C'est au fin fond de la forêt de Sarnass que se trouve la caverne aux cristaux. Vue de l'extérieur, elle ressemble à une grotte comme n'importe quelle autre. Mais une fois que vous aurez pénétré dedans, vous verrez la différence. A peine passée la première caverne, vous verrez une salle splendide, constituée de multiples cristaux géants, de la taille d'un arbre pour certains. Réputée parmi les magiciens de la forêt, cette grotte est presque un périple obligatoire pour ceux passant l'épreuve de la forêt. En effet, ses joyaux concentrent les pouvoirs magiques, permettant une récupération de l'énergie bien plus rapide qu'à l'accoutumée.

A peine entrée dans la grotte, je suis déçue par ce que j'y trouve, Astinor semble faire la moue à coté de moi tandis que je contemple la roche grise brunâtre, nue de tout cristaux pouvant la rendre étincelante. Seules quelques mousses viennent décorer et ajouter un peu de couleur au tableau, avec des verts, surtout, et quelques bleus aussi.

"C'est tout?"

Astinor pose la question qui me brûlait les lèvres. Nous nous regardons, complice tandis qu'Anouar, installée sur un rocher semble regarder le ciel.

"T'avais l'air de trouver ça bien, pourquoi aller plus loin? Ta magie est restée avec tes vêtements ou quoi?"

La magie, je n'avais pas interprété les picotements de ma peau comme un appel de la magie, tout au plus comme un des symptômes de la faim. Mais il est vrai qu'il y a une différence avec un simple frisson de froid et de faim, un petit quelque chose en plus qui enivre. Astinor me regarde comme un chat regarde son maître en se demandant ce qu'il fabrique.

"Tout droit!"

D'un coup, je démarre en courant, droit en face de moi vers le couloir étroit au fond de la grotte. Je ne m'étonne qu'à moitié qu'après avoir passé le premier tournant, qui devrait me cacher la lumière du jour, qu'il fasse toujours clair. Cette planète et surtout cette forêt semblent baigner dans une lumière permanente, mais douce, cette caverne n'échappe juste pas à la règle. Guidée par mes fluides en ébullition, je passe plusieurs tournants, quelques croisements, Anouar sur les épaules et Astinor sur les talons, sans l'ombre d'une hésitation.

Il ne faut guère de temps pour que je découvre une nouvelle caverne, nettement plus imposante que la première. Elle fait à peu près la taille du temple de Yuimen à Kendra Kâr dans son entièreté, que ça soit en hauteur ou en superficie. Elle semble aussi creusée dans le sol, son véritable sol étant à deux ou trois mètres en contrebas de l'entrée par laquelle je suis arrivée. Mais au-delà de ces considérations de taille, le fourmillement de magie semble venir des cristaux géants qui se dressent de partout. Certains sont à l'horizontal, d'autres verticaux ou obliques, mais le plus petit doit faire la taille de ma main, le plus gros la taille d'un chêne centaine sur Nirtim. Ils ne peuvent que m'évoquer le petit gisement d'améthyste que j'étais parvenue à créer en rêve au moment où j'ai absorbé la gélule de Yuimen, mais en cent ou mille fois plus grand et plus puissant. J'ai l'impression que mes tatouages pourraient se régénérer totalement en quelques secondes en ce lieu, contrairement à dehors.

"Alors ?"
"Magnifique... Ca fonctionne bien comme mon gisement ?"
"Oui, ça permet de régénérer l'énergie magique bien plus rapidement qu'ailleurs."
"On va s'occuper les journées qui suivent alors."
"Que comptes-tu faire ?"
"Préparez la guerre contre Leona. Je ne sais pas ce qu'elle a pu apprendre depuis qu'elle est de retour, mais je tiens à pouvoir la surprendre aussi."
"Ah... T'as de bonnes idées, parce que je peux faire beaucoup, mais pas tout, hein!"
"Peaufine tes techniques de chasses alors, je peaufine mes sorts moi !"
"D'accord, chaton."
"Et tu comptes faire quoi ?"
"Tu crois que c'est possible ça ?"

Assise sur le cristal le plus proche, je tente de me représenter un dôme, gigantesque, couvrant quasiment toute une ville contre les agressions du monde extérieur. Je le fixe en cristal pour que la lumière puisse quand même atteindre l'intérieur.

