Sorakeen a écrit:
Je reste sur place quelques secondes, longues, comme si le temps s’était étiré à l’infini, en un long filament d’existence, décousu, déclassé.
Autour de moi, la populace de Tulorim commence à s’agiter, sous le ciel devenu noir menaçant, se préparant certainement à passer le reste de la soirée à l’abri. Déjà, à cette heure où le monde de la nuit s’éveille de sa douce torpeur, les ruelles ne sont plus un endroit sûr. Ces étroits guêpiers, je les connais comme la poche de ma mère, pour y avoir séjourné quelques temps, en plus d’avoir fais mes premières armes dans des endroits similaires.
C’est l’exigence même de la fatalité. Celle qu’on ne choisit pas, et qui ne laisse aucun choix possible.
Il est donc tard, et il me faut trouver un abri au plus vite, et me rendre à l’auberge du pied levé.
A mes côté, je sens que Dué commence à s’énerver, lui pourtant si clame et si docile en ma présence.
Je fais vite. Devant moi, le passage est bouché par cet homme que m’a montré Izzio tout à l’heure, et en effet, il a bien perdu la raison. Que fait la garde ? Jamais là quand il faut…
J’emprunte un détour, avec Dué, ses sabots claquant dans les nuées humides, à peine élevées dans l’air stagnant. Etouffant.
« Non ! Ne me touchez pas ! Je vous le jure…je n’irai pas chez les nains ! Il n’y a pas de porte des songes ! Mais laissez moi en paix ! »
Demi-tour. De nouveau des phrases qui bloquent. Devrais-je aller lui parler ? A-t-il vu ces étranges yeux verts scintillants ? Je me sens tout à coup dépossédée. J’ai rêvé d’elle, moi aussi. Moi aussi. Je ne suis donc pas la seule, dans cette quête de la porte des songes ? C’était réel, pas un simple hasard. Le signe était bien-là, flottant devant moi comme un soleil trop aveuglant pour voir.
Mon cerceau est en ébullition, et mes idées, mes questions, se fracassent dans ma tête, m’affligeant un horrible mal de crâne. Certes, il faudra étudier la question, mais pas ici, pas tout de suite. D’abord, l’auberge du pied levé, ou je pourrais réfléchir plus posément. Lentement, je reprend la marche vers la bâtisse, quelques ruelles plus loin.