Dès que l’elfe eut proposé d’aller voir les alchimistes, Oriana, restée dans son coin, se mêle enfin à la conversation.
Elle dit que c’était une bonne idée, qu’ils en sauraient peut-être plus. C’était la seule option disponible, à ce stade, alors la grise s’y serait rendue quand même, avec ou sans eux. Ils l’intéressaient bien trop pour qu’elle laisse passer cette chance.
Elle proposa à Kieran Kloryn de venir avec eux, ainsi il pourrait avoir des nouvelles des Alchimistes. La sindel hocha la tête à cette proposition, il s’agissait d’une excellente idée. Le Maître était puissant et passer du temps à ses côtés ne pouvait qu’être bénéfique pour elle. Aussi, il était bien trop énergique pour passer son temps entouré de livres. Bien que le savoir soit une force, passant la majorité de son temps ici, venir avec eux lui ferait sûrement le plus grand bien. Et puis, il aurait bien le temps de rester ici plus tard, quand sa jambe le fera bien trop souffrir pour qu’il puisse se lever.
La jeune femme, maligne, en profita pour demander si elle pouvait emprunter le livre qu’elle avait trouvé. Il ne s’éloignerait pas de lui ainsi. Futée, cette humaine. Elle méritait beaucoup plus d’attention de la part d’Avalyn. Ce serait sans doute une bonne alliée.
Quand le vieil homme put prendre la parole, sur son visage transparaissait la joie qu’il éprouvait. Il accepta de les accompagner et d’un geste vif attrapa son bâton, afin de se mettre en route.
Hélas, le temps passait vite. Et dehors, la lune avait pris la place de son amant. Il leur proposa alors de loger ici, et accepta de céder le livre à Oriana tant qu’il ne s’éloignait pas de lui, ajoutant que dès qu’ils se sépareraient elle devrait le lui rendre. Ayant un peu de travail à finir, il chargea Gaël de les conduire jusqu’à leur chambre.
Montant par cet étrange escalier menaçant de craquer à chaque pas léger qu’elle faisait, Avalyn découvrit les chambres de la Haute Tour. Les érudits dormant dans les parties basses, il s’agissait des chambres réservées aux invités. Réparties sur deux étages, il les mena à celles de l’avant-dernier. Au sommet, il y avait l’observatoire. Endroit qu’elle se ferait un plaisir de visiter.
Il n’y avait personne d’autres qu’eux, dans cette série de chambres séparées par des murs de bois. Il y avait, dans une salle séparée, une salle de bain dotée d’une baignoire. Le milicien proposa immédiatement de se répartir son utilisation. Elle sourit en entendant cela. Faisant face à deux jeunes femmes, il avait des raisons de s’en faire.
Cela donnerait presque envie de le taquiner. Mais elle ne cèderait pas à la tentation.
"
Si vous le souhaitez Gaël, prenez-le en premier et nous pouvons le prendre ensemble, Oriana et moi. Du moins, si cela ne vous dérange pas Oriana." dit-elle en se tournant vers la jeune femme.
L’humaine acquiesça, déclarant ne pas avoir pris son bain avec une jolie demoiselle depuis longtemps. L’elfe sourit à la flatterie, et sans plus attendre, elle se dirigea vers une chambre et y posa ses affaires, prenant le nécessaire de toilette qu’il y avait là.
Elle attendit patiemment avec Oriana que Gaël soit sorti de la salle de bains, ses cheveux de feu parcourus de fines goutelettes, puis lui sourit et entrant dans la salle de bains, laissa chuter doucement ses vêtements sur le sol et rentra dans l’eau avec sa compagne, les deux jeunes femmes devant se serrer l’une contre l’autre pour tenir dans la baignoire, leurs formes respectives flattant celles de l’autre, toutes les deux dos à dos.
Cette situation de promiscuité totale entre elles ne la dérangeait pas, elle trouvait ça amusant, et puis elle n’avait aucune pudeur vis à vis des autres femmes. Le corps d’Oriana contre le sien était chaud et sa peau douce, c’était agréable. Le sentir bouger contre le sien l’était tout autant, si ce n’est même plus.
