La réponse de Selen ne se fit pas attendre ; je ne m’étais pas trompé à son égard. Dans une maîtrise parfaite de cet étrange mode de communication mental, je pus entendre –si le terme est juste- sa voix calme et froide m’enjoindre à me rapprocher à sa suite des trois titans, pour épier leur conversation, si tant est qu’ils en avaient une, et tenter de déterminer quelle était leur allégeance. Si l’échappée tant espérée se faisait proche, la prudence était plus que jamais de mise. Ces derniers pas vers le monde tangible, palpable de la surface, où l’air serait dégagé des effluves putrides et factices de ces souterrains, seraient déterminants ; il semblait, selon la jeune magicienne qui avait tenté de nous venir en aide –dans mon esprit se reforma brièvement l’image sanguine qui avait achevé ses paroles-, que le maître des lieux, dont la nature n’avait cessé de nous hanter durant nos errances, avait perdu le contrôle de son univers artificiel. Ces boyaux obsédants n’en devenaient, plongés dans une obscurité de fin de monde, que plus dangereux, instables, et il me semblait qu’à tout instant, les galeries rocheuses pouvaient se mettre à osciller, puis à s’écrouler, entraînant la chute de ce monde hors du monde –et la nôtre.
Fondu dans les ombres, autant extérieures qu’intérieures, je me rapprochai dangereusement des trois orques, à tel point que je pouvais apercevoir de discrets détails de leurs faciès prognathes. La limite du cercle orangé de la lumière de leurs torches était à quelques mètres de moi à peine ; je ne pouvais en évaluer réellement la distance. Selen était proche, quelque part sur ma gauche, ainsi que me l’indiquait mon étrange boussole, fixée résolument sur ce cap lumineux qui rendait les ténèbres un peu moins opaques, et le néant un peu plus intelligible. Soudain, je m’immobilisai, retenant ma respiration, une légère montée d’adrénaline acide dans ma poitrine. Le dernier de la file s’était mis à renifler, une, deux, trois fois. Etait-il possible que son odorat puisse percer la puanteur insoutenable de la boue pour déceler notre odeur ? Que ferions-nous avec trois de ces ogres sur les bras ?
Heureusement pour nous, ces créatures n’avaient pas beaucoup de suite dans les idées –si tant est que l’on puisse être à même de prouver qu’elles en avaient. Ses deux compagnons, qui s’avérèrent être ses deux frères, le détrompèrent vite dans un langage rudimentaire, l’enjoignant à avancer au plus vite « avant catastrophe ». Les deux premiers reprirent lourdement leur marche, mais le dernier, dénommé « Nelés », resta sur place, se courbant afin de ramasser un objet hypothétique sur le sol boueux, dont je ne pouvais déterminer la nature. Cela pouvait être un piège, nous laissant relâcher notre prudence, bien que l’idée d’un stratagème pareil –aussi peu élaboré fût-il- ne semblait pas coïncider avec les capacités mentales qu’avaient montrées ces créatures en conversant.
« Bien, au moins, on connait leur camp. On ne peut pas rester éternellement derrière eux, ils finiront forcément pas déceler notre présence. Il faudrait les éliminer un par un. » pensai-je à l’intention de Selen.
Je repris une inspiration.
« Couvre-moi, je vais essayer de le contourner pour voir ce qu’il combine. »
Avec une prudence infinie, j’entrepris de le contourner, profitant de l’obscurité qui s’était répandue sur les murs du boyau quand les deux autre s’étaient éloignés avec leurs torches, afin d’apercevoir ce que semblait ramasser le fameux Nelés.
Dans mon gantelet froid, mon poing était serré, et dans mes entrailles, les ombres, prêtes à se déverser.