>>Une sieste productive (aka. Aïe aïe aïe !) IUne sieste productive (aka. Aïe aïe aïe !) II
Mal à l’aise, Haple se recroquevilla légèrement, tentant avec ses bras de dissimuler au regard du rustre sa féminité naissante. Ce qui sembla ne faire qu’accroître l’espièglerie de l’observateur :
-
Oh oui, parce qu’ ça m’intéresse tes affaires. Non, p’tite, te rhabille pas déjà : lave-moi c’te guenille avant. T’aurais l’air fine à Beauclair, avec des tâches d’ sang sur ton vêt’ment.Haple arrêta son geste alors qu’elle s’apprêtait à renfiler sa blouse par pudeur et ne put que se ranger à son avis. Le vêtement que Roche lui avait donné seulement quelque jours auparavant ressemblait désormais plus à un tablier de boucher qu’à la simple mais jolie étoffe de lin qu’elle avait été. Et quelque peu rassurée par l’absence de grivoiserie dans le ton moqueur de son ainé, Haple se détendit et retourna à la rivière pour suivre son conseil.
Les tâches sombres restaient incrustées dans la fibre… Elle avait beau racler vigoureusement le tissu contre le lit de fine caillasse en bord d’eau, seules les traces rosacées s’étaient estompées… (
jus de cervelle ?) et elle écarta cette vision aussitôt avant de souiller son vêtement davantage.
-
T’as rien d’aut’ à t’ mettre, parc’ que ça parait mal parti là, commenta une voix caverneuse derrière elle…
-
Nan… On m’a… pris… ce que j’avais, répondit-elle entre chaque frottement. Puis elle se redressa et s’essuya le front avec le dos de sa main avant de tourner la tête pour ajouter :
Et puis, ils étaient de facture elfique, alors on a vu mieux pour passer inaperçue.M. Pulchinel la gratifia d’un grognement qui, elle supposait, constituait un signe d’agrément dans le langage du saisonnier.
-
Tu peux toujours d’mander au marchand d’te couper un bout d’tissu à enfiler, proposa-t-il vaguement.
Cependant, Haple n’avait aucunement l’intention d’augmenter encore sa dette vis-à-vis du drapier. Elle se débrouillerait bien autrement le moment venu.
***
Mais pour l’instant le résultat de sa tentative de lessive infructueuse était qu’elle se trouvait en possession d’une blouse complètement détrempée. Suivant son regard dépité, M. Pulchinel lui suggéra alors sans l’air d’y toucher :
-
Sèche le donc avec ta magie…*
Pardon… ?*
-
J’ai jamais rien fait de pareil, s’exclama-t-elle, prise de court par l’entrée en matière inopportune !
-
Et ben essaye donc pour voir, pardi ! C’est quoi qu’tu fais avec la terre. Pour la faire trembler tout ça, demanda-t-il son regard inquisiteur intensément planté dans les prunelles nerveuses de l’enfant.
Ça, au moins, elle l’avait déjà compris. Mais elle hésitait à le divulguer ; ce savoir nouveau lui faisait l’effet d’un secret inestimable. Le grand efflanqué exigerait néanmoins une réponse et elle lui répondit franchement :
-
J’essaye de faire le pont entre moi et cette… énergie qui relie chaque grain du sol. Qui grouille dans l’obscure moiteur de l’humus.M. Pulchinel ouvrit grand les yeux à la mention de cette énergie et ils dirent tous deux simultanément :
-
Le fluide terrestre-
Le fluide de YuimenEt ils sourirent.
-
Alors ca va etr’ pareil là : faut qu’tu tapes dans l’ fluide de l’air, déclara-t-il comme s’il s’agissait d’une évidence.
