Lindeniel a écrit:
Le bruit bourdonnant des bouches remplies et mastiquant machinalement cette nourriture peu digne de ‘si grands aventuriers », tels qu’ils se plaisaient à s’appeler eux même, ces incapables, irritait au plus haut point les oreilles de Lindeniel, alors qu’il mangeait du bout de ses fines lèvres la nourriture qui lui avait été prodiguée, ou plutôt restant concentré sur les légumes peuplant son assiette, délaissant viande et autres sauces trop épicées pour son fin palais.
Alors qu’il mâchait avec dégoût un morceau de ce qui devait être une aubergine pas assez cuite et trempée dans cette sauce infecte qu’il s’était évertué à écarter au maximum, l’orque avec qui il avait conclu un marché arriva en grimaçant, à moins bien sûr que ce fut son air normal, altération sans doute due à la notion de beauté dans l’esprit du noble, et qui ne pouvait coller avec le faciès grotesque et affreux de l’orque. Il va de soi qu’il en était de même de son style, de son attitude, de son accoutrement, sa façon de se tenir, son hygiène, sa classe et autres joyeusetés qui marquaient les différences nettes entre un noble Hiniön cultivé et distingué et un abruti de guerrier orque.
Aussitôt installé, la bête à peau verte déblatéra un tissu d’âneries sectionnées en trois points principaux, dont Lindeniel pensait qu’ils étaient croissants en degré de bêtise. D’abord, il parla de son instinct naturel pour les situations à risque, ce qui confirma dans les pensées de Lindeniel que cette race s’apparentait plus à des animaux qu’à des vrais êtres civilisés, et qu’au lieu d’user du petit pois qui leur servait de cervelle, ils préféraient se fier à ce qu’ils appelaient instinct, qui dans de nombreux peuples expliquait généralement l’amour du sang et de la violence sale et répugnante…
Le second point concernait directement Lindeniel, et dès qu’il entendit ces mots, il sut que répondre à cet orque qui croyait penser… Le pauvre serait déçu d’apprendre que ça n’était en aucun cas le cas. Le troisième et dernier point de son discours concernait l’assiette de Lindeniel, gradation hautement symbolique pour un individu qui résonnait, ou du moins essayait, avec son estomac. Poussant son assiette vers l’orque, l’elfe prit une moue dégoutée en voyant ce qu’elle contenait : cette viande blanchâtre baignant dans sa sauce immonde.
C’est alors qu’un Sindel de l’équipage intervint pour pouvoir Krochar d’une assiette semblabla à celle qu’on lui avait confiée un peu plus tôt, ainsi que de sac de provisions et de boisson qui serviraient pour la suite de leur expédition. Se munissant de l’un d’eux, il répondit enfin à la peau-verte.
« Vous avez agi contre mon conseil, et je ne peux vous en blâmer. Vous faites ce que vous voulez de votre vie, je ne me permettrais pas de vous gronder comme l’on fait à un enfant après une bêtise. Je pense que vous avez eu tort d’agir de la sorte, et je vous le dis en toute franchise. Ce n’est que par une chance inouïe que nous sommes encore vivants. Vous pourrez remercier Zewen pour cette grâce qu’il nous a tous rendue. Pour ce qui est de l’assiette… Servez-vous, je n’en ai cure. Je n’ai que trop mangé cette nourriture peu à même de me satisfaire. Je ne mange pas de viande, pour ainsi dire, et je peux même confier à votre grand appétit les morceau de viandes fumées qui alourdissent inutilement mon sac, en l’échange de quoi j’aurai l’audace de vous demander vos noix et autres fruits secs, dont je devrai hélas me contenter… »
Il posa sur la table les morceaux de viande fumée et replongea son regard noir dans les yeux de l’orque, essayant de ne pas vomir en voyant de trop près cet être abject.
« Je ne vous permets cependant pas de juger mon intelligence, vous êtes mal placé. À ce que je sache, la drow n’est pas touchée, mon brio est donc entier… Je ne pouvais savoir que la carapace de cette bête résisterait à ça. Quoi qu’il en soi votre intervention n’était pas plus utile que la mienne, si ce n’est que la mienne était moins risquée. J’ajouterais qu’au départ, nous ne devions pas sauver la drow… Elle s’est volontairement mise dans cette délicate situation pour se faire remarquer, car comme vous le savez, les drows ne sont pas réputés pour être très altruistes, et cette femelle est, je le crois, un bon exemple de cela. Je conclurai ces paroles par un avertissement. Je conçois assez peu que vous m’ayez demandé de vous respecter alors que sur le pont, vous venez de m’insulter, fut-ce dans un langage orque. Vous me sous-estimez, très cher, en croyant que je ne peux vous comprendre, étant très cultivé. Je vous serais donc gré d’à l’avenir éviter… Une insulte n’est-elle pas pire qu’un simple regard, orque ? »