LÀ, C'EST LE FOND DE LA GAMELLE.-
Tu l'as dit.Hé bien non, lecteurs qui savez être de moi adorés, les miracles – et Zewen sait que comme nulle autre j’en suis capable – ne sont pas à l’ordre du jour. Certes, mon esprit rebâtit soigneusement sa citadelle d’or et de marbre d’antan, au gré de la très haute magie de par laquelle agit le
Souffle de Gaïa ; certes, il s’habite insensiblement, de minute en minute, de son acuité et de sa clairvoyance de jadis, ô combien chantées dans les légendes et auréolées de gloire ; certes, il échauffe à nouveau mon cœur qui frappe cette si belle cadence d’autrefois, et enjoint à mon sang de pénétrer mes veines qui sont son seul asile décemment permis. Certes, oui – certes à tout cela. Et toutefois, lecteurs, voyez comme présentement je m’adresse avec complicité et familiarité au scélérat, à l’hargneux, au malveillant Aldryde auquel mon seul désir eût été d’inoculer le scorbut, la peste bubonique, ou (tout simplement) la mort… !
Que dois-je être à cette heure proche des portes de Phaïtos, pour ainsi me laisser aller à un échange amical avec ce monstre de malfaisance ! D’autant que, et cela je ne le saurais que plus tard, je ne me rends pas compte qu’il est à l’heure où je vous parle à gésir sur le frais humus du matin et que, de fait, il ne peut pas se laisser lui-même aller à un échange amical – ni même échanger tout court et quoi que ce fût.
(Non mais Aro, hé, ça suffit de déconner, là ?)Le fait est que mes yeux ne peuvent honorer qu’une seule exécration du monde à la fois, et que céans en est une bien pis – ce n’est que malaisément envisageable, je vous le concède – que l’Aldryde assassin…
…
… Mais revenons à nos chonkras, et laissez-moi auparavant reprendre mon récit là où nous nous quittâmes naguère – oui, le
Sanctuaire. Vous n’eûtes à l’œil, en cet instant où j’achevai le récit, que de pâles prémices de la magie que je peux à chaque instant verser à l’encontre du Mal. Ces liminaires brouillards, en effet, n’étaient que blêmes volutes, à peine comparables aux brumes de l’aube par un jour de tempête, et n’étaient guère de taille à affronter les démons de ce rustre sans âme. Néanmoins, ô vous qui m’êtes si chers, comprenez bien ici l’estocade que je reçus de lui : n’était plus dès lors en mon pouvoir, si grande et noble que je fusse, de produire pareils trémors de thaumaturgie grège. Point n’était seul le besoin de rebâtir corps et esprit tout entiers, mais fallut-il encore faire renaître les sources tarie de la Lumière divine.
(Un sacré boulot, en somme.)Je vis l’ennemi s’avancer, marionnette dont les fils sont la haine et le maître la mort, et si la
Lumière vive fît mouche, je ne le perçus point – l’excellence viendrait du travail acharné – quoique… L’instant advint trop tard pour y trouver concomitance, mais il y eut une braise, et puis une lueur - fugace et vacillante, mais tout de même : Gaïa, dame de miséricorde, m’avait accordé un espoir, et je l’en remerciai. L’Aldryde se figea comme statue de sel, l’œil à la noirceur sans fond semblant en proie à d’affreuses tergiversations intérieures. Il ne discernerait pas, à coup sûr, la nuée du
Sanctuaire se concentrer peu à peu sous l’effort extraordinaire de ma conscience tout entière à la tâche. Les fumées s’épaissirent, appesanties qu’elles étaient par leur réalité à naître.