Il lui en coûta, mais Haple parvint à retenir la réplique cinglante qui lui était venue spontanément. («
tapons dans l’ fluide de l’air » alors)
Et la jeune mage tenta de renouveler sa prouesse de la veille en se concentrant. C’était par l’ancrage de ses pieds dans le sol qu’elle était parvenue à se relier au fluide terrestre. Par analogie, elle cherchait maintenant à s’emplir de la sensation des courants d’air sur sa peau mouillée, du picotement de l’eau qui s’évapore… rien n’y faisait : aussitôt elle les appelait à son esprit qu’ils étaient révolus. Et une colère profonde montait progressivement en elle alors que ces manifestations fugaces de l’énergie aérienne lui échappaient…
-
Nan, rien à y faire. C’est pas pour moi, c’te salop’r…A défaut d’être en mesure de suivre les instructions de M. Pulchinel, la petite semblait adopter son langage de charretier. Et celui-ci s’en amusait ostensiblement ce qui ne faisait qu’alimenter l’ire tout juste bridée de la jeune fille.
***
Il s’abstint cependant de tout commentaire et se borna à rediriger sa frustration :
-
Dans c’ cas, met le à sécher et concentr’ donc toi sur c’que tu sais faire. Tu t’débrouille en magie d’ terre apparemment, poursuivit-il tandis qu’elle sautait pour pendre sa blouse sur une branche basse du platane voisin, alors on va commencer par là.
Un truc qu’ j’ai vu faire, c’est une sorte d’armure d’ terre. Tu voulais t’couvrir… bah voilà : met toi donc en une sur la peau.(
Oui !) Haple bondit intérieurement : elle savait exactement de quoi il parlait pour avoir vu Roche exécuter cet enchantement sur elles deux lorsqu’elles affrontaient le Djinn Marid au col du Temple de Yuia. Elle avait alors psalmodié une litanie en rapport avec différentes formes que prend la terre, et…
(
rhaaa !) si seulement elle pouvait s’en souvenir mot pour mot.
-
J’ vois qu’ tu vois d’ quoi j’veux parler. Tu l’as d’jà fait, c’te armure d’terre … ? demanda-t-il avec une voix plus basse que d’ordinaire.
-
Non. Silence. Je réfléchis.Il n’était pas question d’être diplomatique ; seulement de se souvenir. («
la terre… nous protège ») Haple ferma les yeux pour visualiser Roche s’interposant entre le démon ailé et sa jeune protégée. Elle tenait son bâton de pèlerin entre les mains et …
-
Aïe ! s’écria Haple en rouvrant les yeux alors qu’un projectile la percutait au bras.
Qu’est-ce qui vous prend ?!-
Tic, tac, tic… et M. Pulchinel l’air content de lui jeta un autre caillou en direction de la petite … tac.
Tu f’rais bien d’ réfléchir vite.…son baton de pèlerin et… («
que la poussière sur la cape du pèlerin durcisse » ,
j’y suis) Alors dans un crescendo qui défiait les projectiles pierreux que l’autre lui jetait par intermittence, Haple récita avec ferveur ces paroles mystiques :
-
Que la fange sur les pieds du mendiant s’affermisse ! Que la poussière sur la cape du pèlerin durcisse !! Que la terre sur les bras du laboureur nous protège !!!La respiration courte suite à cette grande tirade, Haple manqua un battement de cœur dans l’attente du verdict, au cours de cette seconde d’éternité qui aboutirait sur un échec cuisant ou sur… et c’est alors que… rien. Rien du tout.
-
Ra-té, articula moqueusement M. Pulchinel en visant soigneusement le dessus du crane de l’enfant échaudée.
Et celle qu’ j’avais vu faire, el' f'sait ça en silence : drôlement plus classe !***
Mais la taquinerie ne l’atteignait pas plus que ça. Elle avait déjà refoulé l’embarras pour analyser son échec. Encore une fois, ce ne semblait pas être la forme qui comptait mais le fond. Et la clé de celui-ci se trouvait peut-être dans ces paroles rituelles qui, au dire du saisonnier, n’étaient en elles-mêmes pas indispensables. (
Aïe)
-
Franchement, ça n’aide pas, les cailloux, protesta-t-elle.
Et bien qu’elle n’eût pas geint comme une gamine, elle récolta tout de même une caillasse dans les jambes en guise de réponse. (
Soit, faisons avec. «
La fange s’affermit », «
la poussière durcit »,
et tout ça «
nous protège ».
