La jeune femme me propose de m'asseoir face à elle avant de répondre à mes questions. Elle semble quelque peu surprise par celles-ci et me demande pourquoi elle devrait me dévoiler les secrets de la Corporation, qu'elle connaît effectivement. Puis, comme si ça ne suffisait pas, voilà qu'elle remet en doute ma connaissance d'Amaryllis, me demandant des précisions sur celle-ci pour s'assurer que je ne me sers pas à tort du nom des Mâchefers pour obtenir ce que je veux. Je plisse les yeux, légèrement agacée.
« Elle est blonde, courtement vêtue et m'a reçu dans une maison luxueuse en ville à Illyria, » réponds-je. « On peut passer à autre chose ? »
Puis, après une courte hésitation, je continue, mettant ce chapitre de côté.
« Je me moque de connaître les secrets que chacun d'entre vous cachez, je ne suis pas venue ici pour faire de la politique. Ce que je vous demande, c'est si quelqu'un serait vraiment, vraiment capable de tout. Même de folies. Et ce devrait être quelqu'un possédant déjà des moyens importants, je suppose. »
Mais mon interlocutrice continue à douter de mon honnêteté, déclarant que je n'apporte aucune preuve de ma connaissance de la Gardienne de Nuit, dont la blondeur et le style vestimentaire sont connus de tous. Comment le saurais-je, je n'avais jamais entendu parler d'elle avant de la rencontrer ? Cette conversation m'agace déjà et je profite de la venue du chat sur mes genoux pour calmer mon énervement grandissant en grattant sa gorge, lui tirant de bruyants ronronnements. Néanmoins Cassandre répond à mon autre question, sans que ça ne m'avance à grand chose ceci dit : elle déclare qu'à part les deux rois envahisseurs, elle ne connaît personne de particulier correspondant à ma description. J'hésite quelques secondes avant de reprendre la parole. J'aimerais mettre cette suspicion derrière nous le plus rapidement possible, mais comment veut-elle que je lui prouve que je connais Amaryllis ?
« Elle... Appelle les gens « bel oiseau »... » commencé-je, hésitante. « Ou bien n'était-ce que moi. Je ne sais pas quoi vous dire d'autre qui ne serait pas de notoriété publique. Elle est jeune. Peut-être votre âge, ou à peine plus âgée. Elégante, mais je suppose que c'est une évidence. »
Je m'agace en prononçant ces mots. Jusque là, même moi je ne me convaincrais pas. Une prostituée de luxe, jeune et élégante ? Quelle étrangeté... Je me retiens de pousser un soupir avant de continuer.
« Intelligente, également, et elle semble toujours avoir quelque chose derrière la tête. Mais elle m'a paru étonnamment franche, étant donné sa fonction. Les yeux bleus, la poitrine généreuse. Hum... Vous me demandez quelque chose qui est assez difficile, même pour quelqu'un la connaissant. Je ne sais même pas ce qui est ou n'est pas de notoriété publique. »
Et comment le pourrais-je ? Je viens d'un autre monde. Mais elle doute déjà assez de moi comme cela, il ne serait pas judicieux de lui dévoiler ma provenance. A mon soulagement, cependant, elle semble me croire, affichant un léger sourire avant de me dire que c'est bon. Je soupire légèrement, heureuse d'avoir mis ça derrière nous mais toujours aussi peu avancée. Je n'ai pour le moment rien appris, et je commence à douter qu'elle puisse changer cela.
« Ceci dit si vous n'en savez pas plus ça ne m'avance pas à grand chose. J'étais entrée ici en espérant lire la culpabilité sur votre visage dès que je mentionnerais la soif de pouvoir, mais je suppose que c'est plus difficile que cela. Je ne peux même pas savoir si vous mentez bien ou êtes simplement innocente. »
Les marchands, les espions... Les citadins en général... Ils mentent tous si bien, habitués à se côtoyer tous les jours alors qu'ils se détestent secrètement. Il n'est pas difficile de jauger de la culpabilité d'un simple homme lorsque l'on parle de vol, de viol ou de meurtre. Dès que l'on s'approche de près ou de loin à des relations sociales, ceci dit, tous deviennent de parfaits acteurs de théâtre. Après un léger silence, cependant, je me décide à lui dévoiler la vérité, ou au moins une partie.