Elle laissa les goutelettes parcourir le voile fin de sa peau couleur crème, la mouiller, l’inonder du liquide salvateur. Elle frissonait sous la fraîcheur du liquide, laissait son corps s’en imprégner, les perles qui le parcouraient finissaient sur le corps de celle avec qui elle partageait son bain. Le pendentif de saphir qu’elle portait toujours autour de son cou, forme stylisée et aérienne, était sur une chaîne en or blanc. Il ne se rouillait donc pas et elle le gardait avec elle, mais au cas où elle l’avait enlevé et posé. Elle ne supporterait pas que ce bijou qui avait une valeur symbolique aussi forte à ses yeux s’abîme.
Ses cheveux, ensuite. Les mèches grises et blanches perdirent leurs boucles légères, pour se raidir sous l’effet de l’eau. Ils atteignirent son bassin ainsi, prenant de la longeur. Ils caressèrent la chute de reins de la jeune femme, mais la sindel s’empressa de les mettre sur son épaule, afin qu’ils ne l’indisposent pas.
Ses mains parcourirent son corps, soupirant d’aise. Le savon passait sur sa peau, la lavant, passant dessus doucement, tranquillement. Elle caressait sa peau avec le savon, se libérant de la crasse de l’extérieur et quelque part de la tension et la fatigue que son corps avait accumulé pendant la journée. La grise aimait à croire que comme cela elle se lavait des impuretés, que son âme se lavait avec elle. Oh, elle n’était pas croyante, du moins elle n’était pas une dévote, elle se fichait bien que son âme soit pure pour un quelconque dieu. Mais quand sa beauté se fanerait, il ne lui resterait que son âme à parfaire.
Se tournant vers sa compagne, elle lui tendit le savon :
“
Voudriez-vous bien m’aider à laver mon dos ? Je ferai de même pour vous, si vous le souhaitez.”
L’humaine accepta, répondant que cela allait de soit et commença à laver le dos d’Avalyn, ses mains passant sur sa peau nue et mouillée. Les doigts d’Oriana passaient sur son dos, aussi légers qu’un rêve. Elle se laissa faire, tranquille, et dès que la jeune femme eût finit, elle se tourna vers elle et fit de même. Elle lui fit même un massage, pressant délicatement certains points du dos pour évacuer la tension qui s’y était accumulée, roulant le tissu doux de sa peau entre ses doigts fins.
C’était tout simplement délicieux. Une fois que toutes les deux étaient bien savonnées, l’elfe passa l’eau sur leurs corps avec un seau en bois, les rinçant et sortit de la baignoire. S’essorant les cheveux et les essuyant, elle mit ses bas puis ses vêtements, comme la jeune femme qui remettait à côté sa robe noire. Robe noire pour Oriana et robe blanche pour Avalyn. Elles étaient aussi différentes qu’elles se ressemblaient, que ce soit dans leur gestuelle, dans leur mouvements. La jeune femme avait cette rigueur de mouvement propre aux militaires, ce qui lui conférait un charme certain. L’elfe, elle, avait cette grâce, cette souplesse, qui faisait d’elle ce qu’elle était, qui soulignait sa beauté plus qu’autre chose. Au final, il s’agissait de deux jeunes femmes dont la beauté était peu commune.
Elle sortit de la salle de bain, et rentra dans sa chambre, avant de laisser choir les tissus à ses pieds et de se mettre en chemise, laissant de côté le plastron de la milice kendrane, que décidément elle n’avait pas apprécié. Toutes ces pièces d’équipement marquaient une appartenance à un organisme dont elle ne faisait pas partie et auquel elle ne souhaitait pas être assimilée.
Elle se dirigea vers le secrétaire massif en bois, pour voir qu’il était dépourvu de papier. Comment ferait-elle pour écrire sans ? Avalyn, après s’être rhabillée, descendit donc aux étages inférieurs, là où le petit homme qui ressemblait à un hobbit était assis. Elle lui demanda du papier, une enveloppe et de l’encre, choses qu’avec son sourire débonnaire il s’empressa de lui fournir. Le remerciant en souriant, elle remonta jusqu’à leur étage pour entrer dans sa chambre, s’asseyant au bureau, prenant ce dont elle avait besoin pour écrire une jolie lettre. Elle devait écrire à Caïn.
La première lettre fut tracée, et la lettre de l’elfe a commencé.
