Lindeniel a écrit:
La fuite
Le serviteur affable se tenait devant l'elfe blanc comme si il le redoutait. Étant donné les événements de la veille, il était très probable que Lindeniel soit énervé, même si une poignée de laquais l'avaient aidé... Ils avaient tous appris à ne recevoir aucune reconnaissance des actes effectués au service des Il Thirnisael. Mais ce qui étonna, et perturba l'elfe, ce fut l'absence totale de réponse de l'humain qui se tenait devant lui. Avant que Lindeniel n'ait pu reposer la question avec une insistance sévère, l'homme avait fait demi-tour et s'était élancé en courant dans les escaliers de marbre blanc. Décontenancé, mais ne perdant pas son sang froid, Lindeniel avança, plus calmement que son prédécesseur, vers les marches.
En bas, de nombreux pas lourds résonnaient sur le sol du palais, comme si la demeure était soudainement envahie par des humains aux lourdes bottes. Il tendit l'oreille vers le rez-de-chaussée, perturbé par la fuite sans raison de son servant, et ce qu'il entendit l'aurait fait pâlir si il n'avait déjà pas eu la peau si blanche. Un des laquais au service de son défunt père était en train de le dénoncer à la milice locale, une espèce de groupement de pseudo-soldats qui assuraient, selon les dires des livres qu'il avait récemment lu sur Tulorim, une sécurité très relative au sein de la cité. Le regard de l'elfe se fit dur...
(Traître...Ce sont tous des parjures, ils ne méritent pas la vie, ils ne méritent pas de vivre en ces lieux!)
Mais des miliciens armés commençaient déjà à fouiller les pièces du bas, alors que le serviteur qui l'avait surpris prévenait le chef de la bande de la présence de l'elfe à l'étage. Rapidement, et aussi silencieusement que possible, il rejoint la chambre de son géniteur, refermant la porte derrière lui, tournant une longue clé en bronze dans la porte recouverte de peinture blanche. Les premiers pas retentirent dans les escaliers, se précipitant vers chacune des portes de l'étage. Lindeniel pesta intérieurement et avança vers le cadavre de son père encore recouvert du drap blanc taché de sang vermillon, désormais presque sec.
Il prit en main un chandelier sur lequel quelques bougies, inutiles à cette heure de la journée, finissaient de se consumer. La lueur vacillante des flammes fit germer en Lindeniel une ébauche de plan d'évasion. Ayant durant toute sa vie vécu entre ces murs, il les connaissait mieux que quiconque, et savait que son père, éternellement méfiant, avait fait construire sa demeure avec quelques petits passages secrets connus de lui seul, et de son fils, qui lui permettaient du temps de son vivant de se déplacer dans la maison sans attirer sur lui l'attention... Ses démarches commerciales n'étaient pas toujours très légales et la discrétion était de mise. Lindeniel avait hérité de cette qualité à ne pas se faire remarquer et à se rendre le plus discret possible...
Son regard se porta à nouveau sur Lindar, allongé sans vie sur le marbre de la chambre... D'une voix faible, soufflée comme le vent dans l'embrasure d'une fenêtre, il parla à son père pour la dernière fois...
« Jamais ils ne m'attraperont, ce sont des incapables, mais toi non plus, ils ne t'auront pas... »
Il abaissa alors son bras et les chandelles encore allumées chutèrent sur le drap qui s'enflamma presque aussitôt, mordant le corps défunt de ses flammes dévastatrices. Une affreuse odeur de viande brûlée naquit dans la pièce et inonda les narines sensibles de Lindeniel. Portant un fin mouchoir de soie à son nez, il avança prestement vers la cheminée, rapidement, mais sans courir, gardant sa démarche noble et fière. Un profond dégoût pour l'odeur âcre et la fumée noire qui se dégageait du cadavre incendié lui arracha un rictus écoeuré, mais imaginant les chairs meurtries de celui qui l'avait toujours battu brûler lentement, consumant chaque parcelle de peau, il retrouva de la confiance et un sourire sadique naquit sur ses fines lèvres.
S'appuyant sur le mur bordant l'âtre éteint, il appuya doucement sur un petit renfoncement en forme de rosace et un léger déclic s'ensuivit. Au même instant, la poignée de la porte se tourna et les miliciens derrière celle-ci s'aperçurent qu'elle était fermée, et leurs cris indiquèrent qu'ils avaient senti la fumée, ce qui après tout, était plus que logique...
(Pendant qu'ils seront occupé à éteindre ce corps déjà carbonisé, je fuirai par les caves...Ils ne s'apercevront même pas que je suis parti...Ils sont si bêtes...Et moi si génial...)
