Cromax a écrit:
Mon amant me répond qu’il vaut mieux que De et moi soyons libres pour nous défendre contre un ennemi qui surgirait soudainement du néant de la plaine désertique qui s’étend sous nous. Il a raison, je le sais, et je lègue le médecin à Lillith, qui très vite est rejoint par De, qui ne peut laisser mon amant porter seul ce fardeau humain qui sanglote dans leurs bras, à la limite de l’inconscience et du délire. Daïo assure que même en soutenant ainsi le traître, il arriverait à lancer un Rana Slash, sa puissance attaque qui semble magique, bien que je n’en ai jamais compris le fonctionnement, mon ami drow n’ayant pas une once de magie en lui. Un don, sans doute, ou une technique ancienne qui lui a été enseignée, ou un cadeau de la Déesse du Vent et de l’Air, bien que je ne crois pas qu’il ait été mêlé à ce culte, ou du moins pas autant que moi qui en ai sauvé de la mort un grand prêtre agonisant presque, mentor de Fléau, mon ami que je n’ai plus vu depuis si longtemps.
Nous entamons ainsi donc la marche vers le cercle de feu qui brille au loin à l’horizon après que mon amour m’ait conseillé de servir d’éclaireur à notre petite équipée. Je ne peux qu’acquiescer avec un sourire gêné, me demandant sincèrement si dans un tel endroit un éclaireur est nécessaire… Après tout, la plupart des ennemis que nous avons rencontrés ici sont sortis du sol, et rien ne pourrait empêcher qu’ils recommencent à nouveau. Mais sachant mon amant en sécurité auprès du Drow, je m’avance et les devance pour satisfaire la tâche qui m’a été incombée.
Je ne pars pas trop loin d’eux, quelques dizaines de m§tres tout au plus, scrutant sans cesse la plaine aride et dénuée de vie et de mouvement, si ce n’est ce vent qui continue de fouetter ma peau grise à l’aide de rafales et de grains de sable.
Il y a moins de tombes que lorsque nous sommes arrivés dans ce lieu maudit. Tout juste deux trois éparpillées par ci par là de temps à autre autours de nous. Prudent, je préfère en éviter la proximité, de peur que des morts décharnés mais se mouvant encore en sorte pour nous attaquer, et cela même si ça nous fait faire quelque petit détour négligeable. La sécurité et la prudence est tout ce qu’il nous reste en ce monde impitoyable où la vie n’existe pas.
Je marche ainsi plusieurs heures, sautant par-dessus des rochers bas, des plaques de gravillons de couleur ocre et faites de sable aggloméré. Je me retourne constamment pour voir l’avancée de mes trois compagnons de marche, loin derrière moi, et les attend un peu plus chaque fois, gardant toujours une dizaine de mètres de distance au minimum entre eux et moi. Notre périple est lent, et la monotonie du voyage me gagne. Il ne se passe rien, toujours cette marche épuisante vers cet anneau de feu qui rougeoie toujours devant nous, dressé comme une porte au milieu d’un désert chaotique de roche et de sable, sous ce ciel menaçant de ses lourds nuages noirs qui se meuvent comme s’ils étaient animés de vie.
Mes pas sont lourds, pesants sur la terre qu’ils foulent au rythme lent de mon cœur inquiet. Ce calme n’est pas normal. Nous marchons ainsi sous la surveillance de cette tête immonde qui nous observe toujours dans le ciel sans prononcer un mot, nous suivant juste du regard, sans intervenir. Aurait-elle enfin admis que nous marchions sur ses terres, où recouvre-t-elle ses forces machiavéliques pour nous enfermer à jamais dans ce monde cruel empli de tortures et de morts. Cette marche n’est-elle là que pour nous épuiser physiquement et nous casser mentalement ? Avant que nous ne passions l’ultime épreuve qui nous a été promise. Le sadisme de cet être abject semble sans limite et je ne serais étonné qu’il nous joue à nouveau un tour, pour tous nous éreinter, nous tuer d’épuisement.
(Tiens bon, mon amour, ma vie, mon corps et mon âme. Tu n’en seras que plus récompensé d’avoir survécu à cette épreuve. Tu en ressortiras plus fort et plus puissant. Chacun s’agenouillera devant toi pour te saluer, toi et ton courage, ta ténacité et ta persévérance. S’ils savaient qui tu étais, ils souffriraient d’avoir peur de toi, tous autant qu’ils sont, sans exception.)