(Elles existaient pour de vrai, quoi.) Réel, en effet, se construisait le temple où reposerait mon corps : les teintes muèrent, et les originels spectres qui ondoyaient se métamorphosèrent, inexorablement, en un péristyle peut-être humble mais non moins présent. Son charme était immense, car ses colonnes ciselées sous l’ardeur de ma volonté chatoyaient d’un bronze solaire, merveilleusement semblable au céleste san-divyna ; et tandis que leurs chapiteaux, pour mon plus grand bonheur, se paraient d’héliotropes éthérés, leurs empattements avaient en tout point la semblance de parterres de digitales et de valérianes, qui font, comme vous le savez certainement, l’admiration immémoriale des Guérisseurs.
Mais trêve de description, car l’heure était grave, et le destin pointait d’un doigt apostat et félon les lieux pourtant charmants où je me trouvais alors. Sans que j’eusse la moindre idée de ce qui le provoqua, les yeux de l’Aldryde furent soudain animés des pires sentiments d’effroi que l’on pût jamais connaître, et ses mouvements s’agitèrent dès lors dans un tel imbroglio d’angoisse que je n’en pusse concevoir que le reflet en moi-même – car comment imaginer possible que qui vous tenait à sa merci rompît en un instant le pouvoir qu’il avait sur vous, si ce n’était pour cause de grand et imminent péril ? J’ignore encore maintenant comment il l’apprit sans même détourner le regard de ma majestueuse figure, mais lorsqu’il porta l’œil sur ce qui se trouvait dans son dos, j’aperçus du même coup ce que depuis longtemps il cachait à ma vue – de toute sa stature, comme vous vous la représentez sans doute, de colosse barbare bardé d’armes et de puissance monstrueuse à tous égards. Se trouvait là celui qui restait à ma mémoire comme seul second rôle de l’histoire, cependant que je l’avais ouvert de mon coutelas et que j’étais moi-même à demi éventrée par le ressors impromptu et sauvage de qui deviendrait mon terrible ennemi – se trouvait là, je vous le donne en mille, le Mantis escrimé.
ARO.
ARO ?Voilà ce qui maintenait son empire sur mon esprit à l’heure où tendrement je vous enjoignais d’écouter mon propos – et là non plus, maintenant encore, je ne m’offusque point que l’Aldryde écœurant connût mon nom, vestige de lignées de reines tant et tant célébrées dans les contes. Car le Mantis, inéluctablement, forcit à mesure que les secondes se bousculent, dans de repoussantes postures torturées. L’espace d’un battement de cil a-t-il déjà doublé dans la hauteur et l’épaisseur, et son cuir lentement s’étire, distendu peu à peu dans une épouvantable transparence qui laisse à l’œil indiscret la jouissance des organes.
ARO !Le fondement des alarmes de l’Aldryde s’impose à moi comme sa vocation à un prêtre
(c’est dire !) et l’épouvante qui déferle sur moi est désormais voisine de la sienne – le Mantis, par tous les dieux, est sur le point d’éclater en grandes gerbes d’acide !
(Je savais bien que j’avais oublié un truc !!)Ces subites altérations de mes velléités vengeresses ne sont pas pour plaire à mes instances de magie, et tout de suite le Sanctuaire défaille, effaçant à ma vue la seule égide qui m’eût gardée de ce mal qui parmi tous m’emplit de détresse : point ne veux-je en effet ni offrir mes charmes au sombre Phaïtos, ni moins encore garder la vie et perdre la beauté que me ravirait sans coup férir pareille sinistre macération. Les derniers soubresauts de volitions m’emportent dans un chaos flamboyant : ma résolution opiniâtre n’a que faire que mes ultimes résistances manquent de s’évanouir à chaque palpitation de mon cœur, je vivrai
(un point c’est tout). Virulent apparut le dôme moiré et diapré des étoiles de la nuit, tout droit né de ma ténacité belliqueuse et sagace, et, comme de bien, couronna les colonnes du temple ainsi parfait.
ARO.
