Daewlin a écrit:
Les minutes qui suivirent furent silencieuses. Nulle parole échangée, uniquement les bavardages des clients de Talic autour de nous et nos cuillères raclant nos assiettes se vidant peu à peu. Alors, Risskar se leva et je le suivis, prenant mes affaires sous l’œil intrigué – inquiet ? – de l’aubergiste. Quittant la bâtisse, nous nous enfonçâmes dans les ténèbres nocturnes.
Il nous fallut de longues minutes pour traverser la cité de Tulorim. Les ruelles sombres, les ombres se dérobant à notre regard à chaque coin de rues, il nous en fallait beaucoup plus pour nous inquiéter : Khonfas était bien plus dangereuse … Nous poursuivîmes alors notre route sous le ciel couvert, menaçant. A mesure que nos pas avalaient les pavés, je devinai quelque peu l’emplacement de ce fameux arbre des duels, car effectivement, le Drow prenait une direction que je connaissais, celle du cimetière.
(Si je croise le moindre corbeau …)
Mais nous étions arrivés. Au milieu de l’obscurité, se dessinaient les formes sinueuses d’un arbre à l’âge inconnu, statue végétale au centre d’une plaine presque désolée, les ombres des stèles mortuaires du cimetière jetant de sombres présages sur le lieu. Risskar se tourna alors vers moi et, sans prévenir, sortit de sous sa cape une arme qu’il lança dans ma direction.
D’abord surprise, je fis un pas et tendis mon bras pour la rattraper.
(Une rapière …)
Levant aussitôt le regard, une autre lame brilla dans la main du Drow. Sans que le moindre mot ne fut prononcé, Risskar passa à l’attaque et enchaîna passes et feintes, avançant encore et toujours. Même si je reculais, je parvenais à parer ses attaques sans trop de problème, me souvenant des lointains et maigres enseignements de mon frère.
Tout cela me rappelait ce que j’avais vécu au temple, lors de ma ‘formation’, du moins, au début. Il y avait bien eu quelques combats de ce genre mais beaucoup plus violents … La récompense était simple : la vie. Pas de médaille pour les perdantes : seulement la mort et la honte sur leur Maison.
(Est-ce cela qu’il appelle un entraînement ?!)
J’en avais assez de cette mascarade, ce simulacre d’entraînement. A quel jeu jouait-il ? Il était temps de passer à la vitesse supérieure et je me décidai de passer à l’offensive. Changeant de pied d’appui, je renversai alors le mouvement et allai de l’avant, enchaînant les quelques feintes que je connaissais, tentant quelques estocs et tailles, avançant, encore et encore.
Risskar parait chacune de mes attaques sans donner le moindre signe de surprise ou de fatigue. Il arborait toujours un visage impassible et bougeait à peine.
(Ce qu’il m’énerve … !)
Je continuai alors, de taille en estoc, le choc de nos lames dans le silence nocturne telle une macabre symphonie. Essoufflée, je persistai et tentai une énième estoc. Le Drow fit simplement un pas de côté, au dernier moment, et déséquilibrée, plongeai la tête la première dans la poussière.
«Tu n’as jamais utilisé de rapière … »
Secouant la tête pour me débarrasser de la poussière dans mes cheveux, je me relevai en pestant intérieurement et me remis en garde, ne désirant plus que donner une bonne leçon à ce prétentieux.
«Qu’est-ce qui t’autorise à penser une telle chose ?
répliquai-je en reprenant mon souffle.
- La rapière est une arme d’estoc, ma chère ! Elle n’a pas le moindre tranchant …
- Estoc ou non, tu vas vite regretter tes paroles ! »
Et le combat reprit. Je tentai encore une fois de m’imposer, mettant toute ma force dans mes attaques pour lui ravaler sa superbe. Mais rien n’y fit et le Drow était toujours là, à parer mes coups avec une facilité déconcertante, un sourire ironique aux lèvres.
(Et ça l’amuse en plus !!)
