(
Avant)
(10)
"
Paaaa-rteeez !", reprend la corbac en se faisant plus grosse encore. "
Ou mou-rrez ! Mau-dits ! Mau-dits !"
Cris apeurés des mules alors que la loulouve gronde à leur portée. Pas de bol, le vioque les a attaché à un tronc. Elles tirent comme des crétines sur leurs liens, mais restent coincées. Et ça, ça attire l'attention des humains sur elles. Zu'Gash jette un œil à son piaf et lui fait signe. La patronne lui a interdit de les tuer, mais pas d'les brusquer un peu ou d'leur faire du mal.
L'oiseau noir décolle puis vient exprès leur tourner autour. Elle chante façon voix brisée et esquive assez facilement les lourdes haches pointées vers elle. Ces cons finissent par s'engueuler d'façon aiguë quand un tranchant manque de peu un gros bras. Petite pause, le temps qu'Aro' choisisse, puis elle pique, allant taper de l'aile sur les tronches des hommes. Autant le jeune se baisse assez pour l'éviter, autant les autres se prennent ses plumes noires de plein fouet.
Quand elle reprend de la hauteur, le boulot est fait. Les plumes s'sont changées en une sorte de poussière d'ombre, et leur a attaqué les mirettes. Même d'sa planque, Zu'Gash peut voir leurs yeux rouges et quelques larmes mêlées d'sang. Et ils gueulent aussi, genre z'ont du mal à voir. Si c'est pas qu'ils couinent juste de douleur. Bande de douillets. C'est pile à ce moment que Shu-Rii bondit de sa cachette avec un grondement prédateur.
"
Pof ! Hiii ! Snap !"
Incorrigible celle-la ! Elle vient de sauter sur le dos de la plus grosse mule, et de lui péter la nuque avant qu'elle ait fini d'ruer. P'tain ! Encore une bestiole à préparer ! Mais ça s'bouffe de la mule ?
Hurlement du plus jeune alors qu'il pointe la forme de deux mètres de la chasseresse... Qu'est déjà en train de lacérer le ventre de sa proie. N'empêche, même si elle s'est fait chier à la fabriquer, c'te sorte d'écharpe en vertèbres et omoplates de nounours lui va bien à la loulouve. Ça s'détache bien d'sa fourrure noire. La tronche couverte de sang, elle se tourne lentement vers les humains. Elle aurait quand même pu cracher c'boyau, ça pend et ça déverse un truc dégueu sur son torse.
Mais ça fait un d'ces effets ! L'jeune s'fait d'ssus aussi pendant qu'les autres se frottent les yeux.
"
Mau-diiits !", chante le piaf sombre, rappelant sa présence. "
Hu-mains ! Fils hu-mains ! Mau-dits ! Fo-rêt man-ge-raaaa !"
Les bûcherons flippent cette fois. Ça tremble tellement qu'ils en lâchent leurs haches. Ah, les voilà qui s'éloignent de la loulouve en reculant vers la peau-verte. La coureuse sourit, anticipant la terreur qu'elle va leur provoquer. Dans son costume d'ours, la gueule maculée de sang et de glaise, elle émerge lentement des buissons. La voix du jeune reste coincée dans sa gorge sur un mot genre "ours" et les autres abrutis ont trop mal aux mirettes pour bien la voir.
Zu'Gash se redresse d'un coup. S'ils pensaient voir un truc connu, genre un ours, ben c'est loupé ! Ces cons matent des yeux rouges, et une gueule animale qui s'ouvrent de haut en bas en deux, sur une autre gueule à crocs. Elle étend ses mains dans les pattes, s'imposant encore. La voilà qui inspire et...
"
Bwraaaaaaaa !"
Un cri, à pleins poumons, qui ressemble à rien. D'accord, elle a voulu imiter la gueulante de maman ours, mais c'est pas trop ça. Là, c'est plutôt un mélange entre animal qu'a la dalle, banshee et brok-nud enrhumé... Mais ça suffit ! Les deux massifs s'égosillent. L'un des deux embarque le vieux sur son épaule pendant que l'autre tire le bras du jeune. Ils commencent à fuir, mais la loulouve leur bondit devant, barrant leur route. Zu'Gash se met à geindre comme si elle avait mal au bide, et devant les yeux du moins âgé, elle extirpe un truc de là. Comme si les griffes étaient allées chercher ça dans ses entailles, elle sort lentement son gourdin d'os de son costume.
