<< Précédemment.27. Banshees.Le temps qu'ils parviennent à la ferme, la pluie s'était calmée bien qu'une légère et désagréable bruine subsistait et qu'une forte brise s'était levée. Au loin, le tonnerre grondait alors que la veille, aucun nuage ne se profilait à l'horizon. Le temps était décidément très changeant à cette période de l'année.
Ils arrivèrent devant un vieux portail en bois délabré par le temps. Un écriteau leur avait signalé de ne pas tenter de pénétrer dans la ferme mais, mission oblige, ils le firent tout de même.
Ils franchirent le portail de bois qui était à la limite de tomber en poussière et attachèrent leurs chevaux à un pommier qui avait poussé dans un coin de la propriété. Kronh détacha la corde du cou du Gobelin en lui signalant que s'il tentait de fuir par n'importe quel moyen, il le tuait. C'était aussi simple que ça.
Ils gravirent à pied le petit sentier dévoré par les mauvaises herbes en direction de la petite maisonnette qui se situait en haut d'une pente douce. Pendant qu'ils marchaient, des sauterelles et des criquets leur sautèrent dessus tellement il y en avait, au grand plaisir de Sump qui, toujours affamé, en mangea deux.
En croquant la tête du deuxième, quelque chose le fit se retourner et il crut distinguer un corps blanchâtre derrière le cadavre d'une vieille charrette qui s'enfonça dans les hautes herbes si rapidement que le Sekteg crut que son esprit lui avait joué un tour.
Ils finirent par arriver devant la maison.
C'était une vieille bâtisse construite avec de lourdes pierres grises au toit de chaume pourvu d'une cheminée elle aussi en cailloux. La maisonnette semblait pencher sur le côté comme si le poids des années était trop lourd à porter. En dessous des deux petites fenêtres couvertes de crasses et de poussières existaient les vestiges de ce qui avaient été des jardinières, maintenant remplies de mauvaises herbes et d'insectes.
Pour protéger ses dernières, le propriétaire avait installé des petites clôtures en bois plus petite que Sump, qui ne tenait à présent que par miracle.
Collé à la façade de droite, comme s'il s'appuyait contre la maison, un petit abri en bois qui devait servir de local à outils et qui était à tout point de vue rongé par les termites était là, sa porte entrouverte.
Il régnait dans ce lieu une ambiance silencieuse et lugubre et Sump avait la désagréable impression d'être observé.
Le premier, Kronh et ce sans marquer la moindre hésitation, montrant qu'il n'avait pas une once de peur, s'approcha de la bâtisse pour essayer de voir à travers les carreaux encrassés des lucarnes. Ne voyant rien, il tapota avec son index dans l'espoir de crée un peu d'agitation qui trahirait la présence de quelque chose de vivant.
Sump lui, mettait son incroyable ouïe à profit en tendant l'oreille pour essayer de capter des sons à l'intérieur, étant trop petit pour voir à travers les fenêtres. Il ne percevait qu'un léger bourdonnement.
Apparemment rien ne bougeait à l’intérieur.
"Bon, y a pas l'air d'avoir grand-chose là-dedans donc..." commença Kronh.
"Kronh ? Qu'est-ce que c'est que ça ?" l'interrompit Wace d'une petite voix.
Milicien et Gobelin se tournèrent vers l'endroit qu'indiquait la milicienne pour voir l'objet de sa soudaine frayeur.
Les yeux du gobelin s’agrandirent d'étonnement.
De derrière l'abri en bois était apparue une grande femme dégingandée et affreusement maigre vêtue de haillons grisâtre de ce qui semblait être dans le temps une belle robe blanche. Sa peau avait une couleur bleuâtre et ses cheveux, une sorte de touffe brune frisée et en pétard, faisait penser à la collerette que certains lézards hérissaient dans le but d'intimider leurs ennemis.
Ses yeux, beaucoup trop gros, semblaient jaillir de leurs orbites.
Avec une expression effrayante de neutralité, elle les regarda quelques instants sans rien faire.
Kronh dégaina son épée :
"C'est une Banshee ! Bouchez-vous les oreilles !" ordonna-t-il.
Avant que ses deux acolytes n'aient eu le temps de se poser des questions sur ce drôle d'ordre, l'horrible femme ouvrit grand la bouche découvrant une denture quasi-inexistante et poussa un horrible cri.
Aussitôt, Sump plaqua ses mains sur ses oreilles, s'accroupit par terre et tomba contre les petites barrières qui protégeaient les jardinières, ce qui les fit tanguer et craquer.
Ce n'était pas un cri mais un rugissement. Un rugissement horrible. Jamais le Sekteg n'avait entendu un son pareil. Il ne pouvait même pas le décrire. Il n'était ni grave, ni aigu, il était juste long et semblait sans fin.
La milicienne, elle aussi à genoux, semblait souffrir presque autant que lui.
Kronh, le seul à être resté debout, fonça vers la créature en hurlant pour tenter de couvrir le cris de l'abomination, épée brandit.
Arrivé à son contact et ignorant toujours le cri, le milicien abattit sa lourde arme sur la femme qui n'avait pas bougé d'un poil. On aurait dit qu'elle n'avait pas remarqué qu'un mastodonte en armure, bien qu'un peu plus petit en hauteur mais lui rendant pas loin d'une centaine de kilos, fondait sur elle.
