Eïlemyr écouta les explications d'Aeglos avec attention avant de hocher la tête.
«
Très bien, tu es le bienvenu dans ma demeure pour le moment. J'espère qu'un jour nous pourrons confier notre vie l'un à l'autre, comme je confierais ma vie à chacun des membres des Patriarches. »
Sa remarque était solennelle, mais semblait cependant sincère. Il fronça toutefois les sourcils lors de la question si singulière de son interlocuteur. Après un certain temps, il y répondit, de manière quelque peu circonspecte cependant.
«
Eh bien, les femmes n'ont rien à faire en politique, et il faudrait que nos frères d'un autre monde en aient conscience et l'acceptent. Mais elles seraient néanmoins les bienvenues parmi nous : nous respectons les femmes, elles donnent la vie, si précieuse. »
Ces paroles prononcées, il se tourna vers les autres, prêts à partir.
«
Hâtons-nous, mes frères, nous panserons ces blessures plus efficacement chez nous. »
Puis il prit les devants, sortant du bâtiment.
Ils crapahutèrent ainsi quelques longues minutes à travers la basse-ville, passant par des recoins plus sombres encore que ce qu'avait pu observer Aeglos, esquivant la vie. Le sindel portant Aënalia l'avait emmitouflée dans un linge, de sorte qu'elle ne soit pas directement visible par un passant, mais la forme sur son épaule restait plus que suspicieuse. Sans compter qu'ils étaient cinq elfes gris parmi les noirs, dont une figure vraisemblablement célèbre. Mais l'aventurier pouvait sentir qu'ils montaient, arpentant très régulièrement des pentes ascendantes dans cette immense caverne naturelle. Jusqu'à ce que, finalement, un rai de la clarté de la lune ne les guide au détour d'une paroi de pierre. Quelques pas plus tard, ils se retrouvaient dans la partie haute du campement elfique : la ville des sindeldi, à l'air libre.
Les bâtiments étaient proches du style architectural de ceux d'en bas : simples, surtout en pierre, plus usuels qu'esthétiques et agencés de manière parfois très étrange, à cause du terrain. Car en effet ils se trouvaient dans une crevasse naturelle, entourés par une chaîne de petites montagnes, plus semblables à des collines à vrai dire, mais toutefois assez hautes pour que leur ascension soit longue et pénible. C'était la nuit dans la ville haute et les rues étaient désertes. Cependant, encore une fois, Eïlemyr leur fit prendre des rues étroites, visiblement peu fréquentées, passant parfois même pas de petites cavernes qui semblaient servir de corridor, dans la périphérie de la ville de fortune. Devant eux, peu à peu, les maisons devenaient de plus en plus entretenues cependant, et de plus en plus décorées. Les quartiers s'enrichissaient à mesure qu'ils s'éloignaient de la jonction entre la ville haute et la ville basse, jusqu'à arriver à un quartier qui, compte tenu de la situation des elfes, commencer à frôler l'indécence en matière de luxe, bien qu'il n'arrivait pas à la cheville des plus beaux lieux de Tahelta.
C'est là qu'ils s'arrêtèrent finalement, dans un grand manoir au cœur de ces lieux. Eïlemyr, toujours devant, poussa les lourdes portes de bois du bâtiment et fit signe à tous de rentrer, non sans un mot à Aeglos.
«
Bienvenue chez moi, mon nouvel ami. »
L'intérieur était plutôt luxueux également, et presque lumineux compte tenu de l'heure avancée. Mais il ne ressemblait pas tant à un intérieur sindel. Si ce n'était quelques dorures ou courbes, il semblait plus proche du style architectural humain.
«
Amenez la Mylaëna dans une chambre et allez chercher une guérisseuse. Et Aëlene, escorte Messire Aeglos jusqu'à une chambre avec de quoi se changer et se nourrir. »
Puis, sur ces mots, il disparut presque aussitôt au détour d'un couloir, alors qu'une
jeune sindel s'approchait du Yuiménien. Elle semblait très jeune, à peine adulte, mais était très richement vêtue, trop pour une servante.
«
Suivez-moi, je vous prie, » demanda-t-elle.
Puis elle le conduit à l'étage, jusqu'à une chambre au moins aussi luxueuse que celle que lui avait offerte la Matriarche Kerrela. Là, une servante lui apporta un bol de soupe au goût insipide et un morceau d'une viande un peu plus convenable avant de laisser Aeglos et la jeune Aëlene seuls.
«
Si vous avez besoin de quoique ce soit, je serai dans la chambre d'à côté, » offrit-elle. «
Mais s'il vous plait, ne vous aventurez pas au delà de ma chambre et ne fuyez pas. »
Son ton était calme mais on pouvait lire une petite inquiétude dans son regard. Puis, sans un mot, elle disparut, laissant Aeglos seul pour la nuit avec quelques vêtements propres, un baquet d'eau et un repas chaud.