Eïlemyr semblait lui accorder une bien trop grande attention ce qui en temps normal aurait été une marque de succès pour Aeglos, mais au tréfonds de son âme, il se méfiait largement dudit personnage. S’il dirigeait les Patriarches d’Izurith d’une main de fer, ce n’était sans doute pas à coup de pots de vin et de flatterie qu’il le faisait. Il balaya cependant ses conceptions d’un revers de la main douchant largement ses espoirs en une race unifiée contre un ennemi commun. De nouveau, quelqu’un utilisait le mot naïf pour le décrire, pour rejeter ses idées qui paraissaient si éloignées des préoccupations au sein du campement des elfes d’Izurith. Eïlemyr dénigra de nouveau les femmes, les qualifiant d’émotives lors de la prise de décision. Peut-être n’avait-il pas tout à fait tort sur certains points. En effet l’ancienne matriarche sindel avait bien eu une fille avec un shaakt et pactisait à présent avec la famille Kerrela. De plus la matriarche suprême avait pactisé avec une déesse pour acquérir l’immortalité selon certaines personnes bien renseignées, n’était-ce pas là la preuve de leur arrogance ?
Pourtant, Aeglos ne se résolut pas à ces hypothèses, songeant que la seule voie vers l’unification était la suppression tant du clan de la Rose que des Patriarches. Il n’allait certainement pas évoquer cette idée devant le chef des Patriarches sous peine d’être exécuté sans délai, mais il gardait cette idée tout au fond de son esprit. Il regarda du coin de l’œil les réactions de la fille d’Eïlemyr, mais celle-ci était résignée, elle se soumettait aux décisions de son père et n’osait les regarder. Sur Yuimen, sans doute arriverait-elle à s’épanouir, loin des terres fumantes et désolées d’Izurith, toutefois le faire remarquer ostensiblement montrait qu’il n’était pas à sa place et de toute manière cela ne relevait pas de son rôle de diplomate.
Il se résolut à écouter les paroles du patriarche avec une amertume difficile à cacher. Songer que des shaakts allaient être des alliés libérés de leurs conditions, qu’ils méritaient une place auprès du peuple créé de toutes pièces par leur Mère Sithi à partir des étoiles. Tout cela n’augurait rien de bon, tout cela n’était pas sindeldi. Leur peuple méritait d’être comme ces verts luisants clignotant dans les cieux, briller de mille feux à la vue de tous, éphémères lueurs pour raviver l’espoir dans le cœur des autres peuples. L’assurance d’Eïlemyr quant à l’issue de cette prise du pouvoir du campement et sans doute d’Izurith toute entière, tout du moins ce qu’il en restait, était effrayante à entendre. Soit il était le genre d’individus à aimer se lancer des fleurs, soit il avait tout prévu, l’une ou l’autre alternative ne le rassurait guère.
Soudain, il changea de posture et cela alerta les sens du mage, il se mettait confortablement, assuré d’une information qu’il savait en sa possession. Il était difficile à lire, mais Aeglos maîtrisait suffisamment le noble jeu de la politique pour ne rien laisser paraître. Son ton devenait soudainement bien trop mielleux lorsqu’il lui demanda, presque innocemment, pourquoi avoir appelé la Matriarche Suprême « Reine ».
Le commun des mortels aurait corrigé la bourde avec empressement, mais il ne faut pas confondre vitesse et empressement. Le serviteur de Yuïa se repositionna à son tour contre le fauteuil, laissant le silence s’installer avant de répondre, un léger sourire illuminant son visage.
- Matriarche Suprême, Reine, Dirigeante ou Souveraine, tout cela n’est que titre sans intérêt. Les titres sont des babillages sans intérêt pour des enfants impulsifs comme vous l’avez si bien dit…
Tout doucement, il revenait dans la partie, espérant effacer sa bourde de la manière la plus subtile, mais néanmoins directe, possible. Il se permit même une question à l’égard du sindel lancée sur un ton des plus confiants.
- Je suis étonné de vous entendre jurer de la sorte le nom de Zarha'Eïla, une déesse qui pourrait être à l’origine de nos malheurs. En parlant de divinités, j’ai entendu dire qu’un groupe de fidèles priaient Sithi, la considérant comme une divinité-mère. Pensez-vous que leur foi pourrait être un obstacle pour qu’ils rejoignent notre combat ? Qu’en pensez-vous personnellement ?
C’était une manière de détourner de sonder son interlocuteur sur sa position envers le culte de Sithi sans risquer des représailles de son côté. Lui laissant le temps de répondre le cas échéant, il balaya le sujet d’un geste de la main.
- Nous devrions nous concentrer de nouveau sur les sujets les plus brûlants : l’avenir du campement et d’Izurith en règle générale. Je suppute que vous avez déjà un plan, peut-être pourrais-je en savoir plus et vous offrir mes compétences là où vous pensez qu’elles seront le plus utile... Que comptez-vous faire ensuite des humains, comptez-vous diriger leur société officiellement ou comptez-vous la contrôler dans l’ombre ?
Aeglos l’observait tranquillement, recherchant une quelconque faille chez ce sindel si particulier, à la fois sévère et diplomate. Le mage de glace craignait qu’il ait pu lire dans ce jeu, qu’il ne croit pas à l’identité qu’il s’était donnée, mais cela était un risque à prendre pour espérer modeler le futur de ce campement. Pouvait-on seulement influer sur l’avenir ?
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