Mon ami,
Comme le temps me paraît long loin de vous. J’ose espérer que c’est le cas pour vous également. Il faudra que je m’y fasse, pourtant. Je ne reviendrai point à la Cour de Tahelta avant des années, peut-être des décennies. Vous qui me connaissez si bien, vous savez que j’aime ma liberté, d’un amour si fort, si puissant. Je tiens à la conserver, et en tyran qu’elle est, elle veut découvrir des merveilles. Les merveilles de ce monde, les merveilles des autres. Elle veut que je vive des choses puissantes. Et je ne supporterai que mon amante la plus fidèle me quitte si je ne lui obéis. Je ne suis qu’une marionette parmi d’autres, et pourtant je l’affectionne tant.
Vous avez une solide concurrente en sa personne. Néanmoins, ces ordres se sont révélés utiles. Je peux vous dire que j’ai rencontré des personnes intéressantes, et vu des choses. Le peu que j’ai vu du monde en dehors de “chez nous” m’a été si bénéfique que quelque chose me dit que j’y resterai encore longtemps. Mais ne vous en faites pas, vous avez encore beaucoup de temps à vivre, et comme je sais que vous refusez, comme je vous l’ai proposé, de vous fiancer avec une autre, vous m’attendrez.
Pour conclure cette lettre, que je sais que vous lirez près de notre fenêtre, sûrement avec Eleanora qu’à la vue d’une lettre de ma part vous aurez fait venir, le soleil illuminant les cheveux noirs que j’ébourrifais en riant, le sourire mystérieux que j’aime tant aux lèvres, j’ajouterais ces quelques mots que j’ai lu dans un recueil, recueil que j’ai trouvé dans la bibliothèque d’un ami :
“Est-ce mon corps seulement que vous voulez, ou plutôt n'est-ce pas mon âme ?
Et ne dites-vous pas que votre droit dans mon cœur au-delà des choses sensibles,
Est ce lieu où le temps ne sert pas et où la séparation est impossible ?
Ce qui n'était que l'appétit naïf est devenu maintenant l'étude, et le choix libre, et l'honneur, et le serment et la volonté raisonnable,
Ce baiser pendant que l'esprit dort, à sa place voici le long désir insatiable,
D'un paradis si difficile qui manque, que tout l'être y soit intéressé
Ce n'est point dans le hasard que je vous aime, mais dans la justice et la nécessité…”
Je sais que vous savez combien j’affectionne la poésie, et je sais qu’en lisant ces vers vous aurez pensé à quand nous étions enfants, vous aurez pensé à nous. Et cela ne fait que m’emplir d’encore plus de joie que j’en éprouve. Alors je finis donc cette lettre ici, en vous adressant mon amitié la plus sincère et mon affection la plus désintéressée.
Votre amie et promise, Avalyn.
La grise plia ce qu’elle venait d’écrire, la mit dans une enveloppe et la posa sur le secrétaire. Elle ne ressentait le besoin de s’endormir. Et l’observatoire, là-haut, lui permettant de voir les aurores, lui permettant de voir le ciel...alors elle se leva, et toqua à la porte de la chambre d’Oriana. Les observer avec elle serait bien mieux que de le faire seule. Même si cela avait une certaine poésie, d’être seule à observer les étoiles, là-haut, seule sous les aurores, seule à observer un univers de là-haut. Cela avait une certaine poésie, cela était une chose belle que de pouvoir l’apprécier en silence, seule, seule à observer un monde endormi.
Seulement, tisser des liens avec Gaël et Oriana lui semblait tout aussi important. Et puis, eux aussi pourraient alors profiter de ce spectacle. Partager un si beau moment, un fragment de mémoire, était quelque chose d’aussi superbe.
La jeune femme l’autorisa à entrer, et Avalyn, lui souriant doucement, se lança, la trouvant en train de lire le livre qu’elle avait réussi à obtenir.
“
Bonsoir, Oriana. Je voulais vous proposer d’aller observer les étoiles avec moi, et éventuellement Gaël s’il accepte. Êtes-vous partante ?” demanda-t-elle.
Tout reposait sur les épaules de la jeune femme maintenant. Elle hocha la tête, et fermant son livre elle se leva pour suivre la sindel vers la chambre de Gaël où elles toquèrent pour finalement entrer et demander au milicien si il voulait y aller avec elles.
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