Et les hommes sauvages difformes de Vallel répondent à mon appel. De leur voix gutturale, ils poussent un vaillant cri de guerre commun et je sens leur courage et leur conviction à vaincre ces ennemis ancestraux inonder mon être. Je resserre la prise sur mes armes, les dents dans ma bouche, et je réalise une attaque rotative pour tenter de tenir à distance les monstres qui m’entourent. Au moins le temps de l’arrivée de mes alliés, qui ne tardent d’ailleurs pas à débouler sur le terrain de bataille armes à la main, bondissant comme de joyeux drilles pour défoncer les lézards quadrupèdes. Fléau les accompagne, usant de sa magie aérienne pour souffler la peur sur ces créatures au sang-froid.
Le vent jouera en notre faveur durant cette bataille. A moi de tenir compte de ses courants pour favoriser mes passes d’armes. Car je le sais, cette bataille sera rude, quoi qu’on fasse. Les ennemis que nous affrontons sont résistants et forts. Sans parler de leur pouvoir paralysant…
(Nous devons les vaincre avant d’être entièrement transformés en pierre…)
C’est une nécessité absolue. Ce combat devra être rapide, preste, sinon ils n’auront plus qu’à briser la pierre formée par nos êtres pour nous réduire en poussière à jamais. Et ça, je m’y refuse. Je n’ai pas parcouru tant de chemin pour finir écrasé par une patte de lézard carnivore. Par chance, les sauriens perçoivent la menace de mes compagnons, et me lâchent un peu la grappe. Ainsi, seuls trois restent auprès de moi. Le blessé, et deux de ses congénères, hargneux et grognant.
Et là, je me rappelle que si l’air est de notre côté, il n’en est rien de la terre, qui se remet à trembler sous les pieds de mes alliés, qui crient de peur autant que de douleur. Mais leur courage est sans faille, et maintenant qu’ils sont dans le combat, aucun n’est prêt à abandonner sa tribu aux griffes de ces monstres. Ils renchainent de plus belle avec des cris guerriers, et le fracas de la mêlée résonne dans la forêt, les sont des armes et des crocs s’entrechoquant disparaissant entre les arbres.
De mon côté, la tactique que j’ai choisie semble logique : rester le plus mobile possible. Le plus en l’air possible. Leurs attaques magiques sont ciblées sur le sol, et celui-ci n’accueille que trop peu de temps mon corps pour qu’ils puissent les concentrer réellement. Bondissant, je frappe à nouveau celui que j’ai blessé, sautant sur son dos tout en enfonçant mes deux lames d’un estoc puissant dans sa nuque. Mais mon bras s’ankylose toujours autant, et si j’ai prévu de retirer au plus vite mes armes de la plaie de ce cadavre naissant, mon bras gauche refuse temporairement de m’obéir. Ou en tout cas pas avec la prestance requise. Ma main se crispe davantage sur mon arme, comme une crampe terrible et douloureuse. Je grimace, mais au moins j’ai tué un de mes ennemis. Et les deux autres me regardent d’un air mauvais, de leurs petits yeux luisants.
Je décide de bondir sur celui de gauche, mais il me voit venir et esquive mon attaque en feulant sordidement. La réplique se fait rapidement sentir, et son voisin m’envoie un coup de queue sur la cuisse, fouettant mes chairs douloureusement. Je me retourne prestement pour lui envoyer un coup de rapière dans la gueule, qui se met à saigner, le faisant reculer pendant que le premier me reprend pour cible. Je veux éviter son attaque mais je sens ma jambe droite s’immobiliser, comme prisonnière d’une gangue de pierre.
(Non !)
Le saurien me bondit dessus et je place mon corps en bouclier, ce corps refusant de me donner pleine possession de ma propre jambe. En avant, elle subit les foudres de l’attaque de mon ennemi, qui en déchire les chairs pétrifiées de ses crocs acérés. Je grogne à mon tour de douleur, mais aussi de soulagement… Son attaque vient de me libérer de la paralysie. Et je roule vers l’avant pendant que mes deux ennemis se préparent à nouveau à lancer une attaque sur moi.
