Cromax avait prononcé quelque chose, quelque chose dit d'un ton bas, à peine murmuré que seul le pieu silence avait porté à ses oreilles, sans quoi, ses paroles se seraient sans doute effacées au premier bruit parasite. Il lui sembla avoir entendu qu'il parlait de secrets enfouis. Tous deux étaient marqués, Hrist avait bien fait le rapprochement entre la rose qu'il arborait à la poitrine et la malédiction qui avait frappé sa chair lors de sa résurrection.
Toutefois, il se montrait nettement moins pessimiste qu'elle. Encore une fois. Là où Hrist avait préféré la discrétion, Cromax ne voyait pas d'un mauvais oeil le fait que Calech soit en train de colporter la nouvelle. Cette réticence était dû au constat que Cromax évoqua à son tour, les cicatrices qui lui barrait le visage. Certes, il était dur de jauger le passif d'un être par le simple fait de ses cicatrices, aurait-il pu être un soldat, un mercenaire, un ancien combattant aujourd'hui guide ? Amarthan et sa compagne avaient balayé cette éventualité d'un coup d'un seul, tous deux avaient bien entendu là que Calech avait un certain passif et qu'il n'avait pas voulu mentionner quoique ce soit. Si dépouiller deux riches Elfes était son but, il avait de quoi motiver quelques Malandrins dans la nuit et organiser quelque chose au petit matin.
Hrist ironisa, est-ce qu'il savait sur qui il était tombé ? Dérouiller du bandit au petit déjeuner ne la dérangeait pas outre mesure, Cromax n'y verrait pas d'objection et ça lui permettrait d'apaiser un peu son envie de sang. Hrist recommençait à avoir l'oeil fauve, la violence d'Omyre qui lui manquait tant, elle n'en trouvait rien en ces lieux. Certes, la mission était plus délicate et elle en était consciente, mais ses pulsions reprenaient le dessus.
Cromax se redressait après s'être débarrassé de ses bottes blanches. Il ne partageait visiblement pas l'avis de la tueuse qui avait en tête de faire avancer les choses, quitte à les précipiter. Même si dans ses explications, il montrait une certaine connaissance de la politique actuelle d'Ilyria, Hrist désapprouvait légèrement. Déjà, le fait de prendre Calech comme référence pour indiquer que le trône doit être occupé. Hrist n'avait que faire des propos d'un sent-la-pisse des bas quartiers. Les grouillots se bercent d'illusions et certains le font même si bien qu'ils se bercent eux même. Non, selon elle, si les Humains n'avaient pas encore conscience que le monde était en péril, leur monde, il fallait leur flanquer un sérieux coupe de botte au fondement.
Cromax préconisait surtout de prendre le temps d'analyser la situation, d'étudier les options, de comprendre et de prendre des solutions adaptés et des risques mesurés. C'était moderne, osé, ça se valait intelligent mais ça manquait d'entrain. Hrist préférait accélérer les choses, elle ne voulait pas faire de courbettes à un cadavre pendant que la situation empirait. Ce qu'il fallait faire, c'était lui flanquer un oreiller sur le pif dans son sommeil, le tuer, rapatrier les plus à même de diriger sur le trône, envoyer les autres au fond d'un trou, signer des accords, placer ses pions et partir pour la ville suivante. Quitte à avoir un accord commercial, autant tout contrôler.
De plus, ses souvenirs revinrent à la douce époque de ses querelles avec la fameuse Guilde des Marchands. Elle avait bien appris une chose, c'est que lorsqu'on pourfend un marchand, il en vient un autre. Parfois deux. Lorsqu'elle fut toute petite, Hrist aimait à écraser les cafards et les blattes dans la cave où elle était recluse. Elle passait de longues heures à regarder au clair de lune ou d'une chandelle les larves et les oeufs qui s'animaient et gesticulaient, grouillant dans le cadavre de leur génitrice. En vint alors le rapprochement insultant, comparant sans vergogne les marchands à de vulgaires insectes, grouillants d'oeufs destinés à devenir aussi de la vermine. Colportant des immondices comme autant de menaces pour un royaume sain. Car là où il y a de l'argent, il y a corruption.
