Un, deux, trois, quatre... Nom d'une fichue larve, il y a tellement de géants que je suis incapable de les compter!! J'ai rapidement parcouru la distance entre la zone d'embarcation et le port de Kendra-Kâr, ma route n'étant pas emcombrée de badauds à la hauteur où je volais. A présent je suis en vol stationnaire, une bonne vingtaine de mètres au dessus du sol (enfin, au dessus du tapis en poils de géants), et j'observe, une nouvelle fois ébahi, le tableau qui se peint sous mes yeux.
Je passe déjà sur l'océan, qui me flanque la trouille rien qu'en le regardant. Invariablement, mon regard cherche l'horizon, et se noie dans l'étendue bleutée. Dire que je vais devoir naviguer sur autant d'eau! Je préfère ne pas y penser pour l'instant.
(Haut les coeurs Sil'! Tu vas te débrouiller, j'en suis sûre!)
(Haut-le-coeur tu veux dire...)
Aurore pouffe à ma sombre boutade, tandis que je détaille les six navires (entre-temps, Aurore m'avait décrit succintement ce qu'était un bateau, j'ai donc pu les reconnaître.)flottant paisiblement sur les eaux troubles et puantes du port (ça sent d'ici).
Une chose est sûre, l'aventure semble gonfler leurs voiles à chacun. Chaque bateau, plus imposant et impressionnant que son voisin, mais tout aussi prometteur en péripéties dignes d'une odyssée, et en trésors pharamineux, rutile dans toute sa puissance, cherchant à attirer de vaillants aventuriers parmi son équipage. Ils sont tous à ma recherche, en somme... Je ne m'attarde que très rapidement sur le navire noir, vide et lugubre, qui ne m'inspire rien d'autre que des crampes d'estomac (toujours faire confiance à son estomac...). Je passe aussi sur l'énorme forteresse blindée d'acier, qui paradoxalement, est peuplée de petits personnages (enfin "petits".). Parader dans un tel monstre de fer relève probablement d'un incurable problème d'égo.
Les quatre navires restant sont bien plus passionnants à dévorer des yeux. Deux d'entre eux sont imposants, fiers mais plutôt... conventionnels. Ils sont pratiquement identiques, si ce n'est qu'ils arborent des couleurs différentes, mais d'une pédance égale.
Un autre, plus petit que les autres, mais qui semble étrangement plus robuste, et expérimenté (dur à dire pour une coque de bois, je sais...), flotte nonchalamment près des mastodontes précédemment décrits. Pas de doute, il se dégage de ce navire un petit quelque chose de piquant.
Et enfin le dernier navire, la merveille flottante. D'un blanc pur et lumineux, d'une finesse laissant deviner sa vélocité et sa grâce, ce dernier irradie. A mon sens les autres navires font bien pâle figure auprès de cette Finesse matérialisée.
Même perché à ma hauteur, je ne peux qu'entendre la foule vagissante, agglutinée près des quais, dans une attente aussi fébrile que passive. En effet, il m'apparaît que bien peu de géants osent se lancer, et se présenter aux différents navires pour demander une place dans leur équipage.
En me rapprochant un peu plus des navires, assez pour détailler leurs occupants, je vois une jeune géante, à l'air leste et espiègle, papillonner et éblouir le capitaine à l'air redoutable du navire-râblé-et-baroudeur. Près d'elle se tient un elfe noir, raide comme un piquet, et une étincelle perturbante dans les yeux (je sais, j'ai une sacrée bonne vue...).
Près du navire le plus adulé par la foule, semble-t-il, un géant un peu moins géant discute avec un soldat attablé.
Et enfin à côté du navire étincelant, occupé par des elfes à mon grand plaisir, je vois s'éloigner un grand elfe bleu à l'air rêveur et satisfait, suivi d'un géant tout de noir vêtu. Je ne manque pas de frissonner en remarquant les bestioles qu'il trimballe sur ses épaules.
Tous ces personnages ont osé se lancer. De futurs compagnons de voyage? Toujours est-il que chacun d'entre eux semble animé d'une énergie farouche et menaçante. Voilà qui m'aide à comprendre quel genre de géants je vais devoir me coltiner sur mon navire... Ayant observé la populace, les navires, les fiers aventuriers en partance tout mon saoul, j'inspire profondément avant de me diriger vers le navire des elfes. Encouragé mentalement par Aurore -comment pourraient-ils refuser un être aussi exceptionnel que moi?!-, je ralentis peu à peu la cadence de mes ailes, pour finir par me placer à quelques dizaines de centimètres d'un des elfes.
Ce dernier est d'une beauté à couper le souffle.
(Voilà qui me fait largement remettre en cause la tienne, la Faera!) pensai-je insidieusement à l'adresse d'Aurore.
(C'est la mocheté ailée qui me parle là?)
J'ai le temps de le détailler rapidement avant de prendre la parole: grand (sans blagues?), fin et gracieux, un sabre redoutable à son côté, et une assurance hors du commun. Voilà qui impressionne... Cependant je ne me laisse pas démonter, et m'exprime d'une voix claire (enfin j'essaye):
" Je vous salue, noble Elfe. Je me nomme Silmeï, je suis un Aldryde de la forêt de Cuilnen. J'arrive tout droit de Lùinwë, par cynore, m'étant précipité dès que j'ai appris la nouvelle d'une palpitante aventure maritime approchant. Si j'ai bien compris, vous êtes à la recherche d'aventuriers pour renforcer votre équipage? J'ai de très modestes talents de magicien, qui, sait-on jamais, pourraient vous servir, et ce serait avec joie et honneur que je me joindrais à votre équipée. "
Les paroles me sont venues plus ou moins spontanément. Dieu merci j'avais déjà cotoyé l'époustouflante beauté des elfes; je n'aurais pas été capable d'articuler trois mots sinon...