Cromax eut un léger petit sourire et presqu'en haussant les épaules ajouta qu'il y avait tant de fleurs en ce monde. A dire vrai, Hrist doutait que Cromax soit capable de citer plus d'une douzaine de fleurs sans réfléchir un minimum, or son nom était tout ce qui se faisait de plus commun en matière de fleur.
Mais très vite, il reprit son petit esprit taquin et ajouta tout sourire qu'aucune fleur ne lui arrivait à la cheville. Ce compliment qui aurait sans doute fait rougir n'importe quelle jeune femme de son âge ne rencontra que le regard inerte, presque mort, de la Frémissante. Hrist inspira un peu plus fort que d'ordinaire, ce qui ressemblerait presque à un soupir pour qui saurait observer.
" Il a l'air... Heureux. Mais naturellement heureux. Comme s'il trouvait magnifique le moindre moment qui passe."
Cromax exprima après quelque chose qui avait un air de déjà-vu, certes ce n'est pas rare pour un assassin de prendre quelqu'un sous son aile à un moment donné de sa vie, surtout un assassin de renom mais qu'en dépit de toute cette petite famille que Hrist venait de décrire, Cromax lui dit que c'est pourtant la solitude qui ressort principalement de son être. Comme si toute son essence vitale ne se concentrait qu'à la solitude et à la discorde.
Puis il leva son verre, Hrist l'accompagna et vida d'un trait son hydromel, et le suivant. Elle sentait la chaleur de l'alcool dans sa gorge, le liquide réchauffer ses joues et son pendentif vibrer doucement alors qu'il éliminait le poison qui se répandait dans ses veines. L'alcool n'altérait pas son esprit grâce à la magie dont son collier était insufflé et elle trouvait ça drôlement pratique. Tandis qu'elle écoutait Cromax en remuant le fond de son verre à moitié vide que le tavernier remplissait sans attendre, elle se posait à son tour quelques questions :
(" Cromax, je me demande si j'ai déjà entendu des histoires à son sujet à l'époque où je ne me doutais de rien, si ça se trouve, je me suis déjà émerveillée devant ses fables et ses aventures. Il a pourtant l'air normal si on met de côté son talent mortel et ses dons de métamorphose. " )
C'est vrai que ça devait être bien commode, pouvoir se transformer à tout va, elle n'aurait plus aucun mal à entrer dans les villes où elle est activement recherchée et encore moins à en sortir, sans parler du confort supplémentaire que ça lui apporterait, plus besoin de se transformer en lépreuse pour qu'on lui fiche la paix et passer par les bas fonds de la ville pour éviter les postes de gardes et les patrouilles. Il y avait de nombreuses idées tactiques qui éclataient dans son esprit à mesure qu'elle fantasmait avoir un tel talent.
Puis une question la ramena à la réalité, à savoir quelles étaient ses passions, ses désirs, Cromax demanda s'il n'y avait là que le goût du sang qui donnait un sens à sa vie.
Elle quitta sa torpeur lié à la détente et l'absence d'activité intense qu'elle subissait à Elysian. " Non.. Non, je n'ai pas ça. " Elle avait dit ça comme si elle venait d'être heurtée par cette question pourtant simple.
" Enfin.... " Elle se reprit plus sérieusement. " Depuis toute mon enfance je ne suis formée qu'à tuer. Je n'ai jamais pris le temps d'aimer quoique ce soit, mes activités se limitaient... Et bien à la torture, au dressage d'animaux, à la culture des plantes pour mes poisons, la chasse, l'entrainement... Et bien sûr les missions, ça demande une certaine polyvalence, comme la capacité à s'adapter, se faire passer pour une femme de ménage, une couturière, une paysanne... Il faut passer inaperçu. "
Disait-elle un peu absente.
" Je pense que tu ne comprendra pas tant que tu n'aura pas connaissance de l'histoire qui se cache derrière ce nom de fleur."
Elle rompit un petit morceau de pain et en extirpa la mie qu'elle malaxait entre ses doigts, signe d'un léger moment de nervosité.
" Quand j'étais petite, j'ai rejoins un groupe d'Assassin, un groupe de femmes qui portaient toutes des noms de fleurs, en référence à notre espérance de vie. Mes soeurs, car c'est ce qu'elles étaient pour moi. Une famille. Ah, si tu avais pu voir mes yeux à l'époque, ils brillaient d'une telle étincelle, probablement la fierté de me voir confier des missions et une famille. Au fond de moi, il y avait beaucoup de peur et d'angoisse, mais savoir que j'avais quelqu'un sur qui compter balayait tous mes doutes et toutes mes craintes.
Je me sentais bien. " Ajouta-t-elle enfin avant de reprendre d'une voix plus ferme.