AIE, bon sang !... C’est pas sorcier : il s’agit de changer la terre de l’environnement, sous quelque état qu’elle soit, en une carapace solide.) Restait à trouver comment intimer au fluide d’opérer cette transformation ! Pour la secousse, elle se connectait au fluide terrestre avant d’y expulser le sien pour en rider la surface. Pour l’étau… (
Aïe)
Haple, exaspérée, courut se mettre à l’abri du tronc le plus proche tout en poursuivant son raisonnement : (
Pour l’étau, je projette mon fluide sur ma cible … qui alors en déborde et s’empêtre dans une couche de boue… oui, l’effet est similaire au bouclier de terre que Roche avait invoqué). Mais M. Pulchinel l’avait rejoint et, réduite à jouer au chat et à la souris de nouveau, la jeune mage se précipita derrière un large rocher au bord l’eau.
***
L’envie la démangeait de riposter, mais chaque seconde de réflexion la rapprochait de la solution ; elle en était convaincue. Et en effet, c’est par en se référant à ce sort qu’elle avait déjà exercé à deux reprises, l'étau de boue, qu’elle identifia le mécanisme derrière celui du bouclier de terre. (
Maintenir le fluide en tension juste à la surface de la peau, plutôt que de le projeter sur une cible au loin, de manière à solidariser tous les grains de poussières, les peaux mortes et autres débris microscopiques en une couche protectrice, fine et souple mais infranchissable… Aie).
Elle serait prête pour le prochain. Et un air de défis peint sur son visage, Haple bondit hors de sa cachette imparfaite pour faire face à son adversaire.
-
Hoho… s’amusa-t-il.
On s’ rebelle ?-
Allez-y pour voir, lança-t-elle entre ses dents serrées par son intense concentration.
Elle était ancrée dans le fluide terrestre. Elle en sentait sa couche la plus superficielle, la plus volatile, celle qui constamment se mouvait et reliait en d’innombrables combinaisons grains de roche et échardes de matière organique décomposée. Elle sentait ce microcosme tout autour d’elle, mais aussi par extension, tout autour de M. Pulchinel, lequel alors levait son bras dans une magnifique rideau de flocons de poussière qu’il fit creva soudainement en abattant son…
-
Aïe !! J’étais pas prête.-
Vas dire ça à un agresseur. L’ aurait attendu ton piaf d’hier ?
Et comme pour appuyer ses dires, il lui jeta une nouvelle pierre en pleine tête, bien qu’à moindre puissance.
(
Mais !... On va voir ce qu’on va voir. Le fluide en surface… oui… celui en moi… oui… Vite, le voilà qui arme son bras… maintenant !)
Et Haple brandit ses mains en avant au même moment que l’autre lançait le projectile.
Alors une chose des plus inattendues arriva : partant d’un noyau au point de sa surface le plus proche de Haple, une épaisse gangue fibreuse se propagea à toute vitesse, enrobant le caillou d’une laine d’une splendide couleur ambrée et….
-
AAAAIIIIEEEE !!!
… et d’une dureté pareilles à celles de l’argile cuite. La petite avait mis un genou en terre et se massait à deux mains sa cuisse touchée où l’afflux de sang sous-cutané rougissait déjà le point d’impact. Et cette fois la douleur lui tira quelques larmes. Car le choc avait cette fois réellement meurtrie sa tendre chair potelée du fait de la masse anormale du projectile. Ce qui signifiait que … (
j’ai réussi !) Et un sourire de triomphe sur les lèvres, la jeune fille essuya ses larmes d’un revers de bras tout en se saisissant de l’objet enchanté tombé à ses pieds.
-
J’ai réussi ! lança-t-elle à son entraîneur, radieuse comme un soleil perçant la pluie.
Et elle lui jeta le projectile en retour, par jeu plus que par hostilité, si bien que M. Pulchinel l’attrapa sans mal et l’examina un instant avant de répondre, non sans son habituel ton railleur :
-
Non.L’exaspération menaçait de gagner l’adolescente en bourgeon. (
Comment ça, « non »)
-
Y a d’l a terre sur l’cailloux non, alors ?! répliqua-t-elle avec insolence.
-
Mais toi t’es toujours tors’ nue comme un ver sans défense.(
ah…oui…)
-
En position. On r’commence.Et M. Pulchinel se pencha pour prendre un nouveau projectile de pierre au lit de la rivière.
>> Bouclier de terre