«Stop.»
Mais je continuai, déversant toute ma rage dans mes coups et mes feintes. Alors le Drow ne sourit plus et, sans que je puisse comprendre quoique ce soit, enchaîna quelques passes, un pas de côté puis, d’un mouvement circulaire autour de ma lame, glissa la pointe dans la garde de ma rapière et l’envoya voler dans les airs.
«J’ai dit stop !» déclara-t-il avec un ton menaçant.
Il s’éloigna alors et alla ramasser ma rapière et me la lança à nouveau.
«Maintenant que je sais ce que tu vaux, nous allons pouvoir passer à l’entraînement … Comme je le disais il y a quelques instants, une rapière est une lame faite pour l’estoc uniquement.
- Quel est l’intérêt d’une lame pareille, sans tranchant ?!
- L’intérêt ?! Tu n’es qu’une petite écervelée ! Au lieu d’apprendre la magie, tu aurais mieux fait de t’entraîner plus efficacement au maniement des armes ! La rapière est une arme idéale pour des personnes comme toi : les estocs sont un moyen très efficace pour se défaire d’un ennemi plus fort, physiquement.
- Ah oui ?
ironisai-je.
- A condition de savoir l’utiliser … »
Et Risskar repassa alors à l’attaque, enchaînant des passes lentes pour que j’aie le temps d’intégrer les positions des pieds, du corps, de la lame, tout en ponctuant chaque mouvement d’un mot ou deux.
«Précision ! … Souplesse ! … Concentration ! …»
Et les minutes s’égrenèrent ainsi, au rythme de cette danse des lames, allant de plus en plus vivement à mesure que les mouvements devenaient naturels.
«… Fluidité ! … Arrête de miser sur ta force !! Ca ne sert à rien ! Tu trouveras toujours plus fort que toi ! … Use de rapidité, fatigue ton adversaire, et lorsque le moment est venu, attaque !»
Et je portai une estocade … Et le Drow eut tôt fait de me désarmer une fois encore, m’arrachant un cri de douleur et de surprise. La main sur mon poignet douloureux, je lui lançai un regard assassin et allai chercher ma rapière à quelques pieds de moi.
«Mets plus de souplesse dans ton poignet ! Si tu ne maîtrises pas l’estoc mieux que ça, tu vas finir par te briser le poignet !
- Oui beh c’est déjà fait !
déclarai-je, de mauvaise humeur.
- On reprend …»
Et les échanges reprirent pendant ce qu’il me parut des heures … J’étais épuisée mais la rage me permettait de tenir encore et toujours. Mais à mesure que le temps passait, les mouvements me parurent plus faciles à réaliser et bientôt, le Drow ne ponctua plus nos passes et frappes d’estoc de commentaires ou conseils. Malgré tout, Risskar ne semblait pas se fatiguer et il m’était de plus en plus difficile de tenter des estocs contre lui.
Soudainement, la ‘danse’ sembla changer de rythme et, bien que je sentis que le Drow retenait ses coups et n’usait pas de toutes ses capacités, je compris que nous passions alors à autre chose. Risskar menait des attaques moins linéaires et, ce qui ressemblait jusque là à des chorégraphies, prenait des allures de combat bien réel. Les passes se firent plus rares et les frappes d’estoc de plus en plus nombreuses, m’épuisant encore plus rapidement à parer chacun de ses coups, à un rythme de plus en plus soutenu.
Je n’avais jamais assisté à de vrais combats de ce genre … Même au temple, cela ne se passait pas ainsi même si au final, la mort était au rendez-vous pour les plus faibles d’entre nous. Même Killian ne m’avait jamais vraiment entraînée ainsi, se doutant bien que les armes blanches ne seraient pas mon arme de prédilection. En fait, je n’avais vu qu’un seul combat de ce genre, une seule fois … Et ce jour fut particulièrement funeste pour moi, un grand tournant dans ma vie, et celle de mon père …
Mais alors que j’étais plongée dans mes souvenirs, je fus ramenée à la réalité par cette sensation ô combien désagréable du métal froid sur ma nuque.
