Cromax a écrit:
À ma grande surprise, et au grand soulagement des doigts frétillants et j’imagine ô combien habiles de mon ami drow, la créature se détourne de la main avancée vers lui après l’avoir reluquée avec intensité de son gros œil globuleux qui reluit d’une lueur de bêtise. En effet, la bestiole ne doit pas avoir l’intelligence très développée au vu de sa capacité crânienne limitée certainement aux processus basiques de son être, à savoir voir, manger, marcher et sortir du sol au bon moment… Une créature archaïque donc, très certainement, qui sans doute n’a aucune notion du bien et du mal, ni même d’une quelconque forme de pensée.
En tout cas, elle ne semble pas trouver la main de Daïo à son goût et se détourne vers le sommet, où brille toujours celle curieuse lueur bleutée vers laquelle se dirige vivement la créature mystérieuse, qui semble être douée quand même d’une mémoire fonctionnelle, puisqu’elle gambade gaiement et avec une facilité déconcertante sur les pentes rocailleuses, à moins bien entendu que ce plaisir de courir sur les collines de ce monde affreux ne soit inscrit dans ses gênes insidieux. Le machin sans nom trottine donc avec engouement vers la source de lumière, qui s’avère peu éloignée de notre position actuelle, et c’est tant mieux. Je la regarde atteindre celle-ci assez rapidement, et m’aperçois alors que cette même lueur bleue n’est pas directement posée sur le sol, mais surélevée à quelques mètres au dessus du sol, au bout de ce qui semble être un trépied sombre sur lequel elle repose, inerte.
Suivant mon ami le maître d’arme qui s’élance à la poursuite de la bestiole au physique disgracieux, je parcours rapidement la distance qui me sépare de lui pour le rattraper dans sa course tranquille sur les flancs de ce mont étrange que nous escaladons sans difficulté, mais avec une moins grande rapidité que le truc difforme.
Avançant à ses suites, notre petit groupe se rapproche de plus en plus du but de l’escalade : la lueur bleue. Et nous nous rendons vite compte que son socle sombre est vivant… Non pas que celui-ci soit une statue animée par des maléfices étranges, mais je faisais erreur quand à ma vision, puisque c’est un humanoïde qui se tient là droit comme un I, et non un vulgaire bout de bois ou de pierre. Nous rattrapons Machin dans sa course ralentie soudainement, le suivant désormais d’à peine quelques mètres sur la colline brunâtre.
Peu à peu, je commence à distinguer les traits du porteur de la flamme bleutée : un homme ! Mes yeux s’ouvrent bien grand pour pouvoir voir ce qui semble être un humain posté là en haut de cette montagne. La stupeur s’abat sur moi.
Vêtu tel un fantôme, de loques blanchâtres et déchirées, lui dévoilant un buste puissamment musclé, il porte à la main un curieux flambeau qui émet par je ne sais quelle magie une brume opalescente et légère autours de notre petit groupe. Ses longs cheveux noirs fouettent son visage fermé, emportés par le vent soufflant par rafales régulières, comme si le monde respirait. La grosse tête rougeaude me revient alors à l’esprit, et je n’ose me retourner de peur de la voir, plus terrifiante que jamais, derrière moi.
L’homme est droit et fier, les bras écartés et les jambes jointes. Il ne bouge pas, il ne fait rien, restant immobile même à notre arrivée.
(Il doit avoir les yeux fermés)
À ses pieds s’écoule une brume épaisse et presque liquide, qui s’étend tel un fluide tout autour de lui, sur le flanc de la montagne. C’est vers cette même brume que la créature nous précédant se dirige pour y disparaître après un dernier regard intense, mais comment un regard ne pourrait pas l’être avec un œil si gros. Elle est ensevelie totalement par le brouillard étrange, qui sonne dans mon esprit comme la vision que Lillith avait eue avant notre escalade : une porte vers un autre monde.
À peine ai-je le temps de digérer l’information que De s’adresse à l’homme avec une éloquence de guerrier qui désire parlementer. Il se présente, ainsi que moi et mon amour, pour finir par le médecin qui nous accompagne passivement, tremblant de peur à chaque pas qui l’éloigne de son protecteur Bogast, sans doute déjà mort en même temps que Lothindil… Sans magie, ils ne peuvent pas grand-chose contre ce monde… L’elfe noir finit son conciliabule par une question à l’homme, qui lui met un vent énorme en ne répondant pas…
(Il doit être dans une transe divine à ne pasperturber...)
(Tu parles, il doit tout bonnement dormir, le bougre… Depuis combien de temps tu crois qu’il fait le pantin inanimé là sur sa montagne ?)
(Un bail, très certainement ! Il est peut-être empalé sur un pieu fin et vertical qui nous est caché par son corps…)
(J’aime assez cette vision…)
(Ah bon ?)
(Heu… Concentre-toi sur le brouillard !)
(Oui, tu as sans doute raison…)
Le brouillard, liquide, mystérieux, mouvant comme s’il vivait, glissant sur les pentes légères comme une coulée de lave gelée et gazeuse. Je me sens irrésistiblement attiré vers cette entité inconnue… Et je m’y dirige, d’un pas lent et posé, après avoir dit doucement à mes compagnons :
« Mais qu’attendons-nous ? »
Au risque de me prendre un gros bide en traversant la brume sans disparaître vers un monde qui ne peut être que meilleur que celui-ci, j’imagine le prétexte qui pourrait me servir d’excuse : Je me suis dirigé là-bas pour saluer de plus près le porteur de flambeau. D’un pas gaillard, mais pas très rapide, je m’avance vers le brouillard, au point de l’effleurer, au point d’entrer dedans…
(Je vais le dépuceler ce brouillard frigide !)
(Ça va faire mal !)