Sorakeen a écrit:
Encore, le néant a frappé, il semble être toujours là, à me guetter dans un recoin secret de mon esprit, ultime refuge dont je n’ai pas connaissance. Indétectable, sournois, voilà pourquoi je m’en méfie. Il me crache des vérités, ses vérités.
Lasse, les trais alourdis comme la pierre, j’émerge. Mes paupières papillonnent vivement, pour chasser la persistance du rêve. Eloignée du temps réel, je me sens encore assoupies après quelques secondes, ne sachant pas où je suis, ni pourquoi une silhouette indistincte semble être assise à mes côtés. Suis-je mourante ?
Lorsque ma main vient essuyer mes yeux encore humides, le murmure de l’eau coule sur moi comme un torrent assourdissant et plein de colère à mon égard.
Je suis dans l’eau de la baignoire, assise au fond du baquet, et il fait si froid que je dois être nue, ou au plus sommet des monts enneigés des montagnes naines, nue aussi. Ma peau déjà bien blanche s’est teinte de bleu au bout de mes doigts, comme si j’étouffais.
Combien de temps ai-je dormi ? Il me semble que cela a duré si longtemps que l’éternité est déjà trop précise à mon goût. L’eau est vraiment très froide, et tous les bulles de la mousse ont éclaté.
Sans la moindre gêne, je sors de l’eau comme une fusée blanche et attrape une serviette au sol que j’enroule autour de moi, sans un regard ni aucune réponse pour les babillements incompréhensibles qui résonnent dans la chambre.
En me tournant, je découvre l’origine de ce bruit. La jeune femme assise sur une chaise m’observe.
L’impression que mes jambes sont plus ligneuses qu’une tige de bois. Je m’assoie devant la table et ouvre de nouveau mon carnet. Mes doigts sont roides et la plume semble torturer chaque nerf de ces tiges encore glacées, qu’aucune sensation ne parvient à réanimer. Je me mord le pouce, et comme je m’en doutais, ne sens rien, pas un picotement innocent. Tant pis, j’écrirais comme une aveugle, une virgule pour chaque souffle. L’humidité dégouline de mes cheveux, que je ramène d’un geste vif dans mon dos, pour ne pas tremper les pages où se gravent à une vitesse folle les lambeaux du cauchemar, les doutes enlacés à la folie, l’imaginaire où se déroule le paysages d’un sanctuaire violé.
Les sensations se ressemblent, se placent presque en parallèle à celle de mon ancien cauchemar.
Si la chaleur ne revient pas, le froid m’habitera à jamais. Je range mon carnet et mes affaires, puis rassemble un à un mes vêtements sur le lit et commence sans tarder à m’habiller.
Je dois me réapproprier la chaleur, ressentir mon corps comme le mien, pas seulement comme une enveloppe souffrant des blessures qu’on lui afflige. C’est moi qui en souffre, pas le manteau. En fermant les yeux, je parviens à recoller les morceaux.
Deux yeux verts me hantent puis disparaissent, un souffle glacé dans la nuque, comme une lame qu’on abat sur le cou et laisse une agréable sensation de fraîcheur dans la mort. Celle d’une faux, et d’une voix qui la suit, plus froide encore, le givre la scellant à mes tympans et l’emprisonnant comme la misérable folie.
Je rouvre les yeux. Assise sur le bord du lit, je finis de chausser mes bottes.
Mes vêtements sont vaporeux, faits de tissus légers et de voiles, et je ne parviens pas à me réchauffer. Il me reste ma cape, dans laquelle je me blottis comme une malheureuse.
A ma fenêtre, il fait nuit au dehors.