"Tu veux faire quoi, chaton ?"
"Un dôme de cristal géant."
"Pourquoi pas, une sorte de bouclier en plus puissant et moins maniable quoi?"
"En quelque sorte, mais assez grand pour protéger une ville de la taille de Kendra Kâr !"
"Ca ne tiendra pas, même avec la magie, tu ne peux pas créer une montagne de cristal !"
"Faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre, chaton..."
"Jusqu'à quelle taille tu penses que ça serait faisable alors, Anouar ?"

Je parle rapidement, excitée par mon projet.

"Déjà, 10 ou 12 personnes, ça serait gigantesque."

Déception profonde de ma part. J'aurais au moins aimé protéger une armée, l'armée de dryade avec laquelle j'irais au front.

"Tire pas cette tête-là, chaton. 10 ou 12 personnes, c'est déjà pas mal, tu sais."
"On fera avec de toute façon, c'est mieux que rien, mais pas assez à mon goût."
"Par contre, je ne le ferais pas en cristal moi..."
"Et pourquoi ?"
"Translucide. Les ennemis verront ce que vous faites dedans, pas bon ça."
"En pierre alors, mais on ne les voit plus non plus..."
"Tu rajoutes une fenêtre au besoin en modifiant la texture d'un bout du dôme, c'est pas le plus dur ça, ton père même sait le faire."
"Bonne idée, Anouar."

L'idée est là, il faut maintenant parvenir à la mettre en œuvre et ça risque d'être plus complexe que prévu.


"Comment je vais pouvoir créer ça ?"

Une demi-heure s'était facilement passée depuis la fin de la discussion sur mon dôme. Durant ce temps, Astinor avait exploré la grotte et n'était d'ailleurs toujours pas revenue et mon esprit, embrumé par le manque de nourriture, avait tenté de réfléchir à la manière de s'y prendre pour créer un sort, sans vouloir le demander à Anouar. Le silence était donc de mise dans la caverne où le moindre pas de chat sur un cristal se répercutait à l'infini, devenant limite assourdissant, rompant comme un équilibre primaire bien plus profond.

"Créer quoi ?"
"Bah le sort. J'ai toujours appris mes sortilèges en lisant le livre ou un parchemin, comment pourrais-je savoir quel mot utiliser, quelle phrase penser ?"
"Il faut que tu le trouves en toi. Je pense même que ta réponse est dans le livre."
"Je n'ai pas le livre."
"Le livre des druides est dans cette forêt, Lothi. Il est l'essence même de cette forêt."
"Pourrais-je le voir alors ?"
"Oui, mais plus tard."

Nouvelle déception venant d'Anouar. Déjà sous sa forme de Lirelan, elle était frustrante, mais elle est pire encore en tant qu'Anouar.

"Et je fais comment alors ?"
"Il est au fond de toi, je te l'ai dit. T'as qu'à le chercher."

Mon esprit pragmatique ne voit pas comment on peut chercher une chose au fond de soi quand on en ignore même l'existence ni où chercher, cependant, d'un simple regard vers Anouar déjà roulé en boule sur le cristal d'à coté, je sais que c'est à moi de me dépatouiller avec ce problème et qu'elle ne m'aidera pas plus que cela.

L'estomac grondant de faim, je m'assieds en tailleur sur un cristal relativement horizontal. A peu près, un silnogure pourrait se coucher sur la largeur d'une de ses faces, quant à sa longueur, elle dépasse celle d'un bouleau adulte. Il est d'une clarté époustouflante, irradiant par lui-même une lueur bleue semblable à celle que le soleil laisserait en passant derrière un saphir. Mais tout cela ne m'intéresse qu'à moitié, tant le creux dans mon ventre et la difficile tâche confiée par ma faera m'obsèdent. Les yeux fermés, je cherche à retrouver les sensations que j'ai eues lors de l'absorption de la graine de l'ordalie.

Le premier des sens que j'avais éveillé, c'était le goût. Je répugne à commencer par là, mais il faudra bien que j'y passe de toute façon. Un grondement sourd se répercute dans toute la grotte, issu directement de mon estomac désespérément vide. Je tente de l'ignorer pour me concentrer exclusivement sur les goûts que l'air pur peut avoir. Ils sont presque inexistant tellement l'air dans cette grotte est frais, j'arrive à percevoir des nuances, mais pas assez pour ce que je veux faire. J'abandonne finalement et me lève. Cette caverne a beau être merveilleuse, ça n'en reste pas moins de la roche, bien loin de richesse de la vie des plantes.

Anouar lève à peine la tête pour me regarder partir tandis que je remonte les couloirs vers la sortie en direction de la forêt.


