Le petit être, ainsi, se nommait-il Pipapoum… Un curieux nom, pour une bien curieuse personne. Et plus étrange encore, qu’Orik et Ybeild, ou même Gurth – comble de l’ingrat. D’expression pour le moins singulière, de plus, car il semblait que ses paroles ne pouvaient lui échapper sans qu’il y eût, avec, une comptine enfantine. Pourtant, ses mots n’eurent pas sur Elris l’effet que l’on attendrait d’eux sur une petite fille : loin de s’émouvoir, c’est un haut-le-cœur qui la saisit, toute entière, et il s’en fallut de peu pour qu’elle ne vomît par terre. Comment se faisait-il qu’une petite chose si mièvre lui fît connaître pareille sentiment ? Elris ne savait pas s’il s’agissait de fureur ou de dégoût, mais le refus de l’étranger lui retournait l’estomac. La bile lui montait à la gorge à la simple pensée de Petite Pomme, qu’elle était sûre, ou presque, de ne jamais revoir maintenant.
Un brin d’humiliation, également, lui étreignait les tripes : ne s’était-il pas adressé à elle ? Alors pourquoi, dans ce cas, s’être tourné ainsi vers le Monstre qui ne méritait de rencontrer sur son passage que répugnance et hargne ? Et le petit, au contraire, étirait sa bouche en sourire, et lui adressait de belles allitérations.
Soudain, Elris remarqua que Gurth élevait son bras titanesque, avec en main une arme à l’aspect terrible et à l’éclat d’une obscurité effroyable. Son sang, alors, ne fit qu’un tour, et elle se sentit tétanisée : rage de retrouver Petite Pomme, certes, honte d’être laissée de côté, sûrement, mais de là à oser lever la main sur ce petit être ? Les tourbillons sanglants de sa prime enfance lui revinrent alors en mémoire, elle revit, en un instant – si peu – l’horreur de la Meute. Les ténèbres. La neige. Le feu dévorant. La lame élevée, sa ligne brillant dans l’éclatant brasier, dansante et lugubre, teintée, souillée par la gorge des sacrifiés. Déjà ? Déjà tant de morts ? En vain ? Elris sentait son cœur battre à tout rompre alors que défilaient dans son esprit trop tôt adulte les yeux des prisonniers, et, sur eux, la mort comme une pellicule de givre que l’on ne peut défaire.
Peu importait le froid. Peu importait la faim, la mort ou la souffrance. Peu importait, encore, la solitude. Rien ne saurait épargner ceux qui se faisaient dieux, pour dispenser la mort. Rien ne saurait excuser la haine. Elris ressentait dans ses veines l’appel des tambours de guerre ; oh, si peu… Une petite chose, cet être, ce Pipapoum. Si peu de choses, en effet, mais ce Gurth, décidément, lui rappelait Olotherd. Quitte à prendre le coup, tant pis. Quitte à mourir, encore, et quitte à ce que le petit lui emboîte le pas dans les limbes éthérées, Elris préférait s’élever. Elle saisit imperceptiblement son arme, alors que le Monstre fixait d’un œil noir sa cible nouvelle, et qu’autour d’eux, personne ne semblait en alerte, comme s’ils ne voyaient pas. La petite sentit le cuir entre son pouce et son index, la douceur d’une fine peau tannée, délicate et fragile, et souple : peut-être le dernier contact qu’elle aurait, et elle le savourait. Alors, sans qu’on la remarquât, elle plaça une petite pierre dans sa fronde, et visa de son mieux le poignet gras et laid du Monstre. Le poignet. La main. Celle qui tenait fermement l’instrument d’agonie. En espérant, ainsi, atteindre son but.