« Ceci dit peut-être que vous pourrez m'aider quand même, » déclaré-je. « Disons pour faire simple que... Qu'il y a un objet, en possession de quelqu'un de mal intentionné, vraisemblablement, qui aspire l'énergie de ce monde. Si je ne le trouve pas, Elysian risque bientôt de... Je ne sais pas trop d'ailleurs, mais mourir, c'est une certitude. »
Mais sa réponse est aussi décevante que ça à quoi je m'attendais. Elle déclare qu'elle n'a jamais entendu parler de tout cela, me regardant par la même avec des yeux suspicieux, comme si j'étais complètement folle, et qu'elle ne voyait elle qu'un monde mis en péril par deux rois fous. Je soupire de nouveau, profondément, fermant légèrement les yeux avant de les rouvrir pour regarder Cassandre avec dépit.
« Eh bien, il ne me reste plus qu'à creuser du côté de ces rois fous, je suppose. Que savez-vous sur eux ? Depuis combien de temps semblent-ils... s'agiter ? Préparer leur coup ? »
Elle reste songeuse quelques instants avant de me répondre qu'elle a des rapports inquiétants à propos des souverains depuis un peu plus d'un an, ce qui laisse imaginer qu'ils préparent cela depuis certainement un peu plus longtemps, laissant une amplitude possible de plusieurs années depuis le début de leur plan. Elle ajoute que Bellangern, le roi de Valmarin, est un dirigeant apprécié de son peuple grâce avant tout à ses talents de commerçant, tandis que Ashmane de Sihle serait un Chef de Chefs des Clans élu pour une durée déterminée et qui voudrait vraisemblablement retirer cette date limite de sa régence. Le premier était donc à la tête d'une flotte impressionnante quand le second dirigeait des guerriers hors pairs. Un duo inquiétant, donc, pour l'avenir de ce monde.
« Un an... Le déséquilibre date de quelques mois, ça colle mais je suppose que ça pourrait facilement être une coïncidence, avec de telles amplitudes, » rétorqué-je. « Est-ce qu'il y a quoique ce soit de particulier à noter chez l'un ou l'autre ? Un changement d'attitude brutal, ou quoique ce soit d'étrange ? »
J'ai du mal à croire qu'ils soient à l'origine du drain, ne serait-ce que parce qu'ils préparent un mariage entre leurs enfants, laissant imaginer une prise de pouvoir entièrement politique dont le but serait de tabler sur le long terme, perpétrer la lignée plutôt que tout consommer immédiatement pour leur propre personne. Maintenant... Savent-ils seulement à quoi sert l'artefact, s'ils l'ont en leur possession ? Ils ne savent peut-être même pas réellement ce qu'ils font avec celui-ci, peut-être en tirent-ils juste des bénéfices directs sans se poser d'autre question. Aussi, je décide de continuer de creuser dans cette direction, au moins par précaution. Et je n'en suis pas déçue, car après quelques secondes de réflexion, Cassandre me parle d'un certain Hakan, mystérieux personnage sorti visiblement de nulle part il y a quelques années et maintenant Général occupant le devant de la scène militaire de Valmarin. Mon interlocutrice est d'Arden, aussi dois-je prendre sa méconnaissance du sujet avec des pincettes... Mais un personnage inconnu au bataillon qui devient Général en l'espace d'une poignée d'années, c'est quelque chose d'assez rare pour être curieux. Surtout s'il arrive à l'exact moment où le Roi décide de comploter contre le reste du monde. Je prenais le drain et ces jeux politiques pour des coïncidences, mais l'arrivée en sus d'un personnage que personne ne semble connaître... Ca commence à faire beaucoup.
