Au fond du coffre terne reposaient maintenant l’or éclatant que nous avions tant cherché. Et maintenant que ces quelques pièces -de cette couleur que l’on associe au soleil, et qui pourtant, je le savais bien, était mortifère- étaient à notre portée, elles me paraissaient bien peu de choses. Un sentiment étrange m’avait envahi au surgissement de ce dénouement, où se mêlait une gamme d’affections encore inédite pour moi. Cet or que je désirais tant me paraissait souillé de sang et de poussière, de sueur et de larmes ; fugitivement, les images de notre odyssée s’imposèrent à moi, ces ressorts machiavéliques, ces antiques salles aux lueurs incertaines, cette forêt empoisonnée, et, par-delà, ces visages disparus dans l’ombre en-deçà de nous, ces morts que je n’aurais jamais connus et dont pourtant, par une fatalité étrange, je n’aurais de cesse de me remémorer les regards. Leurs noms, déjà, s’effaçaient de ma mémoire. A présent, après le fracas et la peur, l’acier et l’action, ne restait que le silence, une solitude étrange, et ces quelques pièces. De cette fuite perpétuelle, par une étrange alchimie, ne restait que ces bouts de métal brillant. L’or, valeur illusoire, se substitue à tout.
Inconsciemment, durant toutes ces épreuves, je m’imaginais qu’à la toute fin surgirait une confrontation suprême, l’explication ultime de tout cela. Rien, il n’y avait rien. Aucune trame secrète, aucune obscure vérité qui, avec fulgurance, légitimerait cette errance souterraine, et, finalement, lui donnerait ne serait-ce qu’un peu de sens. Le mystérieux marionnettiste que je me représentais ne se dévoilerait jamais à moi, et peut-être alors n’était-il qu’une projection de ma conscience sur la réalité pour recouvrir cela même que je ne voulais pas voir. Rien n’avait été déterminé ; tout ceci ne pouvait plus que se raccrocher, par un renversement terrifiant, à la fortune, ou au hasard.
La voix de Selen s’éleva ; machinalement, je ramassai ma part. Comme la lueur d’un phare dans la brume de l’aube, cette intonation dans sa voix me ramena au présent. La sortie n’était pas encore atteinte, bien que proche, et la roche continuait de gémir dans les profondeurs. A sa suite, j’entrepris d’escalader cette dernière paroi, cette dernière meurtrissure. Voilà, assurément, un nom dont je me souviendrai, un visage dont la lumière inquiétante ne me quitterait pas. Depuis le début, cette présence était indissociablement liée à la mienne. Nous n’avions certainement pas échangé plus de quelques dizaines de mots au cours de ce périple, et pourtant, un lien, au-delà de la parole, s’était forgé entre nous. Je crois pouvoir dire que c’était de la sympathie, dans son sens originel le plus pur ; non pas cette accointance irraisonnée que l’on peut éprouver lors d’une rencontre ; bien au contraire : il m’était souvent apparu comme un ennemi. Nous nous étions contentés de souffrir ensemble, de supporter ensemble le fragile édifice de la vie humaine contre la fortune. Et cela avait suffi.
Au-dessus, je fixai sa silhouette qui gravissait la paroi plus difficilement qu’à l’accoutumée. Je fus tenté, confusément, de lui dire quelque chose, tout cela qui m’occupait l’esprit à la fois, en un seul mot qui pût, de façon presque magique, lui faire comprendre. Mais cette magie-là n’existait pas, et c’était pour le mieux. C’était cela la confiance finalement ; n’ayant pas peur de voir ce lien affectif que je ne pouvais plus dissimuler trahi, je savais, au fond, que, déjà, il savait que les mots n’étaient d’aucun secours pour le dire. Quelque part, il devait bien le sentir lui-aussi.
Je souris pleinement. Encore plus haut, clair, brillait le jour, pour la première fois depuis longtemps.