Une vague d'auto-satisfaction submergea l'ego de Lindeniel, qui s'engouffrait déjà dans le passage obscur alors que les gardes commençaient à enfoncer la porte. Lorsque celle-ci céda, le passage dans la cheminée s'était refermé, et les hommes déferlèrent dans la chambre, entourant vite le corps de Lindar.
Lindeniel, par pure envie d'entendre la réaction de cette piétaille stupide, était resté derrière le passage pour écouter les paroles insensées et idiotes que ces hommes d'armes sans galons oseraient débiter. Mais rattrapé par le besoin désormais vital qu'il avait de fuir, il s'engouffra plus en avant dans les chemins cachés de son palais. Connaissant l'endroit pour y être de nombreuses fois passé à l'insu de son paternel qui refusait qu'il les emprunte, Lindeniel arriva bientôt dans les sous-bassement de la demeure. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ils ne ressemblaient en rien à une cave sale pleine de poussière et de toiles d'araignées. Au contraire, tout ici était propre, et des meubles anciens étaient aménagés en colonnes. Ils semblaient contenir tout le savoir du monde dans des livres ou des objets hétéroclites de toutes tailles et de toutes formes. Nul milicien n'avait pensé à descendre ici alors que le serviteur leur avait assuré que Lindeniel était en haut. Ils devaient maintenant le chercher dans les moindre recoin de l'étage, ce qui vu la taille de la maisonnée, risquait de prendre un petit peu de temps pour tant soit peu qu'ils ne négligent rien...
Même si ils découvraient les passages secrets, l'elfe blanc serait déjà loin du palais...
Le fait que le laquais se fasse punir pour complicité dans se fuite fit sourire sardoniquement Lindeniel. Il savait que les miliciens préféraient généralement avoir un coupable, même si ce n'était pas le bon...Et en l'occurrence, si il disparaissait, ce serait à ce pauvre bougre qui a eu un malheureux sursaut d'honnêteté mal placé, que reviendrait le rôle de victime de la loi...
L'elfe s'avança jusqu'à un soupirail fermé de l'intérieur. Il déverrouilla doucement la porte, pour ne pas se faire entendre, et se glissa tel une ombre dans le parc du palais. Regardant autour de lui pour vérifier que personne ne l'avait aperçu, il avança rapidement jusqu'aux grandes grilles du jardin, qui menaient directement dans la rue du quartier le plus riche de la cité.
(Ces moins que rien ne tarderont pas à découvrir que je me suis échappé...Je dois me trouver un lieu où je suis en sécurité...)
Mais Lindeniel sous-estimait la difficulté à se déplacer dans une ville dont il ne connaissait que les plans officiels. Bien souvent, des nouvelles constructions parfois sommaires venaient modifier l'agencement des ruelles, voire même en créer d'autres. Il savait que les gardes ne cesseraient en cette ville de le pourchasser pour son crime incompris... Et il savait qu'il devait quitter Tulorim. Mais il ne doutait à aucun moment que sa description avait été amenée à tous les postes de garde de cette fichue cité et que les gardiens ne le laisseraient pas sortir si facilement... Il fallait donc qu'il se trouve un endroit tranquille où laisser un peu se calmer la situation... Après tout les crimes et les vols étaient monnaie courante à Tulorim, et la milice, bien souvent débordé par cette criminalité sans cesse croissante, délaissait bien vite certains dossiers...
L'elfe commença à marcher dans les quartier huppés de la ville, mais il savait que c'était le premier endroit où ces justiciers incapables le chercheraient, chez un éventuel ami... Ils devaient être loin de se douter que Lindeniel n'irait jamais demander de l'aide à qui que ce soit. Sûr de lui, il bifurqua dans une ruelle qui descendait dans le centre de la cité.
Il n'avait encore croisé personne, mais au fur et à mesure qu'il approchait des quartiers moins riches, une terrible odeur de crasse infâme vint se blottir dans ses narines, en terrorisant son odorat fin habitué aux délicats parfums de la vie luxueuse. Jamais il ne se serait imaginé que la crasse décrite dans les livres et grimoire serait malodorante à ce point. Se saisissant de son mouchoir de soie légèrement parfumé et le plaçant devant son nez aquilin une nouvelle fois, il continua sa marche et bientôt se retrouva à proximité du centre ville. Les miliciens étaient certainement au courant qu'il avait quitté la maison, maintenant. Il fallait donc désormais redoubler de vigilance...