" Notre mission était de disloquer un groupe d'assassins Shaakt qui avait élaboré un poison à base de fluide d'ombre, procédé qui me dépassait totalement et qui provoquait des crises de folies meurtrière dans nos rang, ça infectait un sujet et le poison pouvait attendre des heures, voir des jours avant de frapper, la victime perdait la tête et commençait a tout attaquer, voyant sa force décuplée, devant dangereuse pour elle et pour les autres. Malgré tout mes talents dans ce triste art, je n'ai jamais pu trouver un antidote ou un contre poison. Un jour, ma soeur est morte de ma main à cause de ça, il fallait l'achever, elle avait encore les yeux plantés dans les miens et de honte j'ai versé bien des larmes. Il me restait des soeurs, mais je ne m'étais jamais sentie aussi seule. Lys était morte, j'avais perdu quelque chose."
" Nous avons donc trouvé moyen de forcer une attaque, les Shaakts étaient retranchés dans une montagne, les alchimistes étaient terrés sous terre dans d'anciennes galeries, nous attaquions de front, face à un déferlement de flèches, de magie et de feu, le sol vibrait et les frappes qui s'opposaient à nous faisaient trembler la terre. Je ne sais plus comment mes trois soeurs et moi sommes arrivées face à un monte charge qui permettait aux alchimistes de travailler sous terre, mais trois d'entre nous sommes montées sur la palette tandis qu'une d'entre nous restait activer le levier, sans ça jamais nous n'aurions pu descendre tuer les alchimistes et détruire leurs poisons.
Puis, j'entend que des ennemis sont en approche, je crois que je suis sortie d'instinct de cette cage pour rejoindre Iris qui actionnait le levier, je jetais un dernier regard à mes soeurs sans savoir que c'était le dernier. Pourtant, tout au fond de moi je savais que nous étions toutes au bout de notre route. Et c'est là que je l'ai vu. Le rouge dans ses yeux pourtant si bleus. Iris était infectée par le poison. Il ne restait plus beaucoup de temps, je crois qu'elle aussi le savait.
Je portait doucement la main à mon arme, j'entendais sa voix faiblissante me dire que lorsque la cage sera arrivée en bas... Elle n'ajouta rien. Nous avions toutes vu des amies et de proches se faire contaminer et c'est pour ça qu'il était insupportable d'imaginer un instant la laisser agoniser.
Elle me glissa, les larmes aux yeux " merci d'être restée ", je crois qu'à ce moment j'ai manqué de fondre en larmes. " Je suis si heureuse de t'avoir rencontrée " Mes larmes coulent alors et lorsque je sens que la corde du monte charge donne du mou, je comprends que les autres ont atteint l'objectif. Ses yeux étaient si rouges...
Et la carcasse de mon amie, mon aimée s'effondre devant moi, je n'ai pas vu mon coup partir, mes mains étaient pleines de sang, j'appuie alors la lame contre ma poitrine, un bon moyen d'en finir enfin avec cette existence futile, cette existence cruelle. Puis la voix de toutes mes soeurs résonne dans ma tête. " Impardonnable ! Impardonnable ! " Mes mains tremblaient tellement, je n'arrivais pas à enfoncer la lame dans mon coeur, cette voix dans ma tête, c'était la malédiction des champs de bataille. L'obligation imposée aux survivants d'accomplir la mission peu en importe le prix. Mes soeurs avaient enduré souffrance, douleur et terreur et je sentais le poids de leur jugement face à moi qui était sur le point d'abandonner, j'avais honte, c'était impardonnable.
Je me suis dirigée pleine de colère sur l'ennemi Shaakt qui approchait, je leur criais dessus, je voulais qu'ils me voient, qu'ils me tuent.
Elle claqua des mains et eut un petit sourire triste.
" Et puis, un bruit sourd. Plus rien. Mes soeurs sous terre avaient fait exploser un réservoir de combustible, éventrant la montagne. Je me relevais, seule, la lune graissait de sa pâle lueur le sol vitrifié. Alors que mon regard erre sur la terre dévastée, je prononce des noms, personne ne me répond.
J'étais la seule survivante, et si j'étais toujours en vie c'est parce que j'ai eu peur de mourir. Alors je ne pouvais pas m'empêcher de ricaner, on approchait du domaine de la démence complète. Sous une pluie de cendre qui dissimulait doucement la lune. J'avais promis qu'on resterait toutes ensemble, toutes. Comment est-ce que j'ai pu prononcer des promesses aussi creuses ?
Mon rire cessa, je suis restée à genoux toute la nuit, en silence. Mon véritable nom, c'est Rose. La lâche qui est restée en arrière, la lâche qui a survécu. Je porte donc le flambeau des dernières volontés de celles qui ont lutté à mes côtés. Alors puisque je suis incapable de mettre fin à mes jours, je poursuivrai jusqu'à ce que je rencontre l'ennemi qui sera capable de me tuer. Tel est mon fardeau. "
D'une pichenette, elle envoya à l'autre bout de la salle la petite boule de mie de pain parfaitement roulée. Elle avait pu, non sans peine retenir ses larmes.
_________________
|