La maison, construite entièrement en pierre, présentait trois étages. Le toit était plat et trois cheminées en dépassaient. Elle était entourée de tous les côtés de jardins, sur une cinquantaine de mètres, eux même entourés d'un haut mur d'enceinte.
(Personne, sonnons.) « Ah! A l'aide! Aidez-moi! » Cantemort se mit à crier et à geindre, feignant de s'être tordu la cheville.
(Cadrons-nous, point trop fou et tout mou.) Un jeune homme à l'air idiot arriva en courant et cria en voyant Cantemort.
(Sans doute le jardinier.) Un autre domestique, tout en muscles, arriva avec un chandelier, duquel il menaça Cantemort. Il portait un superbe costume de lin et un trousseau garnit de nombreuses clefs pendait à sa ceinture.
« T'es qui toi? Qu'est-ce que tu fout là? » Une vieille dame arriva à son tour et regarda Cantemort d'un air mauvais.
(Le majordome et la bonne, oh bonheur!) « Eh bien monsieur, voyez-vous je me produisais dans une rue non loin lorsque des voyous m'ont demandé fort grossièrement de partir. J'ai bien entendu refusé et ils ont alors voulu m'agresser. Je me suis enfui à travers le quartier et il m'est apparu qu'ils ne me suivraient pas dans l'une de ces magnifiques maisons. J'ai donc du escalader votre mur comme un voleur. J'en suis navré. Et je crois d'ailleurs m'être brisé la cheville._C'est quoi ce costume?
_Ma foi je suis l'instigateur de moult spectacles. Voyez-vous j'aime divertir le peuple par de splendides prestations._Et vous seriez qui exactement? demanda le majordome nullement convaincu.
_J'ai l'honneur de porter le nom de Gontran de Graillasse. » Le majordome eut un mouvement de recul et sembla réfléchir quelques secondes. Puis il tendit la main à Cantemort pour l'aider à se lever.
(Comme toujours, bel amour, un nom noble fait bien peur. Ils n'ont plus droit à l'erreur.) En effet, malgré le peu de crédibilité qu'il donnait a l'histoire de Cantemort, le majordome n'aurait en aucun cas joué sa place sur cela. Il se contenta donc d'un commentaire poli avant de faire entrer le prétendu noble, qui boitait outrageusement, dans la maison.
En entrant, Cantemort découvrit un grand hall, sur les côtés duquel partaient plusieurs couloirs. Un escalier conduisait en outre à un corridor qui faisait le tour du hall. De nombreuses portes accédaient à ce corridor.
« Désirez-vous boire quelque chose monsieur? »
Cantemort était aux anges.
(Ce nabot mielleux vaut mieux que sa coiffe fort mal ordonnée. D'ailleurs l'ordonnance recommande les grenouilles à diner, n'est-ce pas?) « Je souhaite avant tout savoir à qui appartient la maison dans laquelle je me trouve._Oh naturellement! Vous êtes dans la demeure de Gontran Thal, marchand de son état.
_Merveilleux, il porte le même nom que moi! N'est-ce pas une magnifique coïncidence?_Si monsieur. Sans aucun doute. »
Puis le majordome demanda de quoi bander la cheville de leur illustre invité à la bonne. Cantemort ajouta à cela de quoi le sustenter et la bonne s'en fut. Elle revint quelques minutes plus tard avec un plateau de fromage avec du pain ainsi que des bandes. Le majordome conduisit Cantemort dans un petit salon richement meublé et le fit assoir sur un confortable fauteuil. Puis il entreprit de bander le pied de Cantemort. Celui-ci se laissa faire et dégusta son repas avec appétit.
« Votre maître n'est pas ici?_Notre maître est très pieu, il se rend tous les jours au temple pour prier Zewen.
_Zewen? _Oui, notre maître considère que c'est de lui qu'il tire sa fortune.
_Et à quelle heure rentre-t-il? Je souhaite tout de même le voir._Eh bien, il est partit il y a environ une heure. Il ne sera pas de retour avant deux bonnes heures.
_Oh! Je crois que je ne pourrais pas l'attendre. Transmettez lui mes salutations et mes remerciements._Ce sera fait monsieur.
_J'ai pu également remarquer que les jardins sont très bien tenus. Votre maître entretient un jardinier?_Oui, encore qu'il ne l'entretienne pas vraiment. A part moi aucun des domestiques n'habite ici.
_Vraiment? Mais alors ils doivent venir tous les jours?_Pour la bonne oui. Mais elle y tient. Le jardinier c'est différent, il vient tous les trois jours et reste deux jours le temps de s'occuper de tout.
_Oh je vois! En tout cas merci pour ce repas. Je dois partir. » Le majordome raccompagna Cantemort au portail. Avant de partir, celui-ci dit :
« Je passerais un jour prochain, je tiens à remercier votre maître en personne._Fort bien monsieur.
_Et vous devriez inviter des grenouilles à diner, c'est très bon pour l'ordonnance._Euh... Oui... Je n'y manquerais pas. Au revoir monsieur. »
Mais Cantemort était déjà parti à travers les rues, sous le soleil déclinant.
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