C'est alors que l'elfe blanc croisa les premiers habitant de Tulorim. Il ne put éviter une grimace de dégoût, partiellement cachée par son mouchoir, lorsqu'il aperçut l'aspect des gens qu'il croisaient. Son regard se fixa sur le visage vérolé d'une femme qui ne s'était certainement plus lavée depuis plusieurs années. Des tâches sombres marquaient sa peau burinée. Ses yeux étaient crottés et sa tête recouverte de cheveux sombres et gras à la couleur indéfinissable. Que dire encore de ses habits rapiécés et de mauvais goût qu'elle arborait. Les tons ocres et brunâtres semblaient dominer, mais Lindeniel savait que ce n'était pas là la couleur d'origine de ces habits antédiluviens. Il détourna le regard, mais celui-ci se posa sur un autre énergumène à l'allure peu engageante. Il s'agissait d'un bon vieux paysan aux mains calleuses et aux bras noueux. Un chapeau de paille troué était vissé sur son crâne à moitié chauve et des morceaux suspects d'une nourriture peu ragoûtante persistaient dans un début de barbe mal entretenue. Les ongles de ses mains étaient noirs de crasse.
Lindeniel tentait de rester le plus loin possible de cette odieuse populace... Déjà il regrettait les plumes et apparat exagérés de la noblesse de Tulorim...Au moins eux avaient un minimum d'hygiène...
Et il en fut ainsi pour chaque personne qu'il croisa. Bien vite, il se rendit compte que tous les regards se tournaient vers lui. Comment pourrait-on résister à une telle beauté, à une telle propreté, à une telle prestance, alors qu'on est laid, sale et puant... Même si ça aurait du flatter son orgueil déjà énorme, Lindeniel se sentait oppressé par cette foule immonde qui grouillait comme des asticots autour de sa superbe personne. Avec chance, il n'avait encore croisé aucun milicien. Il savait que c'était du au pouvoir de sa statuette... Mais il était aussi persuadé que la chance n'était pas infinie et qu'il lui fallait se fondre à cette population et à devenir plus discret parmi les habitants si il ne voulait pas finir en geôle d'ici la fin de la journée.
Justement, il approchait du marché et il espérait y trouver de quoi se dissimuler des regards trop curieux de ces imbéciles d'habitants, humains pour la plupart... Passant rapidement à côté des échoppes où s'étendaient tripailles fumantes et fruits moisissant sous la chaleur acerbe du soleil de la fin de matinée, arrachant encore plus de dégoût à Lindeniel, qui se sentait de moins en moins dans son monde... Il ne tarda pas à trouver ce qu'il cherchait, et il en remercia Zewen par la pensée pour l'avoir mené rapidement vers son but, lui évitant ainsi maints détours inutiles dans les allées crasseuses de ce marché peu soucieux des mesures d'hygiène nécessaires à la bonne survie des marchandises. Il arriva prêt d'un marchand de fripes, de capes, d'habits divers, riches parures ou pauvres guêtres, pour nobles ou pour paysans, allant du chapeau à plume aux braies mal taillées en passant par des vestons de cuir ou de tissus divers et colorés. Le voyant arriver vers lui, le marchand arbora le sourire commercial le plus carnassier que Lindeniel eut jamais observé.
(Les transactions dans le haut monde se font plus finement...)
« Mon bon seigneur, je vois que mon étal vous intéresse! J'ai des tas de jolies choses à proposer à un gentilhomme comme vous! Regardez ces chapeaux! N'est-ce pas une pure merveille? Et là-bas les vestons aux boutons nacrés? Ça vous irait très bien au teint! Je vois que vous aimez les gants, regardez donc après ceux-ci, voyez comme ils sont doux au toucher! »
En résumé, il prenait Lindeniel pour un pigeon qui venait ici pour acheter à un prix exorbitant des riches vêtements pour une quelconque réception mondaine. Vexé de ce jugement hâtif et totalement erroné de la part du marchand, il lui répondit sèchement, le toisant de tout son mépris...
« Ne soyez donc pas trop prompt à deviner mes désirs, vous feriez rapidement erreur... Je cherche une cape ample à large capuchon, ne vous méprenez point... »
Un peu rabattu dans sa fougue commerciale et publicitaire, le marchand déglutit bruyamment avant de poursuivre d'une voie un peu moins enjouée, mais visant toujours la vente prochaine et le profit de sa bourse...
"Bien... Regardez donc mes capes...Il y en a de toutes les couleurs! Celle-ci, avec ce bleu, irait superbement avec votre veste! »
La réponse se fit cinglante et glaciale.
