Visiblement, l’affreux gnome fut enjoué de la réaction d’Ybeild, puisqu’il le félicita avec verve et complaisance, jurant sur Yuimen qu’il était avant tout là pour nous aider. Et enfin, alors que le paysan polémiquait sur ce qu’il venait de dire, arguant qu’il ne tiendrait pas longtemps à parler avec de telles futilités langagières, Pipapoum se jeta dans les bras de son jumeau, qui arrivait à la tête d’un groupe, et ils se fondirent l’un dans l’autre pour ne plus former qu’un. Gurth fronça les sourcils, mécontent et soupçonneux. De quelle nature était donc cet être ? Une illusion magique, peut-être. Un artifice créé pour les malmener, ou pour juger de sa fidélité aux divinités sombres, lui qui s’était depuis trop longtemps, peut-être, éloigné de son Temple.
Le groupe qui approchait n’était autre que celui qu’ils avaient quitté quelques instants plus tôt : Le grand Isaac avec le moine évanoui sur le dos, le fennec bipède, la donzelle peu vêtue et le couple. Il avait oublié tous leurs noms, si tant est qu’ils les avaient prononcés. Ils n’étaient que des tas de chairs et d’os, pour l’Ogre, animés de cette atrocité que l’on nomme la vie.
Avec eux se promenait une nouvelle arrivante : une orque repoussante à l’allure guerrière. Une représentante de ce peuple meurtrier et belliqueux à souhait, serviteurs asservis du grand Thimoros, et de sa fille, Oaxaca. Loin de vouloir se présenter, à leur hauteur, elle répliqua à Pipapoum que les présentations n’étaient pas nécessaires, l’enjoignant par là-même à répondre prestement à la question qui, semblait-il, venait d’être posée à ce gnome dégénéré. Elle avait beau sembler revêche, sa crédibilité en prenait un coup, avec le langage abscons et ridicule que lui avait enseigné Pipapoum. Gurth cracha par terre de voir cette garzok se plier aux caprices d’un joueur de tours farceur, et il grogna en la regardant.
Un commentaire naquit à cet instant sur sa droite : le paysan kendran venait de lâcher, comme une timide boutade, des inepties inconsidérées. La réaction de l’Ogre ne se fit pas attendre. Émettant un grognement désapprobateur, il lança la main à plat vers l’arrière du crâne chevelu d’Ybeild pour lui donner une tape à l’arrière de la tête. Pas forte, pas pour le blesser, juste pour le ramener à l’ordre, et au respect de l’obèse. Car oui, Gurth était déjà lié aux dieux sombres par l’esprit et le corps. Nul autre sentiment ne pouvait exister pour lui que cette adoration, et la haine qui en découlait.
Gurth, niant toute autre intervention dans le groupe, s’adressa à Isaac d’un ton de mécontentement.
« Alors, qu’est-ce que c’est que ce foutoir ? Vous manquez à votre devoir. Kendra Kâr est-elle donc incapable au point de ne pas pourvoir à la protection de ses propres portes ? »
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Gurth Von Lasch - l'Ogre de TulorimJe hais les testaments et je hais les tombeaux ; Plutôt que d'implorer une larme du monde, Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde. (Baudelaire - Le mort joyeux)
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