Inscription: Mer 27 Oct 2010 20:28 Messages: 6658 Localisation: :DDD
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Le cri laissa place à la vue d'un colosse. Au début, personne n'était sûr de la nature de ce qui se profilait à l'horizon, devant leurs yeux. Les hommes voyaient juste un pic parmi tant d'autres, mais un pic qui semblait vivant, car il avait l'air, au fil des minutes, de se rapprocher plus près d'un autre pic et de s'éloigner d'un autre pour ensuite faire le trajet inverse. Les plus avisés remarquèrent que la montagne paraissait gagner en taille et en volume. Seul Heartless avait la claire conviction que quelque chose d'immense venait d'au-delà de la montagne, et envahissait peu à peu l'entrée de la ville, ou plutôt la sortie, car derrière les grandes portes, il y avait les montagnes, et plus loin encore, la civilisation, la vraie, celle qui bouge. Puis quelque chose brisa les nuages, un bref scintillement dans les cieux, puis une gerbe de sang éclaboussa le visage du capitaine. Le borgne trébucha et tomba en arrière, alors que son œil contemplait la preuve irréfutable d'à la fois sa malédiction et son incompétence. Un homme devant lui avait la gorge transpercée de part en part par un pieu, non de bois, mais de roche, claire, un morceau de montagne qui fut autrefois si proche du ciel qu'il aurait pu admirer les dieux. Ce pieu aiguisé par les siècles retomba comme un châtiment sur un homme, au hasard, celui qui était le plus proche d'Heartless. L'homme se tint debout avec un pic en travers de la gorge pendant quelques secondes, essaya de parler une dernière fois, échoua et mourut.
Heartless réalisa à quel point il était jeune capitaine, car bien inexpérimenté était celui qui n'avait jamais vu un de ses propres hommes mourir, le regard suppliant. On n'en parlait pas dans les contes, mais la vie répétait inlassablement cette ire cruelle du sang et du trépas des hommes, du fil vital coupé inopinément, de la tête des puissants que Zewen contemple et laisse choir. Il réalisa aussi que, malgré que chaque malheur lui était prédit à l'avance, il ne pourrait en empêcher aucun. Les sirènes n'étaient qu'un apéritif, un test. Ce qui avait enjambé la muraille blanche et posé son pied entre les maisons, c'était le plat de résistance. Le premier mot joignit au geste mu par l'effroi et la lâcheté de l'homme qui s'attirait le mépris des dieux.
- FUYEZ !
Mais c'était impossible, les hommes partirent en courant, mais chaque pas affolé qu'ils faisaient les éloignaient un peu plus de la seule issue possible qui se trouvait derrière le géant. Personne n'osait poser ses yeux sur lui, de crainte de perdre leur élan. Heartless devançait le groupe, de tous, il était le plus effrayé car, bien qu'il n'avait d'autre preuve qu'une malédiction méconnue, il percevait cette attaque comme un jugement divin. Or, les dieux ne s’embarrasseraient pas tant pour un petit pirate comme lui, Heartless s'accordait trop d'importance, encore.
Ce fut alors qu'il courait pour sa vie qu'Heartless fit le premier pas vers autre chose. Un éclair intérieur le parcourut et il s'arrêta convulsivement pour jeter un coup d’œil aux pieds massifs du titan, il voyait un deuxième corps allongé, baigné dans une mare de sang, et un troisième, encore palpitant, rampant : Tal'Aer. Sirius se laissa doubler par tout son équipage alors que tout son être tremblait. Il fit face au géant.
Celui-ci s'était immobilisé presque en même temps qu'Heartless. Il tenait sur deux jambes mais semblait taillé dans la paroi des Monts Eternels. Il n'avait ni yeux, ni bouche, ni nez, ni oreilles, pas de visage et presque pas de tête. Juste une bosse parsemée de pics entre deux épaules obtues. Ses bras étaient des massues capables d'écraser un homme. Il ne ressemblait à rien de vivant mais agissait comme un animal, non, pas un animal. Les bêtes n'ont pas de but, cette chose en avait un : écraser Sirius Heartless. Il ne se nourrissait pas, ne buvait pas, ne respirait pas, il n'avait qu'une seule raison de faire bouger son corps et c'était l'extermination de la vermine borgne.