« Je vous ai demandé de ne pas me conseiller...N'avez-vous donc point d'oreilles? »
« Mais je pensais que... »
« Ah vous pensiez...Vous n'êtes pas ici pour penser à ce que je sache...Alors faites votre boulot et ne vous évertuez pas à essayer de faire ce dont vous n'êtes pas capable! La cape que je recherche doit avoir une couleur neutre, passe-partout...Et si possible sombre... »
Renfrogné dans son ardeur, le marchand n'osait plus dire un mot. Cherchant rapidement dans son étalage, il trouva presque aussitôt la cape que l'elfe recherchait. De couleur brun-vert sombre, la cape était nantie d'un large capuchon et était assez longue pour dissimuler la veste de Lindeniel. Il la tendit à l'elfe, qui la revêtit aussitôt. Lindeniel n'avait pas pour habitude de porter ce genre d'habit, et n'était pas fort à l'aise dedans, mais l'effet désiré était tout à fait obtenu. Ses riches parures étaient totalement masquées sous la cape neutre, et sa longue chevelure immaculée était dissimulée parfaitement sous le large capuchon, qui projetait les ombres sur le visage clair de l'elfe blanc, masquant ses traits des regards indiscrets.
Le marchand regardait Lindeniel curieusement, avec une légère suspicion qui n'échappa pas à l'elfe. Celui-ci décida de jouer la carte du bluff, avec lequel il se débrouillait plutôt très bien...
« les nobles aussi jouent parfois aux aventuriers...Vous enverrez la facture à mon père, à la demeure des Il Thirnisael »
Un sourire sadique naquit sur ses lèvres, mais l'humain n'eut pas la chance de le percevoir. Il venait de se faire rouler, impressionné par le nom que Lindeniel venait de lui donner. Il connaissait son père, et surtout les rumeurs qui courraient sur sa richesse incomparable. Il enverrait certainement une facture salée, qui ne serait jamais payée... L'elfe blanc laissa l'homme ébaubi dans son étal et poursuivit sa route en prenant l'air le plus naturel possible, le visage enfoncé dans la cape, se mêlant à contrecoeur à la vile populace qui l'entourait...
(Cette cape me protège de leur saleté...cette cape me protège, je ne dois rien craindre d'eux, ils ne peuvent me toucher, et donc me salir...)
Il était temps pour Lindeniel de se cacher maintenant. Il aperçut une patrouille aux airs pressés cavaler sur la place du marché à sa recherche. L'elfe s'éclipsa doucement des lieux, sans même attirer le regard des gardes sur lui... Il erra alors dans les rues de la ville, empruntant les voies les moins peuplées, et tentant de passer par les endroits les moins sales, évitant à tout prix de se retrouver face à des miliciens qui devaient ratisser la cité à ma recherche...Sans succès bien évidemment...Comment auraient-ils pu retrouver un elfe dans Tulorim? Ça reviendrait à avoir la prétention de trouver une aiguille dans une botte de foin, ou un nain dans une chaîne de montagnes caverneuses...
L'heure de midi approchait, et l'estomac de Lindeniel, seulement nourri d'une pomme verte la veille, grondait doucement et clairement dans son ventre...La faim commençait à se faire sentir, surtout qu'il n'avait pas l'habitude de ce genre d'événement...C'était bel et bien la première fois qu'il sortait seul en ville, et il faisait preuve d'un sang-froid exceptionnel pour un fugitif recherché...Sans doute était-ce là une de ses innombrables qualités...
Il trouva sur son chemin, peut-être encore une fois un coup de la chance, une taverne aux airs proprets, vu de l'extérieur...Ou du moins ce n'était pas un de ces bâtiments rongés par la vermine qui menaçaient de s'effondrer sous le poids des saletés qui accablaient les murs.
Il pénétra dans le lieu, et fut pris d'un haut-le-coeur en sentant l'odeur de l'alcool répandue dans la pièce, où régnait une chaleur étouffante. Il n'y avait pas grand monde, mais les quelques personnes présentes suffisaient à Lindeniel pour qu'il classe définitivement ce genre d'endroit comme 'à éviter'. Prenant son courage à deux mains, et suivant les appels de son ventre, il s'assit à une table éloignée du reste des autres personnes. Le tavernier ne tarda pas à venir près de son nouveau client, toujours enveloppé dans sa cape, ne dévoilant pas le moindre signe extérieur de richesse ou d'appartenance à sa race pure.
« Hola monseigneur, que puis-je pour vous? »
Lindeniel leva doucement le visage vers l'humain, muni à la taille d'un tablier crasseux. Il lui répondit d'une voix neutre, ne faisant percer aucun sentiment, aucune politesse, mais non plus aucun mépris...