Hrist préférait nettement le sang à l'argent. Les dettes de sang n'étaient elles, pas prises à la légère. Donc de ce qu'elle voyait dans cette situation, c'était que ralentir leur plan augmenterait leur chance de se faire percer à jour, il fallait prendre en compte qu'ils seraient à coup sûr l'attraction principale des tous ces nobles en quête de trouver quelqu'un à séduire et auprès de qui placer quelques fonds sonnants et trébuchants... Ou pour se désennuyer, pour les plus perfides.
Rompre les accords ne voulait pas forcément parler de sombrer dans une guerre dans laquelle personne n'aurait quelque chose à y gagner, du moins, si elle avait bien suivi. Au contraire, il y aurait de nouveaux accords proposés avant et n'étaient-ils pas venus justement pour ça, de nouveaux accords ? Il y avait là une opportunité, à porter d'oreiller sur le bec même.
Mais qu'y pouvait-elle ? Ils devaient bien agir de concert sans quoi leur couverture serait compromise et la mission diplomatique et d'assassinat capoterait l'une comme l'autre. Hrist comprit qu'elle devrait ronger son frein, juste assez longtemps pour souvenir à Cromax l'urgence de la mission.
D'ailleurs, il approchait, d'un pas de velours il rejoint la jeune femme, les yeux dans les yeux jusqu'à ce qu'il ne décide de se pencher, ramassant ses vêtements usés et raides de poussières afin de les faire laver pendant la nuit.
Ce
semblant de contact avait quelque peu rompu sa concentration et ses pensées, toutefois, la jeune Sindel était bien capable d'échafauder son projet de meurtre tandis que Cromax séduirait la Cour, car il y parviendrait sûrement. Et avec un peu de chance, ils trouveraient peut-être quelqu'un avec deux ronds de bon sens qui offrira une solution à tous leurs problèmes, peut-être même un héritier légitime qui serait séduit - et comment ne pas l'être - par l'offre que proposait les deux elfes.
(" De quelle offre d'ailleurs ? Vous n'êtes que deux ploucs venus de nul part avec rien à offrir. Ah, si du vent. Vous offrez ce qui ne vous appartient pas, d'ailleurs, rien qui n'existe. Vous allez prétendre venir d'Eden, briller en société et lorsqu'ils découvriront que vous venez de Yuimen, de Tulorim ! Ahaha. Parlons en de Tulorim. Entre Eden et ce trou à rats, il y a un monde tout de même. Voire deux. Vous commencez déjà très mal ! ")Hrist resta pensive un temps, la Faera n'avait pas tout à fait tort, si l'image du Couple d'ambassadeurs Sindel pouvait sembler crédible, qu'en était-il de ce qu'ils avaient à offrir ? Et quelle preuve matérielle pourraient-ils avancer ?
(" A dire vrai... J'attendais une idée de génie de sa part. ")(" Un gros que dalle. Et si ça foire ? Il y a de bonne chance qu'on vous demande quelque chose de tangible, surtout que Calech le disait, Ô le Graaaand Calech porteur de guenilles. Quitte à l'écouter baver ses rumeurs à la con, autant entendre clairement que les marchands ne sont pas content quand on leur fait un coup dans le dos, alors vous, j'vous vois arriver de loin. Tralalala, on est des Elfes, on a tout plein de choses merveilleuses mais on peut rien vous montrer ! AHAHAHA ! Hâte de voir leur tronche. ")Hrist s'en pinça la lèvre. Si la Faera avait raison, ils ne seraient pas plus avancés une fois que la noblesse les aura snobés s'ils ne sont pas fichus à la porte avec les chiens Royaux aux trousses. Il fallait donc trouver quelque chose de différent, et avec un peu de subtilité, quelque chose qui leur permettrait de trouver quelqu'un dans cette foule qui en saurait quelque chose.