Pourtant, alors que l'acier allait sans doute la couper en deux verticalement, elle se glissa sur le côté avec une agilité incroyable que son apparence décharnée ne laissait préjuger en rien et le colosse frappa dans le vide. À ce moment-là, la porte de l'abri en bois s'ouvrit complètement, laissant apparaître une deuxième femme approximativement dans le même état que la première sauf qu'elle était blonde et qu'elle avait un œil en moins, laissant une orbite vide et, profitant du fait que Kronh soit emporté par l'élan de son coup, le poussa avec ses deux mains.
Le cri ayant cessé au moment où la première Banshee avait évité le coup du milicien, Sump, se remettant tant bien que mal debout en se débouchant les oreilles, vit, médusé, le colosse s'envoler et retomber presque dix mètres plus loin dans les restes d'un champ, devant la maisonnette, aplatissant les hautes herbes.
Assurément ces vieilles peaux en avaient dans les bras.
"Olala..." gémit Wace, reculant de deux pas et dégainant son épée en constatant que les deux femmes se dirigeaient à présent vers elle et le Gobelin.
Elle lança une boule de feu mais, fatiguée après l'épisode des trolls, cette dernière manquait de puissance magique et la femme blonde la repoussa sans effort d'un revers de main.
Cette dernière allait ensuite se mettre à crier quand une hache de jet vint se planter dans sa frêle et osseuse poitrine, émettant un craquement et la faisant tituber. Toutefois, aucune gerbe de sang ne jaillit de la blessure pourtant profonde. Le sang était comme gelé dans son organisme. De plus, la créature ne prit même pas la peine de regarder l'arme plantée dans son corps, ni même de l'enlever. C'est comme si elle n'avait rien senti, et c'était peut-être bien le cas.
Kronh, debout, ses cheveux remplit de brindilles prit son heaume qui pendouillait à sa ceinture et le mit sur sa tête, puis il remonta en direction de la maison en ordonnant à ses deux acolytes :
"Wace, tu viens me filer un coup de main pour buter les deux merluches. Toi, Sump, tu entres et tu retrouves notre gars...y a pas l'air d'avoir de dangers la-dedans."Wace hocha la tête et, n'hésitant qu'un court instant, se jeta sur une des femmes, son épée brandit.
Le colosse fit pareil et le combat fit rapidement rage.
Sump, résistant à l'envie de s'enfuir en courant tenta d'ignorer la bataille qui entraînait les belligérants un peu plus loin dans la propriété et actionna la vieille poignée de porte de la bâtisse avec toujours cette impression que quelque chose rôdait autour de lui.
Dès qu'il eut ouvert la porte, qui grinça fortement sur ses gonds, une horrible odeur de charogne, mélangée à celle du renfermé lui assaillit les narines. Il détourna la tête en toussant.
Il entendit Wace pousser un cri et Kronh jeter un juron. Bizarrement, cela lui donna le courage d'entrer dans la bâtisse. Fixant son casque sur sa tête, il fit un pas en avant.
Une fois à l'intérieur, malgré la pénombre qui régnait en ce lieu, son regard porta automatiquement sur le cadavre qui se trouvait à sa droite, dans un coin. Des tas et des tas de mouches le grignotaient et faisaient de lui leur nid dans un bruit que le Sekteg trouvait assourdissant.
Il jeta un regard circulaire à la salle. À droite, en plus du cadavre, était posé un tas incroyable d'anciens grimoires qui semblaient avoir des centaines d'années. Ils étaient recouverts d'une épaisse couche de poussière grisâtre et occupaient presque un quart de l'espace total. Derrière ces bouquins, collées au mur, des étagères en bois se tenaient là, croulant sous le poids des centaines de babioles et d'autres livres qui étaient posés dessus. Une d'entre elles était renversée sur le sol.
Au centre, pour couvrir les vieilles lattes du plancher, car la maison avait bien un plancher posé par-dessus les pierres du sol, avait été placé un tapis rond de la même couleur que les cheveux du Gobelin : rouge sang de bœuf, brodé de motif doré tandis qu'une porte en bois, identique à celle qu'il venait de franchir menait derrière la maison.
Enfin, à gauche, se trouvait une table de bois, qui était placée de travers, croulant elle aussi sous les paperasses diverses qui la jonchaient.
Juste en dessous de la fenêtre de gauche, un vieux et laid canapé jaune verdâtre troué de toute part se tenait devant une petite table basse sur laquelle était posée une carafe en poterie ainsi que la présence étrange d'un torchon tâché de sang.
N'en pouvant plus, le Gobelin baissa la tête pour essayer de se soustraire à l'odeur du lieu et c'est ainsi qu'il remarqua le petit bout de papier plié en quatre qui se trouvait à ses pieds.
Curieux et étonné, il le ramassa. Il était jauni par la vieillesse et était tâché de traces brunâtres.
Il le déplia maladroitement et plissa les yeux pour regarder le dessin assez bien fait d'une dague à la lame drôlement courbée. Plusieurs flèches la reliaient à des notes prises à la hâte.
Sump ne savait pas très bien lire, les habitants du petit hameau près de son ancienne forêt ne lui ayant appris que les bases de la lecture. Pourtant, un mot le frappa comme une pierre, un mot qui avait, tout comme les Orques, perturbé son sommeil mais d'une tout autre façon. D'une façon frustrante, dévorante.
Le mot
relique.