Shara est comme, pour reprendre une comparaison vieille comme le monde, mais dont la poésie s'applique à merveille ici, une rose. Une rose voluptueuse aux effluves envoûtants, se parant de mille déclinaisons de couleurs selon son humeur, et dont la beauté n'a d'égale que son farouche piquant. En pleine jeunesse, elle jouit d'une plastique à la fois ferme et harmonieuse. La rigoureuse discipline de vie à laquelle elle a été soumise durant son enfance à la Sororité a rendu son corps de jeune femme musclé et robuste, sans pourtant en altérer la grâce. Son mètre quatre-vingt lui permet de toiser la plupart des autres femmes, et de regarder bien en face les hommes, bien qu'elle n'en ait encore jamais croisé. Tout, dans sa posture, témoigne de son caractère intrépide: un port droit, un menton relevé, une démarche fluide qui semble impossible à stopper une fois qu'elle est lancée, et surtout un regard froid et implacable, vrillant douloureusement tout ce qui ose croiser son chemin. Mais laissons-là les piquants pour revenir à la corolle de notre rose, et quelle corolle! Deux grands yeux bleux, enchassés dans de sombres orbites, tranchent avec splendeur sur la pâleur de sa peau, tel le saphir incrusté dans l'or blanc. Son visage a su garder des courbes enfantines qui rendent ses rares moues irrésistibles. Cependant l'expression qu'elle affiche le plus souvent est la neutralité froide, ses lèvres fines scellées à tout jamais semble-t-il.

La personnalité de Shara est à l'image de son apparence: intrépide et dangereuse. Nulle beauté ici. La jeune humaine possède une volonté de fer, mise au service d'un machiavélisme total. Si elle veut quelque chose, elle se donnera les moyens de l'obtenir, ne faisant aucun cas de la morale ou des coutumes. C'est ce qu'on lui a appris chez les Soeurs. Etre forte pour exister. Shara ne renâclera donc pas à tuer, torturer, voler ou bien séduire, du moment que cela sert son intérêt. Elle vous serrera dans ses bras avec la même détermination qu'elle vous tranchera la jugulaire. Etre forte, voilà ce qui importe. Elle n'a pas réellement de but transcendant à poursuivre, si ce n'est une soif de puissance quasi intarissable. C'est pour cela que depuis son enfance, elle est une des apprenties Soeurs les plus assidues. Grâce à des années d'entraînement, elle sait manier aussi bien l'arme blanche que la magie noire. Manier les fluides des dieux de la mort ne la gêne aucunement, car elle est totalement détachée des croyances religieuses. Sa magie est une source de puissance, voilà tout, et si un quelconque dieu noir veut prendre possession d'elle, eh bien grand bien lui fasse. Elle n'a guère de rapport avec les autres, étant très solitaire. Elle rit rarement. Enfin, seule l'obscurité lui permet de se sentir réellement à son aise. Ce qui rend notre rose d'autant plus piquante la nuit.

Comme beaucoup de Soeurs, Shara est une orpheline qui a été trouvée un soir à la porte du domaine de Selhinae. Son enfance fut scellée à partir de cet instant. Elle vécut ses premières années dans les bras d'une Soeur nommée Ylira, qui gardait un instinct maternel fort tout en étant une impitoyable combattante. Après sept années de doux bonheur dans les jupons d'Ylira, l'instruction de Shara commença. Dispensé par d'autres Soeurs, son savoir sur le monde, l'Au-Dehors, prit de l'importance, et elle suivit peu à peu un entraînement au combat. Au fur et à mesure des années, elle perfectionna sa manière de combattre, étant étrangement habile dans le maniement de la faux. Même si elle restait imperméable aux enseignements religieux, la magie la passionnait, car elle la considérait comme une forme de pouvoir absolu. Quelle ne fut pas sa joie lorsqu'elle découvrit son affinité avec les fluides de l'obscurité! Elle en sourit pendant une minute entière. Certainement son plus long sourire. Des soeurs se chargèrent alors de lui inculquer les rudiments de la magie, leçons dans lesquelles elle s'investissait corps et âme. Durant ces années, elle ne lia presque aucun lien avec d'autres Soeurs. Elle s'entraînait seule, souvent la nuit, et ne parlait guère. Ses seuls fugitifs sourires allaient à sa mère d'adoption, lorsqu'elles se croisaient. Sa chaleur humaine s'arrêtait là. Shara, à l'aube de sa vingt-sixième année, était devenue une Soeur à part entière: implacable, redoutable, et aussi belle que tranchante.