Un haut-le-cœur me prit, alors que je me fis littéralement aspirer par le manoir, après ma réponse-pensée très vite lue par ces télépathes omniscients aux voix pédantes et désagréables. La tête me tournait encore, et j’eus du mal à garder mon équilibre, alors que je débarquai dans une pièce parfaitement carrée, au sol en damier noir et blanc. Il y faisait clair, malgré l’absence décevante de fenêtres. Un lustre pendait au plafond, éclairant l’endroit comme en plein jour. A peine eussé-je débarqué qu’une des trois voix de l’extérieur, la plus désagréable dans les propos, m’adressa la parole à nouveau, pour m’indiquer que je possédais désormais des marques sur le bras, qui seront autant d’aides futures, et néanmoins précieuses. Mon regard d’émeraude s’abaissa sur mes bras, où apparaissaient effectivement ces fameux chevrons, au nombre de dix.

Déboussolé, je me tournai vers l’origine de la voix, et la surprise marqua un instant mon être : une tête hideuse de clown-pantin-fantôme carnivore me regardait là, de ses orbites vides et sévères, avec un sourire malsain et carnassier. Un fantôme. Un esprit… Sans doute un des anciens locataires, piégé là par sa propre folie. Il me souhaitait la bienvenue dans sa demeure, mais ses mots sonnaient aussi faux que son apparence tronquée.

Et sans préambule aucun, il annonça une nouvelle énigme, à partir des dalles du sol de la salle. Je soupirai à l’énonciation. Je n’étais guère d’humeur à jouer : prisonnier malgré moi d’un jeu macabre, comme auparavant le tournoi millénaire. Tout recommençait, une fois de plus. Mais comme à l’accoutumée, je vaincrais.

La tête disparut, me laissant avec l’écho de ses paroles, seul. Mon regard s’abaissa sur le carrelage bicolore… Et fut attiré par une dalle noire un peu différente de ses consœurs. Plus pâle, plus terne, elle était la seule dans cet état-là. Je m’en approchai doucement, et l’effleurai de la pointe du pied, comme pour en chasser les saletés, afin de mieux l’inspecter.

Lorsque tu touches la dalle, il ne se passe rien. Cependant, si tu regardes attentivement, tu peux voir en faible transparence qu'il y a quelque chose dessous, indiscernable mais bien présent.

La dalle ne réagit pas à mon effleurage. Ce n’était pas une plaque de pression, ou un quelconque bouton. En revanche, le fait de m’en approcher me permit de remarquer, en transparence, la présence de quelque chose en-dessous. Loin d’être translucide, je ne parvins pas à discerner ce que c’est à travers le carrelage foncé. Une seule solution s’offrait à moi, désormais : je devais voir ce qui s’y cachait.

Je dégainai mon épée, et tentai de desceller la dalle de carrelage en forant sur ses bords de ma lame. Avec un peu d’acharnement, j’étais sûr d’y parvenir. Et je n’avais aucune pitié pour le sol de ce manoir qui m’avait emprisonné contre ma volonté. Ça lui apprendrait.

Lancé de choc : 4 (1D5)

Lorsque la pointe de ton épée commence à s'enfoncer, tu entendis la voix sinistre du clown ricaner. Puis un choc au nouveau du torse t'envoya valser au loin. Tu retombes plutôt mal et te fais mal. (- 4 pdv).

"Inutile de vouloir triché. Rappelle-toi de mes paroles, et seulement à ce moment là tu pourras l'ouvrir, peut-être."

La voix repartit en ricanements sinistres avant de s'estomper.

