Dans les jardins, à la lumière mourante de cette fin de journée, Kiraes signa son accord d'un simple signe de tête. Il souriait, marquant un temps de pause, comme s'il attendait que la femme l'eut complètement dépassé pour dire qu'il se réjouissait de collaborer avec elle, que ça changerait de ses missions ordinaires.
La vie de Capitaine de la Garde était-elle si monotone ? Assurer la sécurité du Palais, former les gardes, les recruter, les entraîner chaque jour et s'assurer que tous suivent bien les règles établies. Allait-il jusqu'à porter conseil à la Régente ? Hrist ne l'avait jamais vu lorsque la Reine rencontrait Cromax et elle même. Allait-il donner son avis, assurer les sentences des criminels ? Il n'en savait déjà pas long sur les assassins envoyés tuer le Roi, alors que savait-il... Un détail marquait la femme, il ne semblait pas se faire trop de soucis pour le couronnement. Hrist sentait doucement la tension gagner son esprit...
La paranoïa refit surface, elle alimentait tous les sens de la jeune tueuse et voilà qu'elle se mettait à suspecter l'homme avec qui elle avait partagé ses intentions en cas d'attaque. Hrist secoua la tête comme pour chasser ses idées noires tout en rejoignant la porte de la chambre.
Il n'y avait personne, Cromax n'était pas rentré. Rien n'avait bougé, tout était parfaitement à sa place. Hrist plus jeune avait un petit coup de coeur, celui de la peinture, elle peignait à ses heures et profitait de ses bases d'alchimie pour confectionner les pigments nécessaires à ses créations. Aussi, elle savait analyser les détails et voyait que tout était parfaitement identique à la pièce qu'elle avait laissé quelques heures plus tôt. Elle s'installa à côté du de la fenêtre et resta un long moment à observer en silence le jour qui se déclinait au travers de mille et une nuances de jaune, de doré et d'orange.

Sa Faera à demi-présente avait été troquée par le fantôme de Silmeria, ravivé par l'esprit du vent, Cromax s'en été allé et elle n'avait pas la moindre idée d'où il se trouvait, Pureté était dans les rangs de Mâchefers aux dernières nouvelles et enfin, la dinde désinfectée qu'était Faëlis, elle n'avait aucune idée de ce qu'il avait pu advenir de lui. Elle se frotta les yeux du bout des doigts et inspira profondément. Le bilan de la situation n'était pas glorieux. Elle n'avait pas la moindre trace de ce qui rongeait ce monde, mais déjà elle s'occupait des alliances et tâchait de maintenir l'ordre établi sur ce petit monde prêt à tomber dans le néant... Hrist savait parfaitement que la Régente ne devait pas être sa priorité mais ce Cromax avait déjà embarqué leur faux couple si profondément dans le mensonge qu'elle s'en était trouvée piégée à ses dépends... Il fallait continuer ce qui avait été commencé, mettre la Régente sur le trône de cette ville immensément grande et s'en faire une solide alliée.
On toqua à la porte, peu après qu'elle eut répondu, une jeune femme ouvrit et s'engagea de quelques pas dans la pièce. C'était une jeune servante lui apportant la fameuse tenue, celle qu'elle allait revêtir pour la cérémonie. La jeune femme blonde lui évoquait alors un autre souvenir, celui de ses petites oies. C'était ainsi que Hrist appelait les servantes de Keresztur, ses oies. Elle ferma doucement les yeux et inclina la tête, remerciant la jeune femme et maudissant ses souvenirs si capricieux.
Hrist ne tarda pas à essayer la robe, laissant ses affaires tomber à ses pieds, nue qu'elle était devant le miroir, elle s'observait. La tueuse réalisait qu'elle n'avait plus pris soin de s'admirer depuis des lustres. Se trouver belle, c'était naïf, bête, inutile. Elle savait que sa mort ne serait en rien enviable, elle n'était pas de ces femmes qui allait mourir dans leur sommeil ou en couche.
Mais ses yeux rougis et fatiguées... Cette bouche terne et ce teint gris souligné par quelques mèches de cheveux qui tombaient sur son front... Et cette cicatrice... Cet odieux souvenir de sa mort qui n'avait rien à envier à la peau verte et épaisse qu'elle avait dans le dos, comme une grande plaque honteuse qu'elle s'évertuait à cacher au monde entier. Et ce corps, mutilé, coupé de partout, de ses seins à ses jambes, il n'y avait pas un membre qui n'avait pas été coupé, entaillé, perforé ou même brisé. Son doigt se promenait sur la cicatrice sous son sein.