« Je voudrais une salade verte et un verre d'eau potable... »
Le tavernier lanca un rire gras et avant de s'en aller chercher la commande de l'elfe, lanca joyeusement à celui-ci.
« Ah vous êtes bien un elfe, vous! Je n'ai pas l'habitude de servir des boissons non buvables à mes clients... »
Il partit en cuisine en riant dans sa barbe, sous le regard mauvais de Lindeniel, qui avait rabaissé sa tête, la secouant lentement de gauche à droite.
(Abruti...)
L'humain arriva eu après avec une assiette garnie d'une salade et d'un verre d'eau. Aussitôt, et sans le moindre mot de remerciement envers son hôte, l'elfe commença à manger et à boire... Ce n'était pas terrible, évidemment, pour des papilles gustatives habituées aux mets fins de la haute cour de son palais...Mais il s'en contenta...
Il n'eut hélas pas le temps de terminer son plat. AU milieu de son repas, la porte s'ouvrit sur deux hommes d'armes appartenant à la milice, dont on pouvait admirer l'insigne sur le bouclier que l'un d'entre eux portait, et sur leurs cottes d'arme. Ils se dirigèrent directement vers le comptoir, où l'aubergiste les regardait en levant un sourcil, inquiet de cette soudaine irruption. Celui qui semblait être le chef parla d'une voix claire que Lindeniel n'eut aucun mal à comprendre...
« Bonjour, tavernier! Nous recherchons un meurtrier, un elfe blanc...Il aurait selon toute vraisemblance des habits nobles! L'auriez-vous vu? »
Décontenancé, l'homme répondit le plus sincèrement possible.
« Non, je ne crois pas...Le seul elfe que j'ai vu aujourd'hui est celui à la table là-bas... »
Il pointa la table où Lindeniel était, mais son regard s'emplit de stupeur. À la place occupée il y a peu, il n'y avait plus personne. Les gardes se tournèrent aussitôt vers la porte entretaillée qui finissait de balancer sur ses gongs, signe qu'elle avait récemment été franchie. Le soldat jura entre ses dents et s'élança vers la sortie, avec son compagnon, sous l'oeil désolé du tavernier qui venait de se faire avoir d'un repas, fut-il sommaire...
Lindeniel n'avait pas attendu longtemps avant de se décider à partir de l'endroit. Aussitôt avait-il entendu le mot meurtrier, il s'était doucement levé, et discrètement, avait filé par la porte avant de partir dans la rue en courant. Il avait déjà pris une bonne avance quand il entendit au loin un des gardes crier.
« Il est là-bas, arrêtez-le! »
L'elfe blanc cavalait dans les rues bien plus rapidement que les miliciens chargés par leur lourd équipement. De plus, sa grâce elfique naturelle lui permettait d'effectuer des mouvement amples et souples, précis, qui accentuaient davantage sa vitesse. Bientôt, il réussit à semer ses poursuivants, qui désormais connaissaient son nouveau déguisement...
Sa course l'avait amené dans une petite ruelle sombre, même en cette heure de la journée, ce qui ne gênait pas l'elfe outre mesure, mais qui donnait au lieu un aspect inquiétant. Prudent, il dégaina sous sa cape le poignard de fer qui avait permis de tuer son père. L'instant d'après, une voix l'interpela.
« Noble seigneur, une p'tite pièce pour un pauv' malheureux. »
L'homme qui l'avait accosté avait une allure répugnante. Borgne, il dévoilait dans son sourire des gencives noires aux dents pourries et gâtées d'où sortait une haleine putride. La crasse qui recouvrait son visage, et les pustules purulentes que celle-ci amenait empestait et écoeura l'elfe à la peau blanche, qui ne croyait pas qu'une telle saleté était possible. Pointant son poignard vers le pauvre mendiant, il lui sermonna de partir quêter ailleurs.
« Déguerpis, humain, si tu ne veux pas tâter de ma lame! »
La vue du sang sur l'arme de l'elfe fit vite tourner les talons à l'homme, dont l'oeil unique s'était soudainement rempli de peur. Lindeniel garda son arme en main et s'assit sur un promontoire en pierre, sans doute une ancienne fontaine aujourd'hui tarie. Il resta là plus d'une heure, guettant le moindre mouvement ou bruit de pas. Aucun milicien ne passa par là... Enveloppé dans sa nouvelle cape, le capuchon rabattu sur son visage, Lindeniel patientait...Il ne savait plus que faire.
Il devait quitter la ville, et se rendre à Mertar, mais il n'en avait pas les moyens, les portes et le port étant très certainement archi-gardés...