Pendant ce temps, Heartless restait planté devant cette imposante statue mouvante, dont la taille rivalisait avec celle du temple de Yuia qu'il frôlait du bras gauche en prenant grand soin de ne pas le toucher. En vérité, tout était figé. Les hommes d'équipage, Eliwin le premier, étaient inquiets de voir leur capitaine s'exposer ainsi au danger, et le brave Eliwin savait que son chef s'était arrêté pour Tal'Aer. Était-ce par pure, folie, héroïsme, ou parce qu'il ne voulait tout simplement pas perdre son précieux colis qui lui apporterait la richesse ?
Le monde resta immobile pendant deux minutes. Le silence pesant et meurtrier contraignit Eliwin a lancer un désespéré :
- Reviens, Heartless !!
Ce cri rompit le calme qui s'était installé et soudain, le temps reprit son cours. Le son avait alors plus d'importance que la parole, tout le monde avait entendu Eliwin mais personne ne l'écoutait.
Alors le colosse commença à lever son imposante massue droite, et Heartless se rua sur lui avec un cri de rage. Hors de question d'agir comme ça, se disait-il. Hors de question de fuir et laisser ce jeune garçon à son destin alors qu'il n'avait pas pu empêcher la mort de deux de ses hommes. Il plaça tous ses espoirs dans la sauvegarde d'un être qui lui était étranger, aurait-il été un animal, il était une vie, un espoir. Heartless oubliait presque pendant sa course effrénée qu'il allait sauver Tal'Aer, il courait pour aller chercher ce petit espoir, désespérément. Il évita avec une adresse féline les stalactites géante lancées sur son chemin, même la massue du géant n'eut pas raison de lui. Elle s’abattit sur l'allée, secoua les entrailles de la terre, souleva un nuage de poussière neigeuse duquel émergea la silhouette furieuse du capitaine. Il profita de la lenteur de géant pour secourir le jeune aéromancien que ses jambes ne portaient plus, il tenta de le soulever pour le mettre sur son dos. Bien que son fardeau était léger, il était difficile de prendre un corps inanimé sur le sol et le hisser jusqu'à ses épaules.
Alors qu'il s'exécutait, l'homme-montagne leva le pied gauche pour l'écraser une bonne fois pour toutes, ce qui le fit continuer sa tâche avec davantage d'empressement. Puis la neige se souleva encore une fois sous le coup destructeur. L'équipage était médusé, on n'avait pas la certitude que les deux autres avaient survécu à ce fracas. Heureusement, c'était le cas, Heartless avait eu le temps d'emmener Tal'Aer avec lui dans une des maisons et de se cacher un instant du monstre. Bien que soufflés par le coup, ils n'avaient aucune égratignure. Heartless se releva, dépoussiéra son manteau et essaya de reprendre son souffle. Mais il n'en eut guère le temps, le plafond pliait déjà sous les coups furieux du mont vivant. Les premiers débris tombèrent, Sirius eut à peine le temps de monter son protégé sur son dos et se remettre à courir alors que la maison s'écroulait pas à-coups. Enjambant des pierres, enfonçant des portes, trompant la mort, le borgne courait sans défaillir, bien que parfois, il lui venait l'envie de se laisser choir. Il hurlait alors "Courage ! Courage !", des mots qu'il lançait au hasard, à lui-même, ou à Tal'Aer. Lorsque, enfin, ils sortirent de la maison en ruine, ils se retrouvèrent sur la même allée, toujours en face du géant qui les poursuivait sans relâche. Heartless tenta de trouver une ouverture pour s'échapper mais un pied rocheux s'abattit pour lui barrer la route, coincé entre les ruines de leur ancien abri et le prédateur de pierre, les fuyards étaient perdus. Sirius recula le plus possible jusqu'à se retrouver dos au mur d'un bâtiment adjacent.
La montagne leva son bras vengeur dans un cri strident provenu de ses artères rocailleuses et Heartless se dit enfin qu'il n'y avait plus d'espoir. Mais le bras ne tomba pas, le géant n'osait plus frapper le moindre coup. La raison de cet immobilisme était obscur jusqu'à ce qu'Heartless se retourne pour constater qu'il touchait la paroi d'une de ces statues humaines, rares par cette allée. Il vit cette femme qui les englobait involontairement de son aura de fraîcheur. Et il comprit.
Un sourire se dessina sur son visage, le sourire narquois habituel, mais bien plus bref. En effet, lui succéda un regard qui était étranger à Sirius, à la fois déterminé et perdu dans le néant. Il souffla et posa doucement Tal'Aer près de la statue qui le protégeait de sa froide aura, puis il s'engagea, seul, dans l'allée, d'un pas décidé.
- A nous deux, tête d'enclume !
