Rien. Ce cadavre n’est qu’un résidu de ce qu’il avait pu être. Un tas de cendres en devenir, des ossements et chairs carbonisés sans plus d’indice sur son origine, son individualité. De son équipement, brûlé ou fondu, seules persistent des pièces d’armure noircies. Un guerrier, sans doute. Peut-être un puissant aventurier aux muscles saillants et à l’expérience renommée… Si lui avait échoué, comment pourrais-je y parvenir, moi, simple chasseuse et fille de marchand. Je n’avais, dans mon existence, tué qu’un homme, en plus de mes proies animales… Mais là, c’est un tout autre défi : un monstre magique, un élémentaire, un être dont je ne connais rien. Pas même si je peux le blesser.
Et je ne peux me risquer de tenter l’impossible, là où un guerrier expérimenté s’est fait griller comme une côtelette restée trop longtemps sur le feu. Je dois faire en sorte de le contourner… Et d’offrir une chance aux deux êtres qui m’accompagnent de s’en sortir en vie. Et pour ça, je ne vois qu’une solution : me mettre encore plus en danger. Leur offrir une chance, contre le risque de perdre ma vie. J’ignore si mon raisonnement a quoique ce soit de logique, mais je sais que c’est ce que je dois faire. Ce que je veux faire. Je ne considère pas ça comme un geste héroïque, comme un sacrifice… Juste la seule solution plausible pour que le maximum de personnes survivent.
Je souffle longuement, dégageant tout l’air de mes poumons, avant d’inspirer lentement, les emplissant à nouveau de cet air sec et brûlant, m’asséchant la gorge et la langue. Le monstre leur barre la route, mais plus pour longtemps. Au cœur de ma passe, je peux leur offrir une sortie de secours assurée, en détournant l’attention de la flamme géante sur moi. Je m’avance un peu vers la chaleur de l’être, qui n’est plus dans mon visuel depuis quelques minutes, mais qui n’a guère bougé, je le sais… La chaleur qu’il dégage est toujours aussi pesante, omniprésente. Alors, sans réfléchir plus, je hurle… je crie une provocation, tant pour l’attirer que pour prévenir mes deux comparses… J’espère qu’ils saisiront l’occasion, et fuiront pendant que j’ai l’attention de la créature…
« Hé, vieux truc brulant, ramène-toi, si t’es une flamme ! »
Un grondement sinistre envahit l’atmosphère, et je sens la chaleur soudainement se rapprocher.
« Ça marche… »
Ce murmure à moi-même, plein d’autosatisfaction, est de suite suivi d’une petite panique soudaine. Celle que l’on ressent en ayant fait une grosse bêtise, et en s’en rendant seulement compte. Le monstre arrive, bien entendu, vers moi… Et je suis coincée dans une impasse. Je cours droit à la mort. Et la chaleur, suffocante, est de plus en plus présente. Il arrive…
Mon souffle est court, et mes yeux verts balaient le paysage qui m’entoure. Vais-je vraiment crever là, dans ce lieu dont je ne connais rien, pour sauver des bêtes que je n’ai jamais vues ? La lueur des flammes, même en plein jour, s’approche de plus en plus. Bientôt, il pourra me voir et là… Là tout sera fini. Alors, dans un dernier espoir de sauvegarde, je me jette sur le sol rocheux, sur le côté de la passe. Et je me remue dans la poussière et la cendre, jusqu’à m’en recouvrir partiellement… Il n’y en a pas suffisamment pour m’y enterrer totalement, et je n’en ai de toute façon guère le temps. Enroulée dans ma cape de fourrure, plus chaude que jamais, et imprégnée de poussière, j’espère passer inaperçue… Au moins un peu.
Et la Flamme arrive. Ses pas sont lents, calculés. Il connait l’endroit, il sait que celui qui a osé proférer une telle provocation est pris au piège, ici, et ne fera que mourir dans ses flammes, nourrissant son feu de sa chair. Sa chaleur est proche, si proche maintenant… Je transpire comme une bête, j’ai l’impression de me dessécher sur place, et pourtant je dois rester immobile, stoïque. Dans mon esprit, pourtant, tout n’est que panique. Il est là. Tout proche, juste à côté de moi. Ses yeux de feu ne m’ont apparemment pas remarquée, mais il est capable de me tuer sans même s’en rendre compte. Me faire mourir de chaud, me cuire littéralement sans que ses flammes ne m’aient même touchée.
Et je sens cette mort fatale approcher. Une larme coule de mon œil, mais s’évapore instantanément. Je vais bientôt craquer comme une vieille brindille abandonnée sur le sable d’un désert, si je reste là….
Alors, je tente le tout pour le tout. Je me déroule de ma protection, alors que le monstre est juste à côté de moi. Et aussi vite que je le peux, je tire une flèche de mon carquois, l’encoche et la tire le plus puissamment possible vers les pièces d’armure brûlées. S’il me remarque, je suis morte… Mais autant tenter, puisque je suis de toute façon condamnée. Mes pensées, pendant ce geste court, et qui me semble si long, vont d’abord vers Hawke et la petite Huguette. Je les espère en sécurité… C’est pour eux que je fais ça. Et puis vers Sihlaar, qui rirait amèrement de la situation, lui qui a toujours veillé sur moi, rattrapé mes bourdes et maladresses, maîtrisé mon empressement, ma passion… Et qui n’est pas là aujourd’hui. Mon cher frère.
La flèche vole dans les airs, et semble s’enflammer en cours de route… Comme si elle avait touché le monstre, sans même qu’il s’en rende compte. Le bruit de l’impact du métal sur le métal se fait entendre, et le monstre, qui ne m’a visiblement pas remarquée, s’affole : un son dont il n’a guère l’habitude, tout au fond de son impasse. Et soudain, il presse le pas, avide de tout cramer. De prendre une vie… Je n’attends guère plus longtemps, je ne sais que trop bien que ma petite ruse ne le leurrera pas longtemps. Alors je me redresse, sitôt le feu passé, et avec la maigre énergie qui me reste, je cours… Je cours à toute vitesse, à toute allure, pour rejoindre la rivière de lave, pour rejoindre la petite et l’elfe. Un grognement sinistre et puissant nait derrière moi : je suis repérée, et le monstre se lance à ma poursuite.
Je ne peux me retourner, je dois courir. Je ne dois qu’à la chance le fait de ne pas trébucher sur les roches et cailloux qui parsèment le val séché au sol noir. Arrivant près de la rivière de lave, je tourne à droite, vers la lumière, vers la sortie… à l’opposé de là où nous sommes entrés. Et je crie à mes comparses :
« Courez. Courez pour vos vies ! »
J’ignore s’ils m’ont entendue, je ne les vois même pas… Mais j’applique mon conseil avec ardeur. Je n’ai plus de souffle, mais je cours encore… je cours, et la flamme ne me rattrape pas… mais je cours pourtant toujours. Je ne peux plus m’arrêter. Je n’en ai pas le droit… Et la chaleur, si elle se fait progressivement moins forte, n’en bat pas moins mes tempes, détrempant mes habits de ma propre transpiration, comme si j’expulsais tout le liquide de mon corps pour vainement tenter de le rafraichir.
Et enfin, au bout de course et de souffle, épuisée, faible… Je m’effondre sur le sol, à moitié inconsciente… Mais bien vivante. Un regard vers l’arrière : la flamme n’est plus là. Restée dans son territoire, que je semble avoir quitté. La tête me tourne… Ma vision se fait trouble, alors que j’essaie de repérer l’elfe et la petite… Je suis sauve… Mais pas pour longtemps si je reste là, seule, dans cet état là.
_________________ Asterie
|