ARO, AIDE-LE.Une considération cédée à l’infâme Aldryde que j’oubliai un instant me l’apprend : l’acide prélude sa nauséabonde et macabre valse, et, venu par deux fois déjà au contact de mon ennemi dans d’immondes larmoiements verdâtres, tandis que j’observe de loin le théâtre des atrocités, il lui ravit son outrecuidance tout autant que sa vie. A son tour, à présent, de déchoir. Et tant mieux.
ARO.
ARO, PROTÈGE-LE.-
Ah non, hein ! Il a essayé de me tuer !!Je discours, toute entière à mon ravissement : point n’aurai-je besoin de salir mes délicates mains créées pour nulles autres choses qu’actes gracieux, car ici sera le tombeau vivant de l’Aldryde qui voulut m’occire. Seuls vous, lecteurs, savez combien je me félicite de mon
Sanctuaire, où rien ni personne ne peut m’atteindre, et d’où je contemple le spectacle de ma vengeance, et combien…
ARO. ECOUTE DONC UN FRÈRE QUI TE PARLE EN AMITIE.La voix est celle, douce, apanage de jeunesse, d’un homme à la sagesse séculairement mûrie. A l’instar de la rose étiolée, sa beauté s’épanouit dans la mélancolique brume des âges qui s’attachent à la nature vivante et la mènent vers le tragique oubli des heures malheureuses.
ECOUTE QUI TE PARLE, ECOUTE LA VOIX DE QUI PRIE. ARO, IL VA MOURIR.-
… oui.TU AS DEJÀ PRIS UNE VIE AUJOURD’HUI. VEUX-TU RECOMMENCER ?-
…EST-CE LÀ DONC LA PAROLE DE GAÏA ?...
...
Lecteurs, comment pourrais-je vous conter sans médire l’effondrement d’un monde ? A ces mots, le ciel se déchire et s’écroule soudainement sur mes frêles épaules, dans un de ces sourds silences qui succèdent aux grandes catastrophes. C’est une implosion, et l’univers entier bascule, entraînant l’anéantissement de toute chose et l’avalanche fatale de tout ce qui était alors en mon esprit une certitude. Mes yeux contemplent les lacs acerbes et fumants qui s’épandent de part les plaies béantes du Mantis, et alors qu’une troisième goutte tarde à blanchir la peau de l’Aldryde, mon sang ne fait qu’un tour.
Quel a été le malin qui assaillit mon âme pour qu’ainsi je pusse avoir pareille pensée ? Est-ce donc pour de telles exactions que Cétayales m’a mandée en Ynorie ? Quel drame d’avoir ainsi lardé la chair d’une créature douée de vie, et de n’avoir point ressenti en mon cœur le deuil et le chagrin de le voir dépérir ! Ce n’est certes pas là l’honneur dû à la déesse que je chéris tant et tant – comment ai-je pu… Comment ai-je pu ?
POUR GAIA.Peu importe qu’à son réveil son premier acte soit de taillader mon ventre, d’estourbir mon crâne ou de rompre mon cou – je me dois à ma déesse, entièrement, et je lui suis vouée.
A nouveau le
Sanctuaire de s’affaiblir, et les jaillissements d’acide de se faire plus proches et plus pressants – mais point. Mon esprit se ramasse une dernière fois sur lui-même, en recherche de ses armes ; car il en demeure bel et bien, quand bien même elles seraient cachées au plus profond de mon être. Un dernier assaut de puissance théurgique redonne à mon temple toute sa superbe, et parvient à l’étendre, pouce par pouce, jusqu’à contenir pleinement le corps inanimé de l’Aldryde. Seuls quelques mots bouillonnent dans mon cœur tout entier porté à sa tâche :
(Je ne tuerai pas. Je ne tuerai plus. Je ne tuerai pas. Je ne…)*
Y AVAIT QUE TOI POUR Y ARRIVER, COB'.
ASHREL ?
OUI ?
LA FERME.
D'ACCORD.(((Apprentissage de Sanctuaire (2/3).)))