"
Mau-dits !", chante encore plus froidement Aro'. "
Fuyez ! Ou... Ah ! Ah ! A-vec... Nous !"
"
Avec nouuus !", copie la peau-verte en faisant un pas lourd, et pointant de son gourdin coloré de sang et décoré de bouts de viande séchée le quatuor acculé.
La terreur. Une frousse si grande que les humains n'arrivent plus à faire un bruit. Ça transpire, ça claque des dents, mais dès que la loulouve saute à côté d'eux toutes griffes dehors, ça change. Le vieux saute de l'épaule du massif et détale comme un lapin. Les autres font pareil, sauf le jeune. Lui, il prend son temps. Il s'éclate par terre, il fait un bisou à la main squelette en s'ouvrant la lèvre dessus, il vomit puis il se carapate. En glissant sur sa propre gerbe en plus.
"
Mau-diiits !", conclut Aroroa dans l'écho de la forêt.
Shu-Rii les regarde se carapater, et à voir sa façon de bouger la queue, Zu'Gash devine ce qu'elle a derrière la tête. Les yeux sanguins de la louve la regardent un peu.
"
Allez, d'accord. Mais tu fais que suivre, hein ? T'as d'jà assez merdé comme ça avec c'te pauv' mule.", s'esclaffe la peau-verte avant de la voir se barrer.
Les fourrés s'agitent dans les pas des humains. La garzoke ne sait pas combien de temps la liykore compte les poursuivre, mais elle s'en fout. Elle mate l'animal de trait que la loulouve a buté, et le trou béant dans son bide. Une peau de foutue... Bah, Shu-Rii en fera son en-cas ! Les yeux rouges matent l'autre mule. À la voir raide, c'est presque comme si elle était morte debout. Mais nan. Ses yeux suivent chaque geste de la peau-verte costumée. Elle émet un son pas content, et essaie même de lui coller son sabot sur le pied. L'a du caractère c'te bestiole.
"
Whoahé ! S'tu veux pas finir comme l'aut', t'as intérêt à obéir, toi.", prévient la peau-verte, juste avant que la bestiole retente le coup sur l'autre papatte. "
Nan mais hé !"
Avec ses pattes d'ours, la garzoke rend la monnaie d'son yû à la mule. Elle lui tape sur l'sabot, mais s'prend un coup d'épaule en r'tour. Merde alors ! D'puis quand ces machins-là sont si hargneux ?
Il faut bien une vingtaine de minutes d'tapage de sabots et d'bousculades à la peau-verte pour enfin... Qu'la mule arrête d'vouloir mordre son costume. Et qu'la loulouve revienne, langue pendante et... Avec un bout d'fond d'culotte dans la gueule.
"
Deux-pattes avoir mauvais goût.", crache-t-elle en même temps que le tissu.
"
Forcément !", s'esclaffe la garzoke. "
Y'sont pissés d'ssus ! Bien joué les filles. J'pense pas qu'on les r'verra d'sitôt ! P'tain, z'avez vu leurs trognes ? Presque aussi blanches qu'des os ! Bwahaha !"
"
Rha ! Rha !", se marre la corbac en venant se poser sur la tête d'ours.
"
Bon, c'pas tout ça, mais va falloir rentrer maint'nant. Et ça tombe bien, ces cons-la on complètement oublié leur mule. J'vais pouvoir embarquer un sacré paquet d'trucs !", lâche une Zu'Gash souriant jusqu'aux oreilles.
Bizarrement, elle a l'impression que la mule la met au défi d'le faire.
"
T'inquiète, ma moche ! J'suis au moins aussi bornée qu'toi !", lance-t-elle, avant de devoir éviter un nouveau coup d'boule.
Il faut encore un bout de temps pour que la mule accepte de faire un pas. Faut dire que ça finit par venir, quand elle pige que rester dans l'coin signifie s'faire becqueter l'fessier par la louve ! Y'a plus qu'à ramasser tout l'bordel qui traine, charger la viande sur le traineau, et s'repointer au château !
En gros, mission accomplie ! Vont être contents d'la r'voir à la Dent d'Or ! Euh, merde, nan, au Château
d'Endor.
(
Après)