Tout alla si vite, et Lindeniel, une fois de plus, fut frappé par la bêtise de ceux qui se considéraient comme ses semblables, bien que jamais ce ne fut le cas, et même de loin. Alors qu’il était évident que son plan génialissime était de faire se décrocher les roches soutenues par le plafond pour les faire s’effondrer sur le monstre qui les menaçait tous d’une mort affreuse, voilà que la troupe des bras-cassés se mit en mouvement, enfin, un peu tardivement par rapport à ce qu’ils avaient initialement prévus. Ainsi, le garzok irréfléchi préféra prendre l’initiative de courir dans le piège où la créature noirâtre s’engouffrait pour venir au secours de la futile liseuse de rêve, qui par son coup de folie, les avait tous mis en danger, et ne méritait donc pas de survivre, ni d’être aidée. Son sacrifice n’était qu’une perte minime.
Et Glaya, farouche imbécile, se joignit à la fête, brandissant son arme à la manière d’une guerrière bondissant au combat. Elle hurla sa haine, sa colère et son courage. Son inconscience. Elle se fit vite emprisonner la jambe par un tentacule glaireux de la bête immonde, et se retrouva coincée… Jusqu’à ce que l’orque tranche l’excroissance hideuse pour libérer la paladine. La chose coupée tomba sur le sol et se désagrègea aussitôt en un flot noirâtre putride, dont la couleur et la texture ne donnait qu’une envie à Lindeniel : celle de vomir tout son dégoût. Dans le feu de l’action, il se retint tout de même d’être trop écœuré par l’immondice gastéropode qui leur servait d’ultime ennemi. Celui-ci continuait inlassablement de proférer des menaces insensées, alors qu’il était évident que sa fin approchait irrémédiablement, et que Lindeniel seul en serait l’instrument. Le créateur de la mort. Le tueur de la bête.
Son bras était déjà armé, et l’idée de blesser, voire tuer, gravement ses congénères ne le retint que peu. Au final, ils étaient là pour périr, tous autant qu’ils étaient, afin de lui permettre de s’en sortir vainqueur. Aussi n’hésita-t-il pas une seconde pour lancer son javelot, qui se mit à briller d’une lueur aqueuse, synonyme de la magie de Kerkan l’enchanteur. De tous les survivants, excepté Lindeniel, qui maîtrisaient tout, et donc vivait plus que survivait, de ce petit groupe de pécores, c’était sans doute celui qui avait le plus d’esprit. Malgré la tare qui faisait de lui un manieur de fluides, et malgré ses nombreuses bourdes incessantes, il avait fini, enfin, par servir à quelque chose. Et il en serait récompensé : il vivrait quelques minutes de plus que les autres. Ainsi, l’instrument de mort que l’elfe parfait venait de lancer avec grâce et précision se ficha, comme prévu, dans la faille, la partie sensible du plafond de roche et de cristaux mauves, qui se décrochèrent en nombre et déferlèrent sur la créature, qui se vit ensevelie de rocs divers, plus tranchants les uns que les autres. Sa carcasse nauséabonde fut assaillie de nombreuses plaies, lui arrachant à chacune de noires explosions liquides, se répandant comme bu pus à l’explosion d’un bouton trop mur. De ceux qui masquent de laideur la face des adolescents humains à l’apparence dégradante.
L’orque et les deux humaines furent eux aussi surpris par le cataclysme divin provoqué par Lindeniel, mais par la grâce de Zewen, ils s’en sortirent sans trop de heurts. Encore que. Ils étaient tous vivants, certes, mais désormais quasiment inutiles, avec des jambes brisées, des épaules luxées, des gueules arrachées, des corps déchiquetés. Lindeniel aurait préféré qu’ils meurent plutôt qu’ils en ressortent sous cette apparence réduite. Mais il faudrait faire avec, sans l’ombre d’un doute. Et le temps n’était ni à la rigolade, ni à l’engueulade, ni aux soins. Le monstre était à terre, mais pas encore mort. Ça se sentait. Le pouls de sa vie impure pulsait encore sous l’amas de roches. Il fallait faire vite. Alors, pendant que Glaya se soignait de sa blessure, et que Netare lévitait en gémissant, l’elfe blanc prit la parole.
« Vers la sortie, vite ! Il nous faut atteindre l’ascenseur avant qu’il parvienne à se dégager de là ! De là, nous aurons une position avantageuse. »
Et aussitôt, javelot de nouveau en main, il bondit vers l’amas rocheux pour sauter dessus sans ménagement pour l’être qui se trouvait en dessous. Si par ses pas affirmés il pouvait davantage enfoncer un pieu cristallin dans le corps dégoutant de cet ennemi hors du commun, il s’en réjouissait… Mais il ne s’y attarda guère, sautant habilement jusque de l’autre côté, pour courir avec précision et félinité vers la sortie, espérant atteindre au plus vite l’ascenseur…
_________________ Lindeniel Il Thirnasael, noble Hinïon dans la tourmente d'une quête onirique.
Tous méprisables...
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