«Tu es morte ! Uniquement à cause de ton manque de concentration !»
Le Drow n’était plus face à moi mais bel et bien dans mon dos … Et j’étais à sa merci ! Comment avait-il pu sortir aussi facilement de mon champ de vision, sans que je m’en aperçoive ?!
«Comment as-tu fait ?!
- J’étais concentré … Pas toi !
- Risskar … !
commençai-je d’une voix menaçante.
- C’est une de mes bottes personnelles. C’est trop compliqué pour quelqu’un comme toi !
- Quelqu’un comme moi … Quelqu’un comme moi ?!! Et pourquoi je n’y arriverais pas, Môssieur le plus grand combattant du monde ?!
- Parce que Mademoiselle je sais tout est incapable de se concentrer plus de deux secondes !
- Ce n’est pas vrai !
- Prouve-moi le contraire alors ! »
Et le combat reprit de plus belle. Toute à mon entraînement, j’enchaînai des passes, feintes et frappes d’estoc contre le Drow qui tantôt parait, tantôt passait à l’attaque. Au bout de quelques échanges, je le vis alors enchaîner des coups et des feintes à une vitesse fulgurante puis, sans comprendre, après un coup du plat de la lame sur le côté du genou qui me déstabilisa quelque peu, se retrouva encore une fois dans mon dos, pointant sa rapière entre mes deux omoplates.
«Et de deux !
- Mais j’étais concentrée !
- Qu’est-ce que tu crois ?! Qu’un peu de concentration te permettrait de déjouer ma botte aussi facilement ?! J’en ai tué beaucoup ainsi … répondit-il avec un sourire ironique.
- Explique-moi … »
Après quelques secondes de réflexion, il accéda à ma requête et, mouvement par mouvement, me détailla sa botte. Et je répétai alors l’enchaînement une fois, puis deux, et trois … Cette botte était vraiment difficile à mémoriser, à moins que ce ne soit moi qui ne soit pas très douée pour ça. Je progressai lentement et il me fallut de nombreuses minutes de tentatives laborieuses avant de reproduire l’enchaînement sans me tromper dans l’ordre des passes et des feintes. En tout cas, j’étais bien loin de sa rapidité d’exécution !
Mais à un moment, il parut assez satisfait – je me demandais d’ailleurs où puisque moi-même, je ne l’étais pas du tout – et m’enjoignit à essayer de placer la botte au cours d’un combat. Me mettant en garde, je commençai alors à l’attaquer, accumulant les passes et les feintes à un rythme soutenu, en veillant à mon pied d’appui, mes quarts de tour … Puis, discernant une ouverture, probablement volontaire de la part du Drow, je décidai de tenter la botte, enchaînant les différents mouvements puis, après un coup sur son genou, pivotai sur mon pied d’appui pour me retrouver dans le dos de mon adversaire et … Bien sûr, Risskar parvint à déjouer ma tentative !
«Recommence ! »
Et sans broncher, je recommençai, encore et encore, et ce, malgré la pluie qui commençait à tomber sur nous … Mais le Drow réussissait toujours à me mettre en échec à chaque tentative. Et pour la énième fois, je me trouvai dans son dos prête à pointer ma lame sur lui et aussitôt, Risskar me faisait face, parant mon épée et me repoussant en arrière.
«Je n’y arrive pas !
pestai-je, commençant à perdre patience, épuisée.
- Espérais-tu réussir alors que je connais la botte ? Evidemment que tu n’y arrives pas … C’est normal !
- Je ne m’arrêterai pas tant que je n’y serais pas parvenue !
- Tu es du genre têtue, hein … Non, on s’arrête là ! Tu n’arriveras à rien si tu es épuisée. De plus, l’orage sera sur nous d’une minute à l’autre … »
dit-il en regardant le ciel noir où ne brillait aucune étoile, cachées par les nuages sombres.