Rapidement, la Reine Insilbêth étend sur la table du boudoir une carte de la cité d’Illyria dévoilant schématiquement, de manière très simple, la position des points clés dans la bataille à venir : les remparts et portes, le dessin de la côte, ainsi que la position du Palais. Alors que je m’y attarde, Ixtli n’ayant pas capté mon regard, quelques nouvelles têtes font leur entrée dans la pièce, en la personne de Mastriani d’Arden, prince déchu de sa cité envahie, que la Reine elle-même décrit comme le futur Roi d’Arden. Elle va un peu vite en besognes, la cité étant encore actuellement occupée par ces mêmes ennemis qui s’apprêtent à nous assiéger, mais je me retiens de lui faire remarquer : ce n’est ni le lieu, ni le moment. Le prince est un jeunot à la toison blonde ébouriffée, tout en armure, et aux traits tirés par la fatigue. Il attarde son regard céruléen sur Ixtli, sans doute surpris de voir une créature élémentaire déambuler librement au sein du Palais d’Illyria. Une preuve que les temps changent. Et en mieux.
Un homme vêtu pour la guerre suivit, présenté comme le capitaine des gardes de la cité. Après un clin d’œil vers ma chaste épouse, il prend place à la table du conseil, et les explications peuvent commencer. La Reine prend la parole, évoquant sa surprise et son contentement de voir rassemblé un groupe si hétéroclite. Elle présente rapidement la situation, sans détail. C’est son demi-frère, Hascan le bâtard, qui prend en charge les explications plus précises. À commencer par le nombre de combattants. Soixante mille hommes dans la cité, y compris les soldats présents sur les marches du territoire. La plus grande armée d’Illyria. Ce n’est pas rien ! Je ne me souviens pas avoir vu avant un si grand rassemblement. Seuls quarante navires sont à leur disposition : autrement dit bien moins que ce que les ennemis apportent avec eux. Il en vient cependant rapidement à un point posant souci : s’ils ont la plus grande armée, et la plus disciplinée, à défaut d’avoir les guerriers les plus puissants et la flotte la plus impressionnante, tout ce beau monde sera réparti sur la taille de la cité gigantesque. Et donc ça ne sera pas une bataille frontale.
Jillian prend à son tour la parole pour préciser la présence de ses propres alliés : bien moins nombreux, mais ô combien efficaces, puisqu’ils amènent avec eux la magie élémentaire et de farouches et solides combattants. Dix mille, au total. Il se fait prudent, cependant, sur l’utilisation de leurs capacités : elles peuvent s’avérer destructrices, et ne reconnaissent aucun allié des ennemis.
À ce moment, aussi surprenant que ça puisse paraître, Insilbêth demande à Hrist et moi-même quelle stratégie nous devrions adopter pour régler la problématique, arguant que nous sommes le parti neutre du groupe, et donc les plus à même de répondre à cette demande. Je souffle un instant, me penchant sur la carte. Je me vois mal prendre la responsabilité d’une stratégie militaire de défense de cité : je ne suis pas un stratège, mais un guerrier. C’est au cœur de la mêlée, que je brille, non planqué dans les tentes de commandement. Pourtant, quelques éléments me viennent à l’esprit, et sans répondre directement à sa question, je me permets quelques remarques et questions :
« Avant de prendre toute décision, je pense qu’il serait pertinent d’aborder quelques points : les troupes ennemies, tout d’abord. Ils viennent tous par la voie des flots, mais… ont-ils plus de chance d’attaquer par le port directement, débarquand au sein même de la cité, ou débarqueraient-ils en amont, afin d’attaquer la ville par les terres extérieures ? La problématique de la taille de la cité est la même pour eux : ils ne pourront concentrer leurs attaques que sur des points précis. Quels pourraient-ils être ? »Je passe mon doigt sur la carte.
« La cité est divisée en deux : des ponts relient-ils les deux parties ? Si pas, ils pourraient aisément s’emparer de la partie la plus petite, et nos défenseurs seraient coupés en deux. Ils auraient alors tout le loisir d’attaquer une partie de la cité, puis l’autre. Pour pallier à ça, je vois deux solutions : faire un blocus du port complet, en amassant flotte et troupes pour empêcher tout passage et toute tentative de leur part. Utiliser des brulots, faits à partir de navires de pêche, par exemple… N’y a-t-il aucun mécanisme de défense de cette passe maritime ? »Je marque une pause, reprenant sur un autre thème.
« S’ils débarquent d’abord, où pourraient-ils le faire ? à quelle distance de la cité ? Cette position pourrait nous donner un indice sur la partie de la muraille qu’ils pourraient attaquer. Autre question : combien de temps les troupes peuvent-elles mettre, au sein même de la ville, pour se déplacer d’un point à un autre ? La mobilité sera peut-être la clé de la victoire, ici, en plus d’une bonne préparation. »Puis, vers Hascan :
« Disposez-vous d’archers ? D’armes de siège pour attaquer de loin leurs navires ? »Sinon, le feu de Lysis et la magie élémentaire pourraient servir… Mais ça commence à faire beaucoup de questions, beaucoup de détails, et je décide d’en rester là pour l’heure. Le reste dépendra des réponses et réflexions de chacun. Des commentaires de Hrist, aussi. Qui sait : elle a peut-être un obscur passé de dirigeante militaire.