Kogan a écrit:
Caabon a écrit:
A part ça, je désespère franchement à entendre la partie du monde agricole qui clame aujourd'hui sa détresse... Je comprends que les situations humaines puissent être particulièrement difficiles. En revanche, je ne partage pas du tout les analyses économiques des acteurs, et ni n'approuve les choix d'évolution qui sont exigés.
Ça fait plusieurs fois que je te vois parler de ça. J'ai un peu de mal à comprendre : tu veux dire que tu ne comprends pas les agriculteurs qui clament leur détresse ?
Avant toute chose, les paragraphes qui suivent expriment une vision personnelle, qui demande à être étoffée, affinée, appuyée, il s'agit d'une ébauche de réflexion, à prendre comme telle, qui plus est synthétisée ; je conserve une forme un peu péremptoire pour le plaisir d'écrire, et ne pas m'emcombrer après cet avant-propos de trop de précautions oratoires.
Je comprends qu'ils clament leur détresse : certains n'arrivent pas à vendre des produits à des prix qui les fasse vivre, certains sont dans une situation financière difficile, certains ne voient pas un avenir. Humainement c'est extrêmement difficile, je le conçois, je l'approuve.
En revanche, le discours majoritaire me semble porté vers : l'Etat, l'Europe, la grande distribution, les grands groupes. Comme causes de cette détresse ou solution à cette détresse.
Or, selon moi, les premiers responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent sont les agriculteurs qui aujourd'hui clament leur détresse. Et je n'en ai pas entendu un seul faire son mea-culpa depuis que les médias leur tendent des micros. Leur discours est entendable, voire émouvant, parce qu'ils se placent dans une position de victime, de producteurs, assez ambigüe. Retenez le discours, les arguments, la structure, et remplacez "agriculteurs" par "patrons", "exploitations" par "PME", et tout de suite les choses prendront une autre tournure. Une partie du secteur agricole s'est reposée sur une situation économique délétère, en constante détérioration depuis... aller, on va dire 50 ans pour être généreux.
Les agriculteurs qui aujourd'hui évoquent les prix du lait, des céréales, ou je ne sais quoi, sont exactement dans la même situation qu'ont pu l'être tout un tas de PME industrielles dans les années 1970 dans un monde qui commençait par s'ouvrir, et où les modes de production et de consommation changeaient. Dans la même situation que sont aujourd'hui des entreprises du secteur tertiaire, dans le service aux personnes, aux entreprises, autres.
Le lait est acheté en dessous du prix de reviens ? Ne le vendez pas, vous avez le choix. Y a-t-il une autre activité où les patrons peuvent aller sonner chez le gouvernement pour dire "Eh, ils veulent pas nous acheter au prix où on vend" ? Non. Vous imaginez la gueule que tireraient les français si les patrons de l'industrie mécanique et microtechnique (je prends cet exemple parce que c'est celui que je connais le mieux, et parce qu'on ne les entend pas) venaient voir le gouvernement pour dire : "on voudrait que les constructeurs automobiles achètent nos pièces plus cher". Ce serait le délire le plus total. Personne ne comprendrait. Et la gueule des consommateurs si l'Etat débarquait un matin pour leur dire : "Ecoutez les gars, vous allez acheter votre voiture un peu plus cher, parce que sinon les constructeurs automobiles ne s'en sortent pas. Vous n'avez pas le choix."
Oui, mais s'ils ne vendent pas, ils n'ont rien, ils cessent leur activité. Ben... C'est regrettable, mais ça arrive. Combien d'activités cessent en France parce qu'elles n'ont pas su évoluer ? Parce qu'elles payent des mauvais choix stratégiques, commerciaux, globaux, tant dans leur activité individuelle que dans leur filière ? C'est ce que je cherchais sur l'INSEE. Et pour pouvoir ramener ça au volume total d'activité, et ne pas balancer des chiffres au 20h de TF1 dont les gens qui le regardent s'émouvront sans peine.
Quelles alternatives ?
Arrêter de vendre. Ou créer sa propre filière d'achat commercialisation. Court-circuiter la grande distribution, les grands groupes. Quelle tête feront-ils lorsque plus une goutte de lait français, plus une côtelette française, n'arrivera sur les rayons ? Bonne question. Une prise de risque ? Bah oui. Colossale même. C'est à ce prix qu'ils pourraient envisager d'aller vers autre chose. Devenir producteurs, transformateurs, vendeurs, s'approprier une filière de A à Z, maîtriser les prix et la relation au consommateur.
Dans le monde agricole, les initiatives locales ne manquent pas pour illustrer des moyens de s'en sortir. Seulement voilà, nous n'entendons que la détresse, les solutions de réussite manquent de parole. Puisqu'ils sont patrons de PME, pourquoi ne pas s'inspirer de ce qui se fait ailleurs, dans d'autres secteurs ? Comment des PME industrielles, familiales, rurales, dont finalement la structure du patrimoine et l'attachement sentimental, symbolique, humain, peut ressembler à celui d'une exploitation agricole, ont pu à un moment donné évoluer, sans quitter leur coeur de métier, sans faire vaciller leur valeur, face à une concurrence féroce de la part d'un monde ouvert en développement ?
Ce cri de détresse je le comprends.
Mais s'ils n'étaient pas agriculteurs, et si la France n'avait pas entretenu des décennies durant son rapport assez spécial à sa ruralité, son terroir, et ses paysans - devenus malgré eux chefs de TPE - on ne les entendrait pas.
Aujourd'hui, les agriculteurs ne paient pas les pots cassés d'une mauvaise conjoncture, mais plusieurs décennies de mauvais choix. Leur statut social leur permet cependant de se faire entendre plus que tous ces patrons qui ferment boutique dans l'anonymat le plus complet. Grand bien leur fasse, qu'ils profitent.
J'accorderai tout mon soutien à toutes les mesures qui viseront à faire changer la donne. Je prendrai ma responsabilité de consommateur face aux alternatives commerciales innovantes : sans mal je pense, j'ai la chance de déjà bénéficier d'une part de ces solutions que j'entrevois, et de les avoir intégré.
Mais s'il me fallait me prononcer sur certaines mesures, comme l'intervention de l'Etat pour réhausser les prix d'achat de la grande distribution, ou des aides qui ne viseraient pas à soutenir une mutation de la production, de la transformation, et de la filière, ce serait résolument contre.