La réponse du marin ne se fait pas attendre.
« Hé ben j’aurais jamais cru qu’il y aurait autant de rancuniers de Kendra Kâr en son propre sein ! Si t’as la haine contre les officiers kendran, c’est une assez bonne raison pour venir me voir ! Sers-moi la pogne et tu seras embauché sur l’Echangeur, Mathis. » Je suis un peu surpris par la rapidité de sa réponse, je m’attendais à un petit interrogatoire. De peur qu’il ne change d’idée, je lui empoigne vivement et fermement la main et m’empresse de lui déballer tout de même mon baratin.
« Je n’ai pas peur du labeur et sur le bateau il n’en manquera pas. J’y mettrai toute l’ardeur qu’il faut pour vous servir. Pour conserver ces muscles sciemment sculptés, je suis prêt à travailler d’arrache-pied. Je n’ai rien d’un combattant à poing nu, puis pointant à nouveau mon nez de ma main libre,
mais je suis une fine lame » Je lui lâche enfin la main puis voyant que les chats étaient toujours à mes pieds, j’en ramasse un dans mes bras et lui caresse doucement le dos.
« Il s’avèrerait utile de capturer deux ou trois de ces chats. Rien de mieux dans le navire que ces adorables félins pour se débarrasser de la vermine qui s’est sûrement infiltrée au moment de l’approvisionnement. Sur ce, je vous salue monsieur! » Bien content de moi-même, un chat sur l’épaule et l’autre à mes pieds, je me retourne pour remarquer Rosie. Je lui fais mon plus beau sourire démontrant ainsi mes belles dents blanches.
Avant qu’elle n’ait le temps de se rendre à la table de recrutement, je fais rapidement volte-face et rajoute à l’intention du marin préposé à l’inscription :
« J’ajouterais que j’ai une puissante voix de ténor. Par mon chant, je pourrai divertir les matelots lors des moments d’ennuis ou de découragement. »Satisfait une fois de plus, toujours en compagnie de ces gracieux félins qui ne semblent plus vouloir me quitter, je me dirige vers l’étalage des marchands bien décidé à me procurer une boisson quelconque contre le mal de mer. Chemin faisant, j’examine mes deux nouveaux petits amis. Le premier, un mâle, bien posté sur mon épaule, affiche une admirable robe tricolore agrémentée par de charmants yeux marron. Le second, une femelle entièrement noire à l’exception de ses yeux couleur de braises semble préférer se déplacer librement au sol tout en me suivant avec acharnement.
Arrivée à l’étalage comportant des potions de toutes les sortes, je suis vite déchanté. L’homme qui s’y tient derrière a une allure lugubre, édenté, les cheveux rares et sales, sans parler de son visage recouvert de pustules. Quant à ses produits, nombreux et variés, ils ont eux aussi un aspect peu tentant pour un éventuel client. Quelques fioles semblent destinées à soulager divers malaises dont les maux de mer, mais leur apparence me dégoûte. Je décide donc d’abandonner cette idée, et me contente de me promener sur les quais en entendant le moment de l’embarquement.
Je suis heureux d’avoir finalement choisi L’Échangeur. Et puis, l’être gris y est engagé et Rosie s’apprête à le faire aussi. Il m’a lancé un clin d’œil amical auquel j’ai répondu. En ce qui a trait à Rosie, j’ai eu juste le temps de lui sourire. Je connais à peine ces deux êtres, mais c’est déjà mieux que le reste de la flotte qui est constitué de parfaits inconnus.
Pour tuer le temps et sans gêne aucune, je me laisse aller à chanter d’une voix claire et forte un chant mainte fois entendu et bien approprié aux circonstances.
« Ils ont rêvé de parcourir les mers
Ils ont rêvé de courir les pays
Ils ont rêvé durant de longs hivers
Ils ont rêvé sous les vents sous les pluies
Qu'un jour enfin ils pourraient naviguer
Voir des pays, des tempêtes et des quais
Et les voilà partis de village en village
Sous le soleil d'été pour ce long voyage
Les ancres sont levées, levées!
Les voiles sont gonflées, gonflées!
Vous les verrez passer,
les aventuriers »