« Intéressant. Est-ce que le Roi et ce Hakan sont à Arden en ce moment ? » demandé-je, soudain intéressée par l'idée de leur rendre une petite visite.
Elle répond que le souverain de Valmarin est dans un camp en périphérie de la ville, tandis que le Général serait sur le point d'arriver par bateau, dans les jours qui suivraient.
« Je vois. Il faut que j'en apprenne plus sur ce Hakan avant qu'il n'arrive, vous savez où je pourrais trouver quelqu'un de mieux informée que vous ? »
Elle grimace. Il est selon elle très secret et elle n'a jamais réussi à en apprendre plus à son propos. Elle ajoute que les gens de Valmarin doivent probablement en savoir plus, mais qu'il serait difficile pour une étrangère de leur soutirer des informations. Elle me dit cependant qu'il existe d'autres moyens d'en savoir plus sur lui. Je fronce les sourcils.
« Si vous parlez d'espionnage, j'avais espéré que quelqu'un ait eu l'idée avant moi, justement. Surtout si, en son absence, c'est à la porte d'un roi qu'il faut que j'écoute. A moins qu'il ait d'autres proches à Arden ? D'autres gens capables d'en savoir plus à son sujet ? »
Elle me répond que les quelques espions qui ont essayé ne sont pas revenus pour dévoiler ce qu'ils avaient appris, et que ses proches à Arden sont inexistants au vu du peu de temps depuis lequel la ville est sous son joug. Je retiens un soufflement d'irritation. Qu'est-ce qu'elle veut que je fasse alors ?
« On en revient au point de départ alors : qui espérez-vous que j'espionne pour en apprendre plus sur lui ? »
Mais elle me rétorque que je me fourvoie. Elle ne parlait pas réellement d'espionnage, ou en tout cas pas dans son terme le plus formel, elle faisait plutôt allusion aux différents réseaux de prostitution de la ville, habitués dorénavant à recevoir la visite de soldats de Valmarin, qui auraient pu se montrer bavard sur l'oreiller. Je fais une moue boudeuse. Me voilà forcée de faire le tour des putes de la ville, d'autant que leurs informations ne sont pas centralisées comme à Illyria, ici.
« Ah. Les prostituées, » fais-je avec dépit. « Bon... eh bien... Je vais chercher par là alors. Je suppose que le soldat moyen de Valmarin n'a pas une solde conséquente... Où est-ce que je peux trouver la plus grande concentration de prostituées... modestes, on va dire, à Arden ? »
Il semblerait que j'ai posé la bonne question, car elle me rétorque qu'elles sont dans les quartiers Ouest, non loin des murailles et, surtout, des campements des armées envahisseuses. Elle ajoute que je devrais faire attention, car le soleil tombe déjà et que la ville est soumise à un couvre-feu.
« Ne vous en faites pas pour la discrétion... » lui fais-je en affichant un léger sourire.
Puis, après un léger silence, j'ajoute :
« Vous me prenez pour une illuminée n'est-ce pas ? »
Elle penche la tête sur le côté, un petit sourire aux lèvres, avant de l'admettre. C'est amusant. Et je suppose que c'était à prévoir, compte tenu de tout ce que je viens de dire. Mais, d'une certaine manière, ça ne fait pas mon affaire. Qui a peur d'une illuminée ? Qu'est-ce qui l'empêcherait de parler de moi aux nouvelles autorités locales, me mettant par la même en danger ? C'est une marchande après tout, et si elle ne me semble pas en accord avec les envahisseurs, si elle ne me voit que comme une folle elle ne croit pas que je puisse l'aider à s'en débarrasser. Alors... Alors pourquoi ne pas gagner quelques pièces ou un peu d'estime en parlant de moi ?
« Je crois que vous n'aimez pas beaucoup ce qu'il se passe ici, Cassandre. Mais je dois quand même m'assurer que vous ne me vendrez pas à la première occasion, » fais-je, tout à fait honnêtement.
Et je lève mon bras droit devant moi, à l'horizontale. Puis, tout naturellement, sans même y penser, j'active mon muutos, le recouvrant d'ombres, légères au vu de l'éclairage de la pièce.