Il sortit son sabre d'abordage et se mit en garde, bien qu'il savait que c'était inutile, il désirait montrer ses intentions belliqueuses à l'ogre de pierre. La masse tant attendue s'éleva dans les airs et se prépara à fendre les nuages pour s'abattre sur le capitaine, mais s'arrêta soudainement, sans raison. Les cris d'alarme des matelots succédèrent à un silence de stupeur générale, la main non-armée du borgne avait commencé à geler, et la glace s'emparait peu à peu de son corps, remontant son épaule, effleurant sa nuque. Le sourire narquois reparut un instant, une dernière fois avant que le corps d'Heartless fut entièrement pris dans la froide étreinte de la déesse Yuia. Le géant cessa de bouger et resta dans sa position oppressante, le bras en l'air, attendant le moindre signe de vie de sa proie. Mais il n'y avait plus de signe de vie, Heartless s'était statufié en face de son juge. Les deux adversaires faisaient désormais, pour ainsi dire, partie de la ville.
Les deux poings fermés, les jambes en retrait, le regard infaillible et le sourire qui narguait son bourreau, Heartless était comme gelé en mouvement, prêt à fondre sur la masse rocailleuse, mais il n'en était rien, son cœur ne battait plus et sa peau brillait d'une splendeur cristalline semblable à celle des autres Nosvériens. Son manteau de capitaine semblait flotter au gré du vent qui ne l'affectait guère plus. Il était devenu impassible, immobile, intemporel. Heartless s'était sacrifié.
Son équipage accourut quelques minutes après, craintifs du colosse, et sur cette scène se mêlèrent pleurs et questions. Eliwin porta secours à Tal'Aer, bien qu'il était encore étourdi par cette brusque et incompréhensible tragédie. Il était secondé par Mazhui. Dans un moment de détresse, alors qu'il aidait le jeune homme à se relever, il demanda :
- Comment ? Pourquoi ? ....
- Voilà comment. répondit Mazhui, en désignant la statue qui avait perdu son annulaire à la main droite.
Les lamentations continuèrent pendant une heure, puis, ne pouvant rien faire pour leur capitaine, les marins se résolurent à partir en empruntant le passage qu'il avait ouvert pour eux, entre les jambes du titan. Sur la route, l'ingénieux Mazhui, qui venait de comprendre, expliqua à ses compagnons :
- Cela fait partie de la malédiction de dame Yuia sculpte-glace. J'ai remarqué que les animaux sauvages des environs ne s'approchaient jamais des statues, et je sais pourquoi maintenant. Pour garder ses habitants intacts, elle dirige sa malédiction vers tous ceux qui attaquent une de ses statues, et les agresseurs partagent le sort de la cité. C'est pour cette raison que le géant de pierre prenait garde à ne pas toucher au temple de Yuia et à ne pas briser les statues dans cette allée quasi déserte. Heartless a dû le comprendre et a détourné la malédiction pour se figer lui-même en volant le doigt d'une des statues. Comme la malédiction qui avait attiré le géant provenait de lui, il savait que le monstre cesserait d'agir une fois qu'il serait neutralisé, et son plan a marché. Et pourquoi a-t-il fait ça ? A mon avis, il l'a fait pour protéger le mage.
- Non, ça lui ressemble pas. Je dirais... ça doit être la première fois qu'il guide ses hommes à la mort. A mon avis, il a voulu se racheter, et sauver l'équipage par la même occasion. C'était un... bon capitaine. C'est... dommage que...
- Nul besoin de pleurer, Heartless n'est pas mort. Il s'est plongé dans un sommeil semblable à la mort.
- Mais c'est injuste... c'est...
Alors que le groupe continuait sa marche, Mazhui lança, sûr de lui, à la surprise générale.
- Pas d'inquiétude, il reviendra. C'est plus que certain.
....
Le scepticisme défaitiste dont faisaient preuve les autres marins témoignaient de leur attachement à ce jeune capitaine peu commun. Mais Mazhui avait pourtant raison, car, lors d'une courte période appelée le Hïenbless, les habitants de Nosvéria revenaient à la vie pendant une journée, tous les six mois. Le prochain Hïenbless était proche, et Heartless reviendrait, ce n'était qu'une affaire de semaines...[[[ Pour la suite, je vous guide avec mes PNJs, surtout Eliwin, donc traitez ce dernier comme si c'était un PJ. Je reprendrais bientôt Heartless, je vais voir si je peux effectuer un dirigé onirique avec un GM ]]]
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Dernière édition par Heartless le Sam 18 Aoû 2012 16:58, édité 1 fois.
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