((( >> Vers la forêt )))

Nous rentrons dans la grotte, immédiatement ou presque l'air pur et l'action des cristaux agit et vient régénérer mes fluides me permettant, si la fatigue physique et la faim n'étaient pas aussi intenses, de reprendre mon entraînement immédiatement. Suivant Astinor allant de cristal en cristal je finis par arriver à une petite faille d'où s'écoule un mince filet d'eau pure, transparente d'où viennent les clapotis se répercutant dans toute la caverne.

Je m'abreuve autant que je peux, hydratant mon corps à défaut de le nourrir, remplissant mon estomac d'une substance qui sera vite digérée, mais qui me donnera peut-être l'impression, le temps d'une courte nuit, que j'ai mangé un vrai repas. Cela fait, je vais m'enrouler dans un coin, Astinor me servant d'oreiller.

Le réveil plus tard dans la nuit est déjà nettement plus pénible. Non seulement j'ai faim, mais surtout je suis épuisée, j'ai mal d'avoir dormi sur du cristal et seules ma tête et ma nuque ne sont pas douloureux grâce à mon tas de fourrure à quatre pattes. J'ignore d'ailleurs si elle doit manger ou non, mais je suppose que comme tout animal elle ne se laissera pas mourir ainsi.

Je me lève, m'étire un peu pour rendre un maximum de souplesse à mon corps. La tête me tourne légèrement, mais rien de grave encore, je peux encore réfléchir et me tenir debout, prudemment, je marche jusqu'à la source et m'abreuve, remplissant mon estomac avec ce que je peux. Cela fait, je sors à nouveau vers la forêt pour réessayer mon dôme de pierre.


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Les jours suivants -quatre, cinq, six peut-être - passent en tentatives renouvelées, alternées avec des pauses dans la caverne, à la limite de l'épuisement. Mon corps s'affaiblit de faim, mais mon esprit demeure ferme, tenant bon, me maintenant debout et en état de concentration sans relâche. Je me relève sans cesse, construisant et démolissant la gangue protectrice de boue que j'arrive petit à petit à agrandir. Tout d'abord pour avoir de la place pour deux puis trois personnes. Au bout du quatrième jour, le dôme est assez large pour accueillir en son sein une bonne dizaine de personnes, en leur laissant la place pour se déplacer vers l'un ou l'autre. L'exercice est assez long et épuisant, mais le résultat est celui escompté. J'ai pu passer plus de trois heures dedans avant qu'Astinor parviennent à faire s'effondrer la structure.

Courant du troisième jour, je parviens à résoudre le problème du bruit à l'intérieur et venant de l'extérieur en changeant la structure de la terre même. Au lieu de laisser une caverne lisse comme elle apparaissait, je parviens à la changer, à la rendre plus granuleuse, absorbant plus le son qu'elle la renvoie. L'idée m'est parvenue dans la grotte, un soir alors qu'Astinor me racontait sa vie avant d'être enfermée par Yuimen dans l'épée sauvage. Le son qu'elle faisait était renvoyée par les cristaux beaucoup plus que par la caverne aux bords irréguliers. En étudiant à l'aide d'Anouar la grotte, j'ai fini par comprendre comment allait les sons et pourquoi il est impossible d'entendre la source quand on entre. J'ai donc dû travailler la structure même de la terre pour qu'elle ressemble au mieux à celle-là et que les sons venant tant de l'extérieur que de l'intérieur ne se multiplient pas, mais au contraire s'étouffent.

Pour la lumière, je n'ai eu d'autres choix que de modifier la structure pour en faire du cristal à certains endroits. Bien que suffisante en lumière, il est difficile de la transformer, de base du moins, en fenêtre permettant de voir à l'extérieur. On se contentera donc de la lumière. J'ai ainsi appris à les placer en hauteur car plus bas elle fragilise la terre, pouvant la faire s'écrouler sur elle-même sans besoin d'attaque de l'extérieur.

Enfin, pour l'air, il a fallu que je parvienne à faire des trous, aussi petits que des aiguilles à coudre, mais régulières dans toute la structure pour éviter de trop l'affaiblir. Des trous plus gros amenaient plus d'air et rendraient l'intérieur plus agréable, mais diminuent énormément la solidité de la protection, la rendant limite friable.

Je parviens finalement à faire un dôme solide comme je le désirais, assez grand pour douze personnes, ayant des fenêtres de cristal pour la lumière, des arrivées d'air minuscules mais existantes et suffisantes pour permettre une respiration aisée.