« Je ne sais pas trop si pour cela je dois vous convaincre que vous êtes foutue si je n'arrête pas ce qu'il se trame... Ou vous faire comprendre ce qu'il vous en coûterait, vous, personnellement, si cela arrivait. »
A la vue du phénomène, Cassandre recule vivement dans sa chaise, les yeux écarquillés, me regardant en bafouillant un « comment ? ». Alors je dégage mes cheveux derrière mes oreilles pour laisser apparaître leur forme, pointue comme celles des elfes.
« J'ai été envoyée par les élémentaires, depuis les Crocs du Monde, » expliqué-je. « Essayez de vous souvenir de ça, si ce monde survit. Ce sera grâce à eux. »
Eux dont on se moque, eux qui composent les histoires de monstre des gens de ce monde... C'est eux qui tentent de le sauver. Alors que, encore une fois, ce sont les humains qui s'apprêtent à le détruire. J'espère que, quand tout cela sera terminé, ce chapitre aura au moins permis aux différents peuples d'Elysian de comprendre l'importance des élémentaires.
Sur ces mots, je me lève, prête à partir. Mais avant de rebrousser chemin, je sors quelques pièces d'or de ma bourse, que je pose sur le bureau.
« Autre chose. Une certaine Syrah devrait arriver d'ici peu. Dites lui de m'attendre ici s'il vous plaît. C'est pour ses consommations et sa chambre. »
Mon interlocutrice hoche la tête sans un mot, toujours choquée par ce qu'elle vient de voir, et sur ces mots je sors de la pièce en désactivant mon muutos. Je descends les marches deux à deux, traverse la salle rapidement et sors dans la rue. Direction les quartiers Ouest. En empruntant les ruelles les plus sombres et en jouant de mon muutos, en grimpant sur les toits s'il le faut, mais il me faut y arriver le plus discrètement possible. J'en ai l'habitude ceci-dit. Des années d'entraînement à traquer des proies à travers les bois de Tulorim ou des êtres humains à travers ses ruelles... Equilibre m'aura au moins appris deux choses : la discrétion et l'archerie. Alors maintenant que j'ai gagné le muutos et que je le contrôle... Arriver à l'autre bout de la ville dans l'obscurité la plus totale devrait être à ma portée, même avec un couvre-feu et des patrouilles. Une fois là-bas, alors, je chercherai les lieux les plus actifs, les tavernes les plus susceptibles d'abriter des prostituées, si leur nature de bordel n'est pas directement affichée à l'entrée. Vu l'heure, j'aurais peut-être même la chance de tomber sur des soldats en plein acte, et je n'aurai qu'à écouter aux portes plutôt que de semer un peu plus de témoins et de suspicion derrière moi en posant directement les questions. Sinon... Eh bien sinon je devrai improviser. Discuter avec les catins jusqu'à en trouver une dont le client se sera trouvé particulièrement loquace.
Un souvenir me frappe, cependant : Cromax m'a déconseillée de me balader cette nuit, car il y aurait selon lui du grabuge. Mais cela sera peut-être à mon avantage, qui sait. Cependant j'en profite pour le contacter à l'aide du pendant d'Uraj, après tout il est également à Arden et, si j'ai bien compris, sur les traces des deux rois également, il pourra peut-être m'aider.
( Cromax, ici Leykhsa. Le Général de Valmarin, Hakan, est arrivé à peu près quand le Roi a commencé à comploter. Prête l'oreille à son sujet. Et dis moi si tu en apprends plus. )
De mon côté, je partagerai mes informations avec lui dès que j'en aurai plus, de vive voix peut-être, au vu de notre proximité.
(((+2 500. Leykhsa se dirige vers l'Ouest de la ville à la recherche d'un lieu ressemblant à un bordel en activant son muutos dans les ruelles sombres et en passant par les toits lorsque c'est possible et plus discret. Elle envoie également un message à Cromax via le pendant d'Uraj.)))