(Qui je suis ? Mais moi-même je ne le sais pas ! Tu me caches des choses Lysis… Pourquoi ces gens devraient-ils avoir peur de quelqu’un comme moi, d’un enfant abandonné qui a grandi dans la forêt, avec pour seul précepteur un vieil elfe des bois ?)
(Si tu es abandonné, tu n’en as pas moins une lignée. Tes parents, qui qu’ils soient, ne t’auraient jamais abandonné s’ils n’avaient pas été contraints à le faire. Écoute ta voix intérieure… Ont-ils été lâches de t’avoir laissé à toi-même ? T’ont-ils réellement abandonné, ou juste perdu ? Ne juge pas sans connaître, mais apprends à détester ton sort injuste.)
(Je ne comprends pas ce que tu dis… Arrêtes, je n’en peux plus, je vais mourir ici, y rester à jamais. Je ne reverrai plus jamais les forêts de mon monde, ses plaines et ses montagnes, ses villes éparpillées, ses mers tempétueuses, ses vaillants guerriers, prestigieux mages et gentes demoiselles aux corsets dénoués. Peu m’importe désormais le sort de ce monde où je ne vis plus. Je suis mort à leurs yeux, et ils sont morts aux miens. Plus rien ne m’attache à eux que des souvenirs lointains.)
(Détrompe-toi. Car si tu es loin d’eux, ils n’en restent pas moins dans l’espoir de ton retour. Là, tu seras grand et impérieux. Tu réclameras ce qui t’es dû, et ta légende sera contée dans toutes les tavernes et auberges. Cromax le Grand, le vaillant Sindel.)
(Ou le pauvre batard… Comment les gens pourraient-ils ignorer un héro sans nom ? Une image sans visage, sans famille. La gloire ne m’intéresse pas, et je n’ai que faire de la reconnaissance de ces personnes dont la vie ne vaut rien, car ils ne savent pas ce que vaut la Vie. Seuls ceux qui m’accompagnent, qui ont vécu ce que j’ai vécu méritent de vivre encore…)
(Bien, tu l’as enfin compris. Seule ta vie compte, et tes amis ne comptent que s’ils endurent la même chose que toi, que s’ils t’aident, te soutiennent. Ceux-là, tu dois les garder, tous, sans te fier aux rumeurs sur eux…)
(Des rumeurs ? Où vois-tu des rumeurs, Lysis ?)
(Chut… Il est des choses que tu ne dois pas encore connaître, mon amour. Les ombres vont et viennent dans le monde qui t’a vu naître. Tous en portent en eux, toi y compris. Certaines sont plus grandes que d’autres, mais il ne faut en avoir peur. Elles te gardent… Ce sont tes amies…)
Mon attention se reporte sur la route que nous empruntons depuis je ne sais pas combien de temps. J’ai été bien piètre dans mon travail de vigilance, et j’ai eu beaucoup de chance que rien ne me soit arrivé. Autour de moi, le décor a changé. Le cercle de feu s’est rapproché, il n’est désormais plus qu’à quelques foulées, flamboyant terriblement de ses flammes qui semblent lécher l’air et le ciel de leur lueur chaleureuse.
Partout autour de cet immense anneau enflammé, des arbres calcinés, des conifères qui brûlent, encore debout ou couchés, abandonnant la vie qui leur restait pour se consumer lentement par le feu destructeur. Je me retourne alors vers mes compagnons. Sans le vouloir, je les ai un peu distancés, et ils semblent peiner à me rattraper, soutenant toujours le médecin agonisant. Je les regarde s’approcher sans esquisser le moindre geste. Mon expression faciale est figée dans un air grave, et le feu qui brûle autour de moi se reflète dans mes iris noirs, comme si les démons de la colère et du mal m’avaient possédé. Mon visage est sale, parcouru de quelques traînées de cendre noirâtre, et tout mon équipement n’est pas moins propre. Un aventurier abattu, un guerrier solitaire et vaincu. Je n’ai pas fière allure, même si mon expression impérieuse semble vouloir montrer tout le contraire.
Enfin, quand ils me rejoignent, je me retourne vers le cercle de feu qui se dresse devant nous.je le regarde comme s’il me lançait un défi, une main tenant fermement la Hache Dorée, et l’autre le cimetière du Pyromancien encore au fourreau. Je suis prêt à affronter la mort elle-même, si elle venait à se présenter à moi. Et ce pour la vaincre et m’offrir une vie éternelle. Je veux braver son funeste pouvoir pour ne plus jamais revoir ce monde affreux, ces abysses infernaux où mon esprit et mon corps sont torturés depuis maintenant trop longtemps.
J’ai besoin d’air…