D’un regard d’horizon, je perçois la bataille. Le sang des uns, les cris des autres. Deux guerriers de Vallel sont totalement paralysés, et les autres se battent avec acharnement. Je croise un instant le regard sans vie du vieillard qui hésitait à déplacer sa vieille carcasse ridée. Des marques de crocs barrent son cou en de sanglantes striures. Mais il n’est guère temps de bailler aux corneilles, le combat m’appelle. Et mes ennemis me le rappellent sans peine en fonçant sur moi tous les deux. J’esquive leur attaque en bondissant sur leur tête plate de chacun de mes pieds, pour finalement me retrouver derrière eux, à volter sur moi-même pour leur assener un coup chacun, de la pointe de mes armes. Mais mon bras gauche ne m’obéit bientôt plus. Prisonnier de leur pouvoir, je ne peux plus bouger la main, le coude ou même l’épaule. Alors, l’arme métamorphe que je tiens, je décide de la modeler sous la forme d’un bouclier. De toute façon je ne peux plus m’en servir… Autant qu’elle soit un peu utile…
Mais contre ces créatures, un bouclier est une protection bien illusoire… De ma rapière, je frappe le premier qui se retourne juste entre les deux yeux. Son cerveau minuscule est transpercé sur le coup, et il s’affaisse sur le sol, comme s’il louchait sur le flot rougeâtre lui dégoulinant sur la gueule. Je n’ai plus qu’un ennemi, mais bien qu’il soit blessé, il me semble plus gros, plus moche et plus résistant que ses congénères. Le combat commence à battre de l’aile, et j’entends les guerriers mes alliés se masser autour des deux derniers survivants des sauriens. Fléau, je l’aperçois du coin de l’œil, ne se bat plus. Deux cadavres à ses pieds témoignent de sa participation, mais d’une main, la seule qu’il a de valable, il tient son visage, apparemment figé. Un visage pétrifié dans l’horreur d’une grimace crispée. Je sens la haine monter en moi, grandir et je la laisse se déverser dans mon arme…
« Saloperies de lézards !!! »
Mon bras valide ne cherche désormais plus la finesse ou l’esquive. Je martèle de coups mon adversaire, qui devant tant de haine ne peut que ployer. Sur la défensive, il ne peut que subir la pluie de mes coups, évitant certains, parant d’autres de sa carapace d’écailles… Mais devant tant de haine, que peut la vie ? Il finit par périr, percé de nombreuses plaies. Sa bouche relâche son dernier souffle, rauque et long… Mettant un point final à ce combat rude et épuisant.
Je tombe un genou en terre, et regarde autour de moi. Tous les chiens de Sisstar ont été vaincus. C’est une victoire, oui, mais à quel prix pour ce peuple de Vallel. En un sens, c’était mon but… Me servir de deux peuples ennemis pour réduire leurs effectifs communs afin de réduire la menace planant sur moi et mes compagnons de l’aynore. Moi et Fléau, présentement, puisque les autres ne m’ont pas suivi. Mais j’ai du mal à les considérer comme des ennemis alors qu’ils se sont si vaillamment battus. Ainsi, le décompte est fait : dix lézards morts. Trois guerriers morts, deux entièrement statufiés, et les autres pas mal abîmés, soit blessés soit partiellement paralysés, comme moi et mon ami sindel. Seul l’un d’eux, un jeune vaillant guerrier armé de sa lance ensanglantée, est totalement indemne. Je me tourne vers lui.
« Je… je crois que leurs morsures annulent les pétrifications. Aide les tiens, guerrier. »
Si j’en crois ce qui s’est passé pendant la bataille, c’est en me mordant que ma jambe s’est libérée de la paralysie. Aussi, à croupis, je me penche sur la gueule de mon ennemi mort et insère mon bras paralysé entre ses crocs… Et de ma main valide, j’appuie sur le haut de sa tête, espérant désintégrer cette pétrification sans devoir me blesser… Et espérant également que ça marche, tout simplement. Je ne vois même pas arriver une silhouette familière, un peu plus bas dans les bois…
_________________
|