(" Allez, il y a toujours quelqu'un qui sait quelque chose ! ")(" J'ai bien une petite idée mais... Admettons. Mes bracelets coupent mon énergie le temps de quelques secondes, juste assez pour me donner l'impression de faire un malaise si on en croit ceux qui surveillent mon corps pendant la transformation. Si je l'activais juste quelques secondes, le temps de simuler un malaise que les médecins royaux ne pourront pas expliquer... ")(" Hmm ? ")(" Et bien... On peut considérer qu'il sera alors facile de prétendre être venu tous deux afin de découvrir le mal qui me ronge, disant qu'il s'installe sur Eden et que les Anciens clament que le mal est né ici et qu'il faut trouver une solution là où le mal est né. De plus, si quelqu'un sait quelque chose sur le drainage si on garde ce terme, ça nous avancerait déjà plus. ")(" Mieux... Et tu comptes lui en parler ou simuler un malaise à la Cour et le mettre devant le fait accompli ? ") (" J'hésite encore. ")Lorsque Cromax ayant eu la diligence de déposer proprement leurs effets respectifs sur le pas de porte s'installa dans le couchage pour s'étendre confortablement, regardant Hrist avant de s'assoupir, elle lui dit :
" J'imagine... Qu'est-ce qui nous coûte d'attendre un peu. L'important sera d'être prêts le moment venu. "Elle avait annoncé ça plus ou moins à contre cœur, Hrist n'y croyait pas trop; elle savait que trop de diplomatie, ça endormait et qu'un coup d'éclat valait bien de longues heures de négoce difficile. Et qu'importe si une guerre civile éclate ? Est-ce qu'il faudrait s'en priver si cela permettait d'aider ce monde à ne pas flancher ? Le Peuple d'Ilyria pourrait bien y passer, les Elfes l'ont déjà fait, ils ne devraient avoir aucun mal à parvenir à faire la même chose, au moins sur l'extinction.
L'esprit bien préoccupé, elle s'allongea à côté de Cromax et resta un long moment les yeux ouverts, dans le noir, pensive, à se demander où elle avait bien pu tomber et surtout curieuse de connaître le dénouement de cette fameuse histoire.
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Lorsque ses yeux s'ouvrirent au petit matin, elle se montra d'une humeur particulièrement joviale. Malgré une nuit pensive, longue et un petit mal de crâne du fait d'avoir trop pensé et trop peu dormi, elle se montra de bon entrain et salua Cromax simplement, d'une main douce posée sur son épaule, aussi légère qu'un oiseau sur sa branche. Le Sindel récurait son équipement, déterminé à être présentable même face à un roi probablement cadavérique et baignant sans ses fluides, priant ses Dieux morts de pouvoir les rejoindre au plus vite. Enfin, elle fantasmait sûrement. Sûrement ?
A son tour, elle nettoya ses affaires et s'habilla, apportant un certain soin à ses cheveux et ses parures. Coiffant ses longues mèches noire dans un petit chignon négligé maintenu par une cordelette violette particulièrement bien nouée. Ses armes également, affûtés " rasoir " étincelait presque autant que ses yeux ne pétillaient face à ses instruments de mort.
Sa robe encore tiède fut un plaisir très apprécié au petit matin, la jeune femme s'apprêta avec beaucoup de soin, veillant à ce que ceinture et couture soient impeccables, les armes propres enfoncées dans des fourreaux parfaitement bien soignés. Le Dragon de bronze bien polishé ainsi que son aiguille d'argent qui retenait sa Cape des Sylphes. Elle accepta avec un large sourire l'invitation de Cromax à descendre jusqu'au salon commun afin d'y retrouver leur " guide " et de découvrir bien vite s'il est fiable. La fiabilité commençant par la ponctualité. Dans un entrain ne lui ressemblant que peu, ce fut elle qui s'accrocha au bras de Cromax, bien décidée à jouer autant que son
époux, la comédie qu'il avait décidé d'installer.
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Sissi : 3303 mots