" L'araignée géante des profondeurs d'Omyre... Et là, un archer humain... Comment je l'ai tué lui déjà ? Ah oui, en enfonçant chacune de ses flèches restantes dans ses organes vitaux. Et celle-ci... Que dire de celle-ci, Naël... Mon très cher petit Naël... L'ironie était à son comble ce jour là, après m'avoir torturée et brisé les doigts, j'ai enfin pu mettre la main dessus et le torturer à mon tour... C'était un vrai chef d'œuvre. Et ma cuisse, celle-ci est plutôt vilaine, causée par un des Samouraïs d'Oranan... Et cette dernière, un des messagers du corbeau. Je me demande s'il en reste encore ? Mais celle-ci est bien la pire de toutes. "Disait elle en suivant du bout de l'index la longue cicatrice le long de son cou. Trahie, déchue, chassée... C'était là son lot, sa croix. Silmeria était derrière elle. Ses doigts blancs apparaissaient sur ses épaules dans le reflet du miroir. La Douce avait toujours été plus coquette, ses yeux étaient d'un vert si pur, impeccablement souligné d'un trait noir quand à sa bouche rondelle et rieuse, elle se parait toujours d'un rouge à faire pâlir de jalousie la plus belle des roses.
Mais Hrist... Elle réalisait avoir toujours eu l'air triste. L'était-elle ?
La fameuse Lame Perfide, la Murène, la Lame d'Omyre, première de Xenair, Baronne de Keresztur et détentrice des Bracelets de l'Ombre et de la Vieille Rengaine, Championne de l'Arène d'Omyre et Chasseuse de Shaakt... Et Rose. Tout simplement Rose.
Ce souvenir du passé avait donné un drôle de goût à l'amertume, elle semblait se souvenir d'une ancienne promesse. Secouant encore sa tête pour chasser ses idées noires, elle enfilait la tenue de servante, ajustant les jupons et tâchant de rendre présentable. Restait à se poser la question de dissimulation des armes, la Veille Rengaine, elle n'aurait aucun mal à la dissimuler mais la Tueuse de Mages était bien plus longue et il ne fallait en aucun cas qu'elle ne déforme sa tenue au risque qu'un regard expert puisse deviner qu'elle soit armée. Quand aux bracelets de l'Ombre, elle se remonterait largement au dessus du coude, ses bras étaient assez fins pour qu'ils puisse y glisser sans peine. Elle tirait sur les manches espérant les détendre afin qu'elles puissent dissimuler au mieux le tatouage du Serpent sur son poignet mais il apparaissait toujours, sa tête sortait de l'encolure, presque menaçante.
Après avoir trouvé quelques bonnes idées pour dissimuler ses effets, Hrist se déshabilla de nouveau, gardant sur ses épaules qu'une fine chemise blanche et s'installa dans le lit pour y affûter ses armes.
" Ah... Quand je pense à tout ça... " " A quoi ? " Cracha Hrist, peu d'humeur à converser.
" Tout ça, tout. Ce monde, l'absence de magie, imagine qu'un mage soit envoyé ici avec nous ? "" De Yuimen, tu veux dire ? "" Oui, il serait presque impossible pour lui de jeter un sort, Cèles elle même n'y arrive pas et elle est entièrement faite de magie."" Une lame ne perd jamais sa connexion avec son porteur. " Sentenca Hrist espérant mettre fin à la conversation.
" Sauf s'il est mort. ""... "" Rose. " Piquée par ce nom, Hrist lança la Tueuse de Mages en direction de Silmeria mais la femme éthérée esquiva plus pour la forme qu'autre chose. La lame heurta le panier de fruit déposé sur la table centrale, le renversant et éparpillant à même le sol tout son contenu.
Hrist leva les yeux au ciel, se sentant presque idiote d'avoir eu une telle réaction à l'encontre de Silmeria. Si elle avait pu la tuer, ça se saurait. Elle aussi faisait partie de ses fantômes qui la suivait... Probablement le plus lourd à porter d'ailleurs, elles étaient toutes deux liées depuis toujours, mais elle n'avait pas trop apprécié de se faire tuer de sa main. Ceci dit, cet acte avait nourri sa philosophie et ses nuits d'alcool pendant longtemps.
Elle affûta la Vieille Rengaine façon rasoir et ferma les yeux un court instant.
Mais le destin n'en avait pas encore terminé avec elle. Il y avait encore quelque chose à tourmenter, quelque chose pour meurtrir son âme et même dans le sommeil elle ne trouverait aucun refuge. Car là où les songes conduisirent Hrist...
Tout n'était que terreur. Elle se retrouvait sur la Montagne, devant elles, un déluge de feu, des flèches enflammées tombaient et claquaient sur le sol, sans trêve ni répit.
" On a besoin de renfort, on ne peut pas espérer passer comme ça. " Lila avait parlé vite, mais sa voix était restée calme, ce qui était d'autant plus surprenant que les hordes de Shaakts s'approchaient.
Les quatre soeurs étaient abritées derrière une vieille installation montée par les Elfes Noirs qui ne tiendrait plus longtemps, les flammes commençaient à prendre sur le toit et la fumée s'échappait d'entre les planches.
" Bien... Rose, Iris et Lys vous passez devant, j'irai avec le reste des soldats pour les contenir. On fera tout ce qui est nécessaire. " Termina-t-elle avec un rictus sinistre au visage. Sa détermination est farouche.
Lila formerait l'arrière garde avec les soldats, elle sera le bouclier des attaquantes au prix de sa vie.
