Kerkan a écrit:
Les yeux dans les yeux, je ne pus tenir son regard plus longtemps, je détestais ce genre de situation, cela me mettait horriblement mal à l'aise. De plus cette femme avait une façon de me regarder pour le moins étrange, en effet, outre ses yeux écarquillés, je vis sa lèvre trembler nerveusement. Je me demandai pourquoi je m'étais assis à ses côtés, elle était vraiment dingue d'une certaine manière, ou peut-être avait-elle ingurgité des substances illicites qui pouvaient provoquer des délires chez les humains. En tout cas, je me félicitais de ne pas lui ressembler et d'avoir encore toutes mes capacités mentales. La jeune femme se mit une nouvelle fois à parler confusément, créant des phrases emmêlées, représentant sûrement son esprit dérangé. Je ne savais pas d'où elle sortait ses théories abracadabrantes sur l'équilibre, mais je n'étais vraiment pas d'accord avec elle. D'ailleurs, elle ignorait elle-même ce qu'elle voulait dire, cherchant dans ses pensées le moyen de trouver des réponses intelligentes à mes questions :
«Évidemment que nous faisons partie de cet équilibre et heureusement que l'on peut faire pencher la balance comme vous le dites si bien. Imaginez que nous ne le pourrions pas, le monde ne serait qu'un chaos ridicule où la magie serait futile, or, nos pouvoirs sont les représentations de nos dieux, de ceux que l'on vénère. Vous ne pensez pas que cela est intéressant ? Il est vrai qu'il ne faut pas dépasser un certain seuil, mais, celui-ci ne sera indubitablement jamais dépassé. Lorsque l'on se sert de nos dons pour soigner ou nous défendre, il y aura toujours quelqu'un qui produira l'action inverse en voulant tuer ou en attaquant ; la balance se fait naturellement. Néanmoins, je suis d'accord avec vous sur le fait que nous ne devons pas nous laisser guider par nos pouvoirs, nous sommes leurs maîtres, ce n'est pas le contraire. S'ils nous possédaient, nous ne serions qu'une arme mortelle dénuée de tout sens utile.»
Après ma longue tirade qui, je l'espérais, aurait eue un effet positif sur la jeune femme, celle-ci répondit à mon autre question. Elle me parla à voix basse, presque dans un murmure, d'une «femme des rêves» qui me fit sursauter sur place, était-il possible que ce fût la même qui avait voulue communiquer avec moi ? Cela était tellement étrange et je doutais que ce fût le simple fait du hasard, quelque chose me rapprochait de cette personne, nous savions tous les deux que quelque chose se préparait. J'hésitais à lui en parler car je ne voulais pas délivrer trop d'informations, ce qui auraient pu me causer des problèmes. Cependant, il me fallait intervenir, elle pourrait m'aider à comprendre ce qui était en train de se réaliser et je désirais en apprendre un peu plus sur cette demoiselle aux yeux verts :
«Vous aussi ! Elle vous a parlée dans vos rêves, en vous montrant le chemin que vous devez suivre pour la sauver ? Nous parlons bien tous les deux d'une femme aux yeux verts ? La connaissez-vous ? Qui est-elle ? Quels sont ses buts ? Sommes-nous tous ici pour prendre part à sa libération à travers la guerre qui se prépare entre nos forces et celles de Oaxaca ? Éclairez-moi, je sais que votre lanterne brille au beau milieu de l'obscurité qui m'entoure, je suis certain que vous en savez beaucoup plus que vous ne voulez en dire...»
Tout en posant les questions qui me traversaient l'esprit, je sentis un choc violent venir du sol, nous étions sûrement en train d'atterrir, ou plutôt de nous écraser vu les tremblements qui s'acharnaient sur nous. En regardant par les fenêtres, j'aperçus des feuilles frapper le vaisseau dans des bruissements aigus. Je ne savais pertinemment pas que nous devions nous poser dans la forêt, la détruisant sans pouvoir rien y faire. J'eus une petite pensée pour Helce qui devait avoir chuter sur le pont à cause du choc, j'espérais qu'il ne s'était pas fait de blessures. Dans la salle commune, les assiettes et les couverts volèrent dans un fracas terriblement incommodant. Après que l'anyore se soit stabilisé, des gémissements de joie émanèrent de la salle, les voyageurs étaient tous plus ou moins heureux d'être toujours en vie.
(Nous avons eu de la chance, nous aurions pu mourir dans cet atterrissage forcé.)
Rapidement, un elfe gris apparut dans la salle commune pour nous avertir que nous étions à quelques mètres de Mertar et que nous devions nous rendre immédiatement sur le pont. Je me levai tout comme la femme étrange qui se trouvait à mes côtés et la suivis pour ne pas la laisser partir sans qu'elle ne me répondît ; j'avais besoin de savoir tout ce qu'elle connaissait. En me dirigeant vers le pont, un jeune homme ayant à peu près mon âge ou tout juste plus âgé, me poussa maladroitement, sans retenue. Je n'aperçus que ses cheveux blonds en bataille flotter dans les airs, diffusant la clarté du soleil ; je me dis que ce n'était pas de sa faute, il n'avait pas choisi sa couleur de cheveux, on ne pouvait pas l'en vouloir d'être indélicat. Je l'entendis crier de sa voix de le laisser passer car il était de la milice, comme si cela pouvait offrir une quelconque suprématie.
(Hé bien ainsi nous sommes deux à défendre les personnes qui en ont besoin...)
Nous sortîmes donc au grand air, ce que je regrettais vu la température plus que froide qui y régnait. Cela me rappelait les vols endiablés faits sur le dos de Helce dans les hautes altitudes où je m'étais littéralement gelé sur place. D'ailleurs, je le vis sur le pont attendant sûrement de venir avec nous, il s'approcha de moi lorsqu'il se rendit compte que j'étais là, effrayant les guerriers sur son passage. S'ils réagissaient ainsi face aux dangers, nous ne serions protégés contre personne et notre troupe de joyeux lurons ne feraient pas long feu dans les combats effrénés que nous nous apprêtions à livrer. Je ne voyais pas vraiment ce qui marquait de l'effroi chez le griffon, il était magnifique, m'avait sauvé la vie à plusieurs reprises et posé avec une douceur exagérée sur le pont.
(Aurait-il eu un élan de bonté ? En tout cas, je ne m'en plains pas.)
Autour de moi, des monts s'élevaient de la terre tels des pics parsemés de neige claire et lumineuse, allant jusqu'à éblouir mes fines prunelles bleues. Je dus me servir de ma main comme d'une protection pour ne pas les refermer aussitôt. J'étais enfin arrivé dans les montagnes si recherchées qu'il me fallait trouver, je me rappelais lorsqu'elles étaient lointaines et que je rêvais d'une seule chose : les atteindre. Ce paysage avait un côté enchanté car la forêt se mêlait agréablement au décor montagnard qui me faisait face. À quelques mètres au nord, un bloc de roches orangées se dressait majestueusement au milieu des pierres grises et mornes. Cela donnait un petit côté coloré fort intéressant, cependant, je me rendis vite compte que ce n'était pas la montagne mais bien une porte qui était incrustée dans les roches. En effet, l'entrée était faite dans un métal de la couleur du feu qui brillait sous les rayons incessants du soleil qui nous surplombait. Je me tenais stupéfait, j'étais devant l'entrée de Mertar, il ne me restait plus qu'à attendre que le personnel de l'anyore ait déployé la passerelle et je pourrais suivre la foule pressée.