tu de notre dernière discussion ? »

« Partiellement. » répondit Daemon d'un air nébuleux.

« Me voici rassuré... Ta mémoire devrait bientôt revenir. »

« Comment sommes-nous sortit du temple ? Vous avez vaincu la liche ? »

Son interlocuteur afficha une mine triste et déposa une fiole sur la commode.

« Non. Je n'ai pu vaincre Matarys, son pouvoir est incommensurable... Après ton évanouissement les Liykors ont fracturé l'entrée et se sont déversés dans le temple. Je n'ai guère eu le choix, je t'ai saisi et me suis dérobé à l'aide d'un sortilège... Laissant Sigmund derrière moi, le jeune écuyer... »

Daemon souleva les draps avec une grimace et s'assit sur le rebord du lit, chacun de ses mouvements soulevait une vague de souffrance dans tous ses membres.

« Ils traquaient le messager de Kendra-Kar, celui que nous trouvâmes sur la route. Il disait porter un message de la plus grande importance en provenance de la capitale, puis il nous raconta qu'une horde de loups humanoïdes lui avaient tendu une embuscade. Sur le coup, je ne l'ai pas cru. Mais arrivant au village, nous comprîmes rapidement que quelque chose clochait. Et là, ils nous ont attaqués. Je me suis extirpé de la bataille afin de poursuivre le grand Liykor gris, c'est ainsi que je l'ai surpris remettre le message à Matarys, qui l’enjoignit d'apporter expressément à leur maître... Non, à leur maîtresse... »

Le nécromancien l'écouta attentivement, le regard dans le vague, et répondit machinalement.

« Les espions d'Oaxaca sont partout, qui aurait imaginé que le prêtre de cette petite bourgade était un serviteur de Thimoros... »

« Et le village ? » demanda-t-il en sursautant brusquement.

« Il était heureusement désert. Les habitants avaient fui lors de la première attaque, plus tôt dans la journée. Suite à la nouvelle, le seigneur d'Amaranthe envoya une garnison afin de chasser les créatures. Dire qu'ils considéraient ça comme une partie de chasse... »

Ils restèrent en silence à ressasser leurs souvenirs, puis Daemon essaya de se lever. Ses jambes lui firent l'effet de brindilles et il chancela. Le nécromant insista pour qu'il ne force pas et sortit pour revenir avec des béquilles. Douloureusement, le semi-elfe les passa sous ses bras. Son dos lui faisait un mal de chien.

« Tu dois reprendre des forces, viens, descend manger en bas ! »

Le semi-elfe claudiquait sérieusement et descendre l’escalier se révéla être une véritable épreuve. Arrivé au rez de chaussée, il découvrit une vaste pièce aux minces fenêtres où les ustensiles de cuisine côtoyaient des artefacts et autres babioles lugubres en rapport avec la magie. Daemon fit le tour de la table massive au centre de la pièce et s'assit sur un tabouret. Il fut surpris par la propreté de la pièce et complimenta le nécromancien.

« Je te remercie mais tout l'honneur revient à ma femme, très tatillonne sur les arts ménagers. »

« Vous avez une femme ?! » s'exclama le fanatique en réalisant que trop tard l'aspect déplacé de sa remarque.

« En effet. Mais elle n'est plus de ce monde... »

« V... Veuillez m'excuser. » bredouilla-t-il.

« Nous nous sommes mariés ici à Alkil, il y a quarante ans déjà. Éléonore était la femme parfaite et nous vécûmes deux années dans la quiétude. Mais un hiver, la peste foudroya notre bourgade et la contagion vint cueillir mon aimée dans ses plus beaux jours... »

Le nécromant lassa planer un silence pesant auquel il n'osa couper.

« As-tu idée de ce qu'est de perdre l'amour de sa vie, sa raison d'exister ? »

Daemon songea furtivement à Asad. Il était affligé et ne savait quoi répondre à ce pauvre homme. Alors, le nécromant psalmodia quelque chose et son fluide obscurcit la pièce. Une silhouette prit forme : une robe verte émeraude ponctuée de dentelles blanches.

« Je te présente ma chère épouse, Éléonore. »

La mâchoire de Daemon tomba. Un squelette, cet homme avait épousé un squelette. Le semi-elfe tombait des nues et ne pût répartir autre chose qu'un cafouillage abasourdit sans queue ni tête.

« Enchanté ! » s'inclina jovialement Éléonore.

« Ghh... Enchanté. »

« Après son décès je me suis enfermé dans une folie noire, fouillant, cherchant parmi les plus sombres arcanes. Au fil des années, j'ai pu communiquer avec l'autre monde et retrouver ma femme. »

Le bonheur se lisait dans son regard. Malgré la surprise, son histoire toucha profondément Daemon. Il comprit que la magie noire n'était pas qu'un abject outil. Il comprit que la magie noire pouvait faire le bien... Alors qu'il s'attendrissait avec un sourire niais, un hennissement de cheval suivit de bruits de sabots se firent entendre au-dehors. Daemon voulut se lever mais la douleur le rappela aussitôt à l'ordre.

« Oh, j'oubliais ! » s'exclama le nécromancien à son adresse.

Quelqu'un vint et toqua à la porte. Éléonore sautilla jusqu'à l’embrasure et ouvrit, laissant par la même occasion pénétrer la lueur éblouissante du soleil.

Le cavalier remercia l'hôtesse poliment et une étrange sensation envahit Daemon. D'une carrure mince et jeune, le nouvel arrivant entra, révélant une chevelure blanche contrastant avec sa peau mâte, et ses yeux, ses yeux d'un bleu intense...

Daemon se stupéfia.

« A... Asad !? »


L'air pur des montagnes

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