Et de toutes façons... L'avant garde ne leur survivrait pas longtemps. Sans dire un mot de plus, les deux groupes se détournent et gagnent leur position. L'avant garde ne rencontra presque aucune résistance, le groupe d'assassin parvient sans heurt jusqu'au monte charge que les Shaakts utilisaient pour stocker dans les caves leurs énormes quantités de feu grégeois. Le saboter porterait un coup dévastateur au campement et marquerait la fin de la menace.
Toutes s'entassèrent dans le monte charge tandis qu'Iris commençait à actionner les manivelles et les leviers.
" Allez-y. J'en fais mon affaire. "Elle n'avait pas besoin d'en dire plus, le monte charge ne descendrait jamais jusqu'aux caves sans personne pour le contrôler. On commençait déjà à sentir l'odeur grasse du goudron et l'acide de l'ammoniaque.
" Il y a des Shaakts en approche ! " Alors que les mots lui échappent, Hrist se retrouvait à bondir hors du monte charge.
" Allez-y, je couvre nos arrières. Occupez-vous de ce satané feu grégeois ! "Le monte charge s'enfonce lentement dans le sol...
Ses yeux s'ouvrent brutalement. Dans la pénombre, Hrist s'extirpe de son cauchemar, ruisselante de sueur, elle touche sa poitrine et remarque à quel point son coeur bat fort et vite. Elle n'avait pas senti ça depuis si longtemps, même en situation de danger mortel, son coeur ne s'était jamais agité aussi fort. Elle chassa quelques mèches collées sur son front et se leva maladroitement, encore sous le choc de ce souvenir, ces affreux fantômes du passé qui n'en finissaient plus de revenir la hanter.
" Les émotions rendent vulnérable, les émotions rendent vulnérable... " Se répétait-elle en se dirigeant vers le baquet d'eau. La surface pure du bain refléta son visage encore sous le joug des émotions rencontrées dans le cauchemar, elle entra dans l'eau froide comme pour échapper à ses souvenirs. Elle y entra complètement. Restant un moment sous l'eau. Là où ses larmes semblaient être infiniment petites.
Dehors, le jour n'était pas encore levé. Elle n'avait pas notion de l'heure, difficile de savoir si elle venait juste de s'endormir ou si au contraire, il ne restait que quelques minutes avant de voir pointer à l'horizon les premiers rayons de soleil.
Le soleil, qui lui même annoncerait le début de la journée qui verrait ou non sacrer la Reine.
Sortant de l'eau, Hrist ramassa la Tueuse de Mages qui luisait d'un reflet d'argent au rayon de la lune entre les fruits tombés. Elle s'assit au bord du lit et fixa le vide pendant si longtemps que ses cervicales commençaient à s'engourdir. Elle ne pensait à rien. Le temps filait autour d'elle sans provoquer en son crâne la moindre réaction, comme pétrifiée. Elle ne pensait plus, elle vidait son esprit. Un vieil exercice de méditation que faisaient les Samouraïs avant de partir en guerre, luxe que les assassins ne pouvaient pas se permettre en débit des multiples bienfaits que cela pouvait apporter. Se concentrer uniquement sur son objectif... La Reine.
Dormait-elle ? Etait-elle nerveuse ? Avait-elle des raisons de l'être ? La femme s'était offerte en appât pour déterminer qui serait son assassin et ainsi remonter à ses opposants.
Et qui étaient-ils ? Combien étaient-ils ? Son Frère ? Le Seigneur Nirène ? Carmimachin ? Les Mâchefers ? Allait-on pendre qu'un traître ou cent ? Toutes ces questions heurtaient son esprit, formaient une boule compacte et si dense qu'il en était difficile de détacher une interrogation d'une autre, toutes semblaient avoir de lourdes et d'absurdes conséquences.
Dans les couloirs commençaient à se faire entendre des bruits de pas, l'activité commençait, les gens de maison se préparaient pour le couronnement, l'activité allait-être à son comble ce qui sera au désavantage de la sécurité. Il est toujours plus compliqué de chercher une aiguille dans une botte de foin, alors un assassin dans une foule... Elle en savait long sur le sujet.
La Lame Perfide enfila sa nouvelle tenue, dissimulant sa cicatrice et son dos disgracieux. Elle s'appliqua même à coiffer ses cheveux de façon parfaite, sans mèche rebelle et sans aiguille pour maintenir le tout. Sous ses yeux de violette, elle appliqua un peu de noir du bout du doigt, dessinant de façon hypnotique son regard et sur ses lèvres une pointe de rose lui rendant presque un aspect vivant, rendant hommage à la beauté qu'elle était, son visage de jeune femme sous ses traits de tueuse cynique.
Elle s'assit en tailleur, prenant bien soin de ranger ses armes de façon à ne pas être trahie par une bosse ou un éclat métallique qui n'aurait rien à faire là où on le verrait. Puis, soucieuse de savoir ce qui l'attendait derrière la porte, elle ferma les yeux, inclinant son dos en arrière et prenant appui sur ses mains ouvertes à même le sol, elle scinda son esprit, envoyant son ombre traquer le moindre murmure concernant la Reine...
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Emploi de l'Ombre Noire pour essayer d'entendre quelque chose de suspect au sujet du couronnement.