Kerkan a écrit:
Je priais pour que Helce ne laissât approcher nulle personne de moi, je ne voulais pas risquer le moindre danger après tant de péripéties. Pourtant, une idée me vint à l'esprit, comment allais-je pouvoir suspendre l'importante hémorragie qui ne cessait de s'accroître ? Je ne pouvais utiliser mes pouvoirs, j'étais trop faible et puis, je n'étais pas un maître guérisseur, tout au moins pas pour le moment. Cependant, au bout de quelques minutes, j'entendis deux voix prononcer des paroles étranges qui ressemblaient à des formules magiques. Je me demandais ce qu'ils pouvaient être en train de mijoter, si des magiciens commençaient à s'attaquer à moi, il était inutile que je me défendisse car ni moi ni Helce n'avions les capacités de contrer des forces mystiques.
(Pourvu que l'on ne me tue pas...)
Néanmoins, le griffonneau qui avait pour habitude de glapir inlassablement, resta silencieux ; il devait sentir quelque chose. Une secousse parcourra le sol du bateau volant, j'espérais de tout mon coeur que ce n'était pas la créature monstrueuse qui avait réussie à nous rattraper. D'ailleurs, ses cris fendaient l'air tels des chants sybillins, une chose était sûre, on ne pouvait nier sa persévérance, à moins que ce fût simplement son ventre qui guidait ses battements d'ailes. Le griffon s'assit sur le sol tout en regardant l'homme avancer vers moi, je ne voyais qu'une silhouette difforme et grise marcher dans ma direction. Le coeur palpitant, j'attendais que l'inéluctable se produisît, je savais que je ne pourrais rien faire contre un être aussi puissant. Mais, lorsqu'il prononça quelques phrases de réconfort à mon égard, je m'aperçus que ce n'était pas un ennemi et qu'il ne voulait pas me faire souffrir. Ses paroles amicales me réchauffèrent le coeur, il y avait déjà un certain temps que je n'avais pas parlé à une autre personne qu'à Helce ; d'ailleurs, j'ignorais si je pouvais le considérer comme un être à part entière car il restait tout de même un animal sauvage.
(J'aurais mieux fait de me diriger vers ce vaisseau plus rapidement au lieu d'attendre de me faire déchiqueter par ce monstre d'écailles !)
L'homme se plaça derrière moi pour je ne sus quelle raison, j'eus soudain peur qu'il m'assommât pour ensuite me jeter par dessus bord. Et si ses quelques mots n'étaient qu'une ruse pour me mettre en confiance pour ensuite me pervertir avec des idées démoniaques ? Je me refusais totalement de me transformer en une créature assoiffée de sang, je n'étais pas ainsi, j'en étais certains, ma part de bonté restait intacte en moi... Après quelques secondes, je sentis les mains de l'homme caresser mon torse dénudé, peut-être était-il en train d'examiner mes blessures ou alors désirait-il les amplifier en plongeant ses doigts sales dans ma chair pure. J'hésitais à jeter quelques insultes bien piquantes à cette personne pour l'empêcher de me toucher, toutefois, je n'étais pas en position de discuter, je ne pouvais me le permettre.
(Pourquoi Helce ne réagit pas ? L'ont-ils tué ?)
En effet, je n'entendais plus un seul bruit franchir le bec du griffon, et il n'avait pas changé de position depuis les formules magiques. D'ailleurs, l'homme prononça quelques paroles lyriques et charmantes, j'avais l'impression d'écouter une berceuse elfique. Puis, je sentis mes douleurs s'enfuir à une vitesse extraordinaire, ma vue s'améliora et une certaine vigueur me redonna le sourire. Il était clair que je n'étais pas prêt pour endurer une nouvelle épreuve comme celle-ci, cependant, je n'étais plus au bord du gouffre. À présent, je pouvais entendre les gémissements de fatigue de l'homme qui se trouvait au dessus de moi. Ses traits ne me dirent rien, il semblait assez vieux, son visage était quelconque, j'aurais pu le confondre avec certaines connaissances. J'observai ses bras tremblants et fragiles qui ne purent retenir son poids, le guérisseur s'effondra sur moi.
(Il faudrait peut-être qu'il fasse un régime parce qu'il est assez pesant.)
Je m'écartai sur le côté et tentai de me relever à l'aide de mes bras encore hésitants. Je dus m'y reprendre à trois reprises avant de pouvoir m'asseoir convenablement au près de l'homme. La tête me tournait, je ne savais plus vraiment où je me trouvais, les chocs que j'avais subis me torturaient toujours l'esprit. Je n'oublierais jamais les affres de ce voyage perdu au beau milieu de l'extraordinaire et de la terreur. À mes côtés Helce me regardait tranquillement et poussait de petits cris qui semblaient marquer sa joie de me revoir entier. Je lui souris malicieusement avant d'observer les guerriers rassemblés sur le pont qui s'affairaient à faire battre en retraite le pseudo dragon. D'autres essayaient de remonter une personne qui avait due passer par dessus bord durant les attaques de la bête. J'espérais qu'il ne lui était rien arrivé car je ne me pardonnerais jamais d'avoir causé du tort à une personne que je ne connaissais point. D'autres êtres qui ressemblaient à des elfes que j'avais rencontrés à Cuilnen se promenaient sur le pont, certains gardaient leurs arcs bandaient vers le vide. Cependant, ces personnes avaient une peau qui tirait sur le gris argenté, je n'avais encore jamais rencontré ces êtres, ils étaient vraiment magnifiques.
(Mais, où suis-je bien tombé ? Je ne vois que très peu d'humains à part le guérisseur qui se tient face contre terre à mes côté. D'ailleurs, il faudrait que je l'aide à se relever, il me fait un peu peine.)
Je m'approchai de lui et le relevai du mieux que je le pus, en effet, il était plus lourd que je ne le croyais. Lorsqu'il fut assis sur ses fesses encore charnues malgré son âge quelque peu avancé, je me décidai à lui poser les questions qui me parcouraient l'esprit :
«Comment allez-vous ? Je vous ai vu défaillir sans pouvoir rien y faire. Je vous remercie de vous être occupé de moi, j'en avais vraiment besoin. Cependant, je souhaiterais savoir où je me trouve car je dois avouer que je suis un peu désorienté. Qui sont toutes ces personnes sur le pont, je ne connais pas leur race. D'ailleurs, je ne sais même pas ce qu'est ce bateau volant sur lequel nous nous trouvons. Je m'excuse de vous harceler avec toutes ces questions car certaines doivent vous paraître stupides.»