Alors que j’enfonçai mon épée dans la fente entre les deux dalles du carrelage, un choc au torse me fit choir en arrière avec puissance et surprise. La respiration soufflée comme après un coup de poing, je relevai la tête pour entendre la voix du fantôme clownesque m’accuser de tricherie. La colère m’envahit, et fit trembler mes lèvres, malgré mon apparence de glace. Même seul, je gardais pour moi mes émotions, qui ne se traduisaient pas sur mon visage immobile, si ce n’étaient mes mâchoires serrées. D’une voix froide et méprisante, j’adressai à l’air m’entourant :

« Comment pourrais-je tricher alors que je ne connais aucune règle ? Et à un jeu auquel je ne participe pas ? Vous m’avez enfermé contre ma volonté, croyez-vous que je sois le genre de type à me laisser faire et à suivre votre petit plaisir malsain comme un mouton imbécile ? »

Je me relevai totalement, rengainant mon épée. L’énigme m’intriguai néanmoins, et je tâchai de la résoudre, si bien sûr j’en avais capté l’énoncé tronqué et imprécis.

Dans un dallage de Seize carrés, combien pourrait-il y en avoir au total, de carrés ? Seize de base. Neuf de deux sur deux. Quatre de trois sur trois, et un seul de quatre sur quatre. Pour un total de trente dalles. Plus calmement, j’énonçai donc à l’envolée :

« Il y a trente possibilités de carrés, dans cette pièce. Voilà le total que vous désiriez. »

La voix ricana, puis tu entendis un déclic. De plus la dalle que tu avais essayé de forcée se volatilisa doucement, à la manière d'une simple fumée qui disparait, pour laisser apparaitre une échelle plongeant dans un puit de lumière.

La tête du clown apparut devant toi.

"Félicitation, c'est agréable de voir un esprit bien formé. Et oui, je le crois, car tu n'as aucun autre moyen de sortir d'ici."

Puis sa voix éclata en un ricanement aigu alors qu'il disparaissait comme il était apparu.

J’avais trouvé la solution de l’énigme, mais je n’en tirai aucune satisfaction. Les harassements provocateurs de cet esprit dément me lassaient, et ce fut sans surprise que je vis la dalle que j’avais précédemment tenté de soulever – ce qui se trouvait être une solution originale à l’énigme, et non une tricherie – s’ouvrir après le commentaire du bouffon-tête. Après un soupir dédaigneux, je recoiffai rapidement mes cheveux aériens, et entrepris de descendre par l’échelle qui était apparue.

La lumière dans le trou était vive, mais ça n’allait pas me déranger plus que ça. Et je n’avais pas vraiment le choix, au final, ne sachant rien de la structure de l’endroit.

Evidemment, l’échelle était glissante. Un vieux manoir, doté de mécanismes magiques permettant d’ouvrir des dalles dans le sol à l’énonciation d’un mot, et qui avait apparemment manqué de zèle sur l’entretien des barreaux de l’échelle juste en dessous. Je dérapai et m’étalai dans la pièce sous moi, non sans m’occasionner quelques douleurs contondantes, qui ne manqueraient pas de meurtrir mon postérieur, qui se couvrirait sans doute rapidement de belles taches bleutées m’allant sans doute fort bien au teint.

La pièce où j’avais atterri était toute boisée : à la place du carrelage tenait un parquet massif. Les murs étaient recouverts de bois lisse, eux aussi, et la clarté des lieux s’expliquait par la présence de candélabres en nombre, contrastant avec la noirceur d’ébène des murs.

Une jeune femme, une enfant, en vérité, se tenait au centre de la pièce, toute de noir vêtue. Pâle, elle avait les cheveux noirs, attachés en deux couettes, et ses grands yeux baignés d’une lueur rougeâtre étaient fixés sur moi. La candeur de son apparence ne m’empêcha pas de me méfier d’elle, sitôt qu’elle ouvrit la bouche pour parler. Sadique, son discours semblait vouloir s’en prendre à moi. Que lui avais-je fait ? Je ne saurais l’affirmer. C’était de la cruauté gratuite, apparemment. Les résidents de ce manoir y semblaient coutumiers.

Mais je n’eus guère le temps de réfléchir plus longtemps à ses motivations : une brume noire sembla lui sortir de l’arrière train, et envahit tout un pan de mur. Elle prétendit que ça allait me distraire pendant un bon moment. Un bien maussade gaz, s’il m’était donné de juger. D’autant que les bruits de clapotis aqueux, et l’odeur nauséabonde qui se dégageaient de la noire fumée ne disaient rien qui vaille sur l’état de son colon. Mais je déchantai vite : une forme apparut, et traversa la demoiselle. Une forme horrible, qui m’était hélas familière, bien que plus petite ici que dans mes noirs souvenirs. Le Dieu Pieuvre. Celui que j’avais vaincu, en compagnie d’autres, dans les profondeurs des mines de Nosveris. Une représentation fort réaliste de cette chose immonde se tenait là, clapotant et grognant de toute son écœurante apparence. Je me figeai, prostré soudainement dans les souvenirs de cette chose qui pénétrait encore mes chairs, près tout ce temps. Plusieurs mois m’avaient été nécessaires pour me remettre de cette expédition, de ce combat, et de l’horreur que j’avais pu vivre dans cet enfer de noirceur et de cruauté. Plusieurs longs mois, durant lesquels je notai mes mémoires de cet événement, tentant de chasser dans l’alcool et les femmes sans saveur le souvenir de cette atrocité. Je n’y étais pas parvenu, et j’avais appris à vivre avec, bien que les rappeler à moi me soulevait le cœur, et m’emplissait de peur.

Mais là… là, c’était différent. Et la voix de la jeune fille immatérielle me rappela à l’ordre. Cette chose qui hantait mes rêves, mes souvenirs et ma chair, cette chose immonde, elle était morte. Définitivement morte. Elle n’existait plus, et n’avait plus lieu d’exister. Son culte-même avait été détruit. Plus personne ne tenait à cette divinité déchue, avatar d’une civilisation perdue. Selon la voix, la chose me laissait le loisir d’attaquer le premier. C’était ridicule. Une chimère, une illusion. Jamais tel monstre n’aurait ce type de délicatesse, j’en étais maintenant convaincu : tout était faux. Le monstre, la fumée, et même la petite fille. Je reculai pour m’adosser au mur, croisant les bras sur mon torse en gardant tant que possible une attitude détendue, reculée… Même si la vision m’émouvait plus qu’elle ne devrait. L’acuité de mon esprit, mon sens aigu du rationalisme m’aidaient à garder les idées claires. Je lançai, dédaigneux :

« J’ai déjà vaincu ce monstre. Il n’est qu’illusion, comme tout ce qui m’apparait ici. Cessez-donc de tenter de me faire peur, et indiquez-moi la sortie de cet endroit. Sur le champ. Ce jeu morbide a assez duré. »

Et je plongeai mon regard dans les petits yeux orangés et globuleux de la chose irréelle qui me faisait face. Une nouvelle énigme ? Peut-être… C’était un monstre à vaincre par l’esprit, non la force.

Jet d'attaque de l'abomination à ailes : 94, réussite
Jet de choix de l'attaque magique : 4, main sombre (-1 PV)

Le simulacre de dieu-pieuvre lança un sortilège sombre, qui m’atteignit à peine, ne me causant que peu de peine, pour l’effet visuel qu’il avait eu, cette main noire et fumeuse qui s’était approchée de ma gorge.

« Lâche. C’est ridicule. Vous vous complaisez dans vos piètres tortures sans oser nous affronter directement. »

Puisqu’elle le voulait, j’allais battre cette créature. Je dégainai mon épée, mais la créature se trouvant à distance, c’est la magie dont j’usai pour la terrasser. Détentrice de fluides d’ombre, le trait de lumière allait être mon arme la plus efficace. Je rassemblai la lumière entre mes doigts, et relâchai le sort dévastateur vers mon ennemi. L’ombre avait suffisamment baigné cet endroit. La petite fille s’était suffisamment cachée de moi. Il était temps qu’elle se révèle sous son vrai visage.

[Pleine puissance du trait de